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Sans elle rien ne plaît, sans elle rien n'est beau,
Un seul fait au théâtre, un seul dans le tableau.
Mais ne va pas non plus, sur la toile imparfaite,
Inquiéter ma vue à demi satisfaite;
Que du sujet entier le tableau soit rempli.

C'est peu de l'unité, s'il est trop embelli,
Si l'amas fastueux d'une fausse richesse
Étouffe imprudemment le fond qui m'intéresse ;
Loin les ornemens froids, les détails superflus,
Tout ce qu'on peint de trop pèse sur les tissus.
O sublime Poussin! dans tes mâles ouvrages,
Tu n'as point au hasard jeté les personnages;
Peins-tu les eaux du ciel submergeant l'univers ;
Vers ces tristes sommets déjà presque couverts,
Au peu d'humains épars sur l'abîme de l'onde,
Je reconnais d'abord le naufrage du monde.

Dans un moindre naufrage, au défaut des grands traits,
Horace est indigné que l'on soigne un cyprès;
Dans ce peintre insensé c'est souvent toi qu'il nomme:
Songe à l'objet premier, peins les lieux, mais peins l'homme,
L'homme est l'être sensible, et son aspect aimé
Porte un charme secret sur l'être inanimé.

Aux flammes dans la nuit cette ville est en proie;
Que la lueur au loin dans les airs se déploie,
Et que par tourbillons les vents roulent les feux.
Mais peins plus fortement des objets plus affreux,
Le citoyen fuyant loin du toit qui s'embrase,
Ceux que surprend la flamme ou que la pierre écrase,
Ceux à qui sous les pieds le feu rompt les chemins,
Et qui restent aux ais suspendus par les mains;
Qu'un autre sur le seuil d'une porte endammée
Tombe étouffé soudain par des flots de fumée,
Que la mère tremblante, un enfant dans ses bras,
Un autre à son côté, précipite ses pas.
Fais descendre un vieillard par ce mur que l'on brise,
Et qu'un nouvel Énée emporte un autre Anchise.

Veux-tu peindre à côté de cet affreux tableau
Dans le même désastre un spectacle nouveau?
Que le pâtre au matin, vers ces vastes ruines
Apportant les tributs des campagnes voisines,
Voyant encor les airs par la cendre obscurcis,
Immobile d'effroi reste au pied du glacis ;
Peins les femmes en pleurs, dans l'horreur absorbées,
Et de leurs bras tremblans les corbeilles tombées.

Mais il est des objets, mais il est des tableaux
Sur qui la main stérile use en vain les pinceaux;
Change de route alors, et qu'un beau stratagême
Remplace sous tes doigts l'art qui manque à lui-même.

Le poète doit peindre, et le peintre exprimer ; S'il est quelques objets qu'il ne puisse animer, Connais mieux la peinture, elle a sa réticence, Et tire son secours de sa propre impuissance.

Iphigénie en pleurs, sous le bandeau mortel,
De festons couronnée avance vers l'autel ;
Tous les fronts sont empreints de la douleur des âmes.
Clytemnestre se meurt dans les bras de ses femmes,
Sa fille laisse voir un désespoir soumis,

Ulysse est prosterné; Ménélas, tu frémis;
Calchas même est touché : mais le père ! le père...!
D'atteindre à sa douleur l'artiste désespère;

Il cherche, hésite, enfin le génie a parlé ;
Comment nous montre-t-il Agamemnon ? Voilé.

Viens admirer encor dans un nouveau spectacle
Les ressources de l'art vainqueur d'un autre obstacle:
Condé, dans ce beau lieu que Santeuil a chanté,
Respire en vingt tableaux, savamment imité;
De Lens et de Rocroi que les palmes sont belles'
Que l'on aime à tracer ces tiges immortelles!
Mais quand du sang français il a rougi son bras,
Forcé d'abandonner les courtines d'Arras,
Quand il laisse en partant sur sa trace guerrière
Un sillon mélangé d'ombres et de lumière :
Il faut le peindre encor ce grand homme égaré,
O Condé ! par ton fils le peintre est inspiré :
Tes fastes dans les mains, la Muse de l'histoire
Déchire le feuillet qui ternirait ta gloire.

Ainsi l'allégorie au besoin servit l'art;
Mais souvent un artiste imagine au hasard,
Et, pour m'embarrasser par une énigme vaine,
Se perche, avec le Sphinx, sur la roche thébaine ;
Mon œil impatient, par la toile offusqué,
Laisse dans les brouillards le sens mal indiqué :
Le sens doit être clair quoiqu'il change d'organe :
L'allégorie habite un palais diaphane.

