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force de ce raisonnement, et s'y conforma dans la suite

Quinault l'aîné, frère aîné de Quinault du Fresne, était un homme de beaucoup d'esprit et très-aimable en société. Il dînait un jour avec Crébillon, le père Tournemine, le père Brumoy, et le père Boujeant; la conversation tomba, par hazard, sur le genre du mot Amour en français. Quinault soutenait qu'il était du genre féminin; les Révérends Pères prouvaient, par nombre d'exemples tirés de nos meilleurs poëtes, qu'il était masculin; Crébillon, qu'il était des deux genres. Quinault s'appuyait sur-tout sur ces yers de Mithridate:

Je ne souffrirai point que ce fils odieux,

Que je viens, pour jamais, de bannir de mes yeux,
Profitant d'une amour, qui me fut déniée,

Vous fasse, des Romains, devenir l'Alliée.

Les Pères rapportaient de leur côté des passages de Racine même, où Amour était du genre masculin. Quinault, que toutes ces citations excédaient, fit cesser cette dissertation en disant : « Eh! Messieurs, un peu de complai» sance; passons l'amour masculin, en faveur de la so» ciété. » Les Jésuites rirent, et cessèrent de discuter.

MODE (la), comédie en un acte, en prose, par Fuzellier, aux Italiens, 1719.

La scène représente une des salles du palais Marchand. La Déesse de la Mode, revêtue d'un habit de papier, et coîffée d'un moulin à vent, arrive dans cette salle à dessein de donner audience à tout le monde elle appelle Parisien, son valet, à qui elle donne des ordres; et Parisien lui dit qu'il y a déjà un grand nombre de personnes qui l'attendent. On voit arriver un homme en manteau noir, en rabat, en perruque garrée et en chapeau

plat, qu'elle prend pour un marchand d'étoffes : quelle est son erreur! c'est un marchand d'esprit nommé Brochure, libraire, place de la Sorbonne. Monsieur Brochure vient donc supplier la Mode de donner de la vogue à quelques livres qu'il veut imprimer, et dont les auteurs lui ont donné les manuscrits en gage. D'autres personnages de différentes professions présentent divers placets, pour prier la Mode de les mettre en valeur, etc.

MODE (la), comédie en trois, actes, par madame de Staal, imprimée dans ses œuvres, et donnée après sa mort, au théâtre Italien, sous le titre des ridicules du jour, 1761.

Une Comtesse qui donne avidement dans toutes les nouveautés et qui suit toutes les modes, avait promis de marier sa fille Julie avec d'Ornac. Le contrat était dressé, le jour était pris pour la noce; mais elle apprend que d'Ornac n'est ni comte ni marquis. Comme c'est l'usage, il se fait appeler M. le Baron, titre suranné, qui ne sied tout au plus qu'à des étrangers; d'ailleurs, ses terres sont situées dans le Limousin; fi! c'est du mauvais ton. Il a un père, et se promène avec lui; fi! fi! il voudrait aussi aller au bal avec sa femme; fi donc ! On se met à table; ce qui devait être aux entrées, se trouve parmi les hors-d'œuvres; le même déplacement au rôti et à l'entremets; nulles primeurs; du gibier mal assorti, et sans choix, qui pis est, sans nom. On se recrie sur la bonté d'un quartier de chevreuil; on demande s'il est de Montbart; on ne peut pas le dire, et l'on pourrait en manger! Le fruit le plus antique qu'on ait vu de mémoire d'hommes; rien à sa place; une confusion, un bouleversement à faire mal au cœur, et, pour comble de dis

grâce, pas un ragoût qui ne soit de l'ancienne cuisine! On est réduit à ne pas desserrer les dents, ni pour manger ni pour parler. Au sortir de table, on dit froidement à la comtesse qu'on s'estime heureux d'être bientôt son gendre. A ce mot, ne croirait-on pas être dans la rue St.-Dénis? D'ailleurs, le baron est sans goût, sans connaissance des usages; ses tabatières sont plattes, point guillochées; ses habits ne sont pas faits par Passau. It parle de nouvelles, raisonne sur les affaires politiques et n'est au fait de rien sur les intrigues du monde; enfin, il est aussi triste que plat. Ah! un pareil mariage ne saurait se faire; ce serait se couvrir de ridicule. Il est vrai que Julie est aussi bien singulière; elle fait des réverences à faire horreur; on voudrait que Marcel eut vu cela. Cette garniture de robe n'est pas de la Duchap; on n'a rien vu de plus maussade. Tous ces chiffons ont été pris au paľais ; et ce panier, dira-t-on qu'il est de la Germain? Ce rouge semble vouloir être naturel; c'est un vrai ridicule. De plus, Julie s'amuse à lire. Qu'est-ce qui lit? Les seules histoires qu'il faut savoir sont celles du jour ; et, si l'on veut lire, il faut que ce soit des brochures encore mouillées ; car, dès qu'elles sont sèches, on n'en veut plus parler. Si Julie épouse le Baron, il l'entretiendra dans ce mauvais goût de province; il l'aimera peut-être, et c'est le comble du déshonneur dans une famille; il ne l'épousera pas. Les choses en sont là, lorsqu'on vient annoncer à la Comtesse que d'Ornac a aimé une comédienne qu'il J'aime peut-être encore, et que, sur cet article, il s'est conformé aux usages et aux mœurs du tems. Cette nouvelle la fait revenir de sa prévention: le Baron n'est plus un homme si ridicule; il n'aimera pas sa femme; il épousera Julie. Ce mariage est la fin de la pièce. Les mêmes