Franchis par son secours des obstacles nouveaux,
Donne par elle un corps à des êtres moraux ;
Mais, sans t'envelopper trop souvent de son voile :
Je hais le peintre froid embarrassant la toile,
Dont le génie étroit, sur l'emblème guindé,
A sans cesse ou sa nymphe ou son monstre affidé :
C'est toujours ou lion, ou syrène, ou furie,
C'est toujours l'abondance ou sa corne deurie.
De trois fils divisés l'orgueil envenimé
Fait rendre la couronne à leur père alarmé;
Sur la tête du roi si le crayon la pose,

Tu n'offres à mes yeux ni le fait, ni la cause;
Eh bien! que la Discorde aux serpens pour cheveus,
Ombrageant de son aile un trône malheureux,

De ses livides mains place le diademe

Sur le front du monarque, aux yeux de ses fils même.
Mais, quand l'histoire enseigne et parle avec clarté,
Jamais mieux qu'elle alors tu n'auras inventé,
Et ta main l'imitant sans paraître servile
Cueille encor avec gloire une palme facile.

Il est une stupide et lourde déité;

Le Tmolus autrefois fut par elle imité;
L'Ignorance est son nom : la Paresse pesante
L'enfanta sans douleur au bord d'une eau dormante:
Le Hasard l'accompagne, et l'Erreur la conduit,
De faux pas en faux pas la sottise la suit.
Ne laisse point guider par ses mains téméraires
La main que la Peinture admet à ses mystères.
La Science toujours fut la base des arts;

Ne va point, jeune élève, en d'imprudens écarts
Brouiller les pas du temps dans le champ de l'histoire;
Couvrir d'un baudrier les soldats du Prétoire;
Teindre des mêmes eaux le fleuve et l'océan ;
Marquer des mêmes feux l'éclair et le volcan;
Sur un sol étranger transportant des dryades,
Ombrager de forêts les plaines des Orcades;
Faire asseoir l'Iroquois au milieu des ormeaux,
Ou planter le palmier au bord de nos ruisseaux.
Debout derrière toi le Ridicule veille,
Il perce de ses traits l'artiste qui sommeille :
Quel que soit le laurier que le peintre ait cueilli ;
L'erreur de son crayon n'est point mise en oubli;
Le tableau l'éternise, et cette flétrissure
Éteint plus d'un rayon sur le front d'Albert-Dure.

Ose; c'est là ta gloire, et c'est un de tes droits;
Mais des chemins nouveaux il est un heureux choix;
Ose, mais du vrai seul garde toujours la trace;
Guide toujours de l'œil les écarts de l'audace;
Ne va point accoupler la panthère et l'agneau,
Mettre en un même nid l'aiglon sous l'étourneau,
Travestir sous les traits d'une grâce mondaine
Madeleine en Laïs, qu Thérèse en Hélène.
Loin de nous tout absurde et téméraire objet ;
Tu peins la vérité, respecte ton sujet.
Du sacré, du profane évite le mélange ;
Ne renouvelle point l'erreur de Michel-Ange:
Il peint au dernier jour le juge des-mortels
Descendant pour fixer leurs destins éternels;
Les morts avec effroj ranimant leur poussière;
L'inexprimable horreur de la nature entière;
La terre-tout à coup s'échappant de ses gonds,
Le soleil de sa sphère, et les mers de leurs fonds;
Et le peintre a souillé ce tableau redoutable
Par les spectres impurs et l'enfer de la fable :
A ce bizarre aspect la Raison s'indigna,

Et, le voile baissé, la Pudeur s'éloigna.
Ce n'est plus la raison ni le goût qui murmare,
Ce n'est plus la pudeur: j'entends de la nature
Et de l'humanité les lamentables voix,

Pour peindre un Dieu mourant sur le funeste bois
Michel-Ange aurait pu...! Le crime et le génie!
Tais-toi, monstre exécrable, absurde calomnie;
Quel chef-d'œuvre de l'art eût jamais essacé
Une goutte de sang que le peintre eût versé ?
Que n'eût-on vu plutôt dans ce délire extrême
Sécher la main du peintre, et périr l'art lui-même !

Habile à te tracer de sublimes leçons,

Jule pour les grands traits sut tailler ses crayons,
Lorsqu'il suit Raphaël, Jule, faible et timide,
Se traîne obscurément loin des pas de son guide,
Tant le génie est fait pour marcher sans appui,
Et chancelle toujours dans le sillon d'autrui !
Mais à lui-même enfin quand Jule s'abandonne,
Poète de son art, de quels traits il étonne!
Comme de son pinceau la verve et la fierté
Éclate avec splendeur dans le palais du T!
Comme il peint les Titans frappés par le tonnerre,
Des monts qu'ils entassaient renversés vers la terre,
Les troncs d'arbres, les rocs échappés de leur main,
Les coursiers du soleil dispersés et sans frein !
La foudre tombe au loin, et le jour qui s'égare
Par la voûte rompue entre et luit au Ténare;
Cybèle, avec effroi, presse du haut des airs
Ses lions en écume à travers les éclairs,
La mer s'enfle et bondit en montagnes humides,
Les vagues ont brisé le char des néréides,
Et la terre sanglante, ébranlée en ses flancs,
S'affaisse sous le poids des colosses fumans.