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idées reviennent souvent dans le cours de cette comédie, et surtout dans une scène entre la comtesse et une marquise, à qui l'on trouve les mêmes travers, et qui tient les mêmes propos; on y revient encore dans une scène entre Acaste et la Comtesse, et enfin dans une autre scène entre la Comtesse et la Marquise. Ces répétitions sont d'autant plus désagréables, qu'il n'est question que de minuties.

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MOURS, ce mot, à l'égard de l'épopée, de la tragédie ou de la comédie, désigne le caractère, le génie et l'humeur des personnages que l'on fait parler; ainsi, le terme de Mœurs ne emploie point ici selon l'usage commun. Par les Mœurs d'un personnage qu'on introduit sur la scène on entend le fonds de son génie, c'est-à-dire, les inclinations bonnes ou mauvaises, qui doivent le constituer de telle sorte, que son caractère soit fixe, permanent, et qu'on entrevoie tout ce que la personne représentée est capable de faire, sans qu'elle puisse se détacher des premières inclinations par où elle s'est d'abord montrée; car l'égalité doit règner d'un bout à l'autre de la pièce. Il faut tout craindre d'Oreste, dès la première scène d'Andromaque; jusqu'à n'être point étonné qu'il assassine Pyrhus même aux pieds des autels. C'est, pour ainsi-dire, ce dernier trait qui met le comble à la force de son caractère, et à la perfection de ses Mœurs. Voyez la première scène d'Andromaque entre Oreste et Pylade.

Tels sont les traits que Racine emploie pour peindre le caractère, le génie, les Mœurs d'Oreste. Quelle conformité de ses sentimens, de ses idées intérieures, avec les actions qu'il commettra! Quelle adresse ingénieuse à prévenir le spectateur sur ce qui doit arriver! Aristote a raison de dire qu'il faut que les Mours soient bien marquées et bien expri

mées. Ajoutons qu'il faut qu'elles soient toujours con venables, ou conformes au rang, au tems, au lieu, à l'âge, et au génie de celui qu'on représente sur la scène; mais il faut beaucoup d'art pour bien faire ces sortes de peintures; et tout poëte qui n'a pas étudié cette partie, n'y réussira jamais. Il existe une autre espèce de Mœurs, qui doit régner dans tous les poèmes dramatiques, et qu'il faut s'attacher à bien caractériser: ce sont les Mœurs nationales, car chaque peuple a son génie particulier. Ecoutez les conseils de Despréaux dans son Art Poëtique.

Corneille a conservé religieusement les Mours, ou le caractère propre des Romains; il a même osé lui donner plus d'élévation et de dignité. Quelle magnificence de sentiment ne met-il point dans la bouche de Cornélie, lorsqu'il la place vis-à-vis de César ?

César, car le destin, que dans tes fers je brave, etc.

la suite de son discours renchérit même sur ce qu'elle vient de dire; sa plainte est superbe :

César, de ta victoire, écoute moins le bruit, etc.

à cet égard Corneille n'a pas essuyé les reproches que l'on fait à Racine, d'avoir francisé ses héros, si l'on peut s'exprimer ainsi. Enfin, on n'introduit point des Mœurs comme des modes, et il n'est point permis de rapprocher les caractères, comme on peut faire le cérémonial et certaines bienséances. Achille, dans Iphigénie, ne doit point rougir de se trouver seul avec Clyteninestre. Le terme de Mœurs veut donc être entendu fort différemment, et même il n'a trait en façon quelconque à ce que nous appellons morale; quoiqu'elle soit, en quelque sorte, le véritable objet de la tragédie, qui ne devrait, selon nous, avoir d'autre but que

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