Est-ce une illusion? Quelle douce magie,
Quel charme me transporte aux bosquets d'Idalie,
Dans la troupe enfantine et des Ris et des Jeux,
Aux autels de Vénus, près des amans heureux?
La foule des Amours de tous côtés assiége
L'atelier de l'Albane et celui du Corrége,
Les uns pour les pinceaux taillent le myrte en fleur,
D'autres sur la palette étendent la couleur,
Celui-ci d'un genou qu'avec peine il avance
Veut dresser à lui seul le chevalet immense;
Il sue, il se dépite, il soulève à moitié,
Par son adresse enfin la machine est sur pié :
Celui-là pour tracer un portrait de sa mère,
Du peintre gravement conduit la main légère,
Plus il est sérieux, plus son air est charmant,
Cet autre plus badin va, vient étourdiment,
De son léger flambeau tire des étincelles,
De crayons plus aigus fait des flèches nouvelles,

Touche, dérange tout par ses folâtres jeux, Ha distrait l'artiste, et l'ouvrage en est mieux.

Que n'ont point su tracer sur la pierre ou la toile,
Ces Carraches, de l'art triple et brillante étoile ?
Ce Paul, né dans Vérone, et que rien n'a distrait
Du laurier qu'il dispute à ce fier Tintoret!
Rubens, dont le génie énergique et fertile
Fut toujours secondé par sa touche facile;
Le peintre de Bruno qui vit de ses foyers
Des artistes romains les chefs-d'œuvres altiers,
Et s'éleva lui-même aux prodiges du Tibre;
Holbein, dont le crayon fut si mâle et si libre;
Ces deux Bassans si vrais, cet heureux Vouwermans
Qui peignit des coursiers jusqu'aux hennissemens;
Le Poussin, qui toujours sans élève et sans maître
De l'art chez les Français tient le sceptre peut-être ;
Ce brillant le Lorrain, au pinceau si flatteur;
Rimbrant, de la lumière heureux distributeur;
Le Primatrice, épris des beautés de l'antique,
Destructeur du faux goût et du crayon gothique;
Vendeik qui, nous montrant le beau dans tout son jour,
De la force à la grâce a passé tour à tour;
Ce Vinci si correct, celui qui né dans Parme
Sur sa toile élégante a semé tant de charme;
Ce Guide, plus touchant, ce hardi Salvator,
Et le Dominiquin, méditant son essor,

Qui laissa si long-temps ses travaux sous un voile
Puis déploya soudain les trésor de la toile ;
Ainsi l'aigle caché dans les forêts d'Ida
Pour prendre un vol plus haut souvent le retarda.

O puissance de l'art! véritables prodiges!
O le plus séduisant, le plus doux des prestiges!
Plus on a su cacher les secrets du pinceau,
Plus il produit l'erreur, plus son triomphe est beau.
Trompé par les raisins l'oiseau vole au treillage,
L'animal belliqueux hennit à son image;
Et l'œil du connaisseur, et l'œil du villageois,
La science et l'instinct sont séduits à la fois.
Créateur des objets dont il est le copiste
L'art a trompé la brute, il va tromper l'artiste :
Zeuxis, tu cours lever ce magique rideau,
Il ne cache que l'art; ce voile est le tableau.

Zirphé plus fraiche encor que la rose nouvelle, La charmante Zirphé, fille d'un autre Apelle, D'un seul de ses regards attirait tous les vœux; On aspire à sa main; mais quel amant heureux, Quel peintre dans son art saura vaincre le père? C'est la loi qu'il impose, et l'hymen se diffère. Un élève timide, hélas ! loin de l'espoir,

Des charmes de Zirphé sentait tout le pouvoir,

L'adorait en silence, et la belle ingénue

Sur lui, comme au hasard, laissait tomber sa vue;
En l'absence du peintre, il entre en son réduit,
Prend le pinceau, hasarde... il achève, et s'enfuit:
L'artiste impatient, que son zèle rappelle,
Revole à l'atelier, à la Vénus nouvelle
Dont il arrondissait les contours animés,
Jouissant des appas par lui-même formés;
Mais un insecte ailé sur la gorge repose
Vers le point où les lis laissent fleurir la rose;
Le peintre l'aperçoit, et, du bout de ses doigts,
Du tableau qu'il effleure il le chasse deux fois...
Mais, quelle illusion ! quelle surprise extrême!
La mouche est immobile, il le devient lui-même :
Bientôt l'étonnement a fait place au courroux.
L'élève alors tremblant paraît, tombe à genoux.
C'est moi... C'est toi ! qu'entends-je? Il se tait, s'embarrasse,
Admire, réfléchit, le relève et l'embrasse;

Sois l'époux de ma fille. Ah! vous comblez mes vœux.
L'Amour rit, l'art triomphe, et trois cœurs sont heureux.

Des yeux qu'il a séduits l'art passe jusqu'à l'âme;
Des passions qu'il peint il y verse la flamme;
Le courage, l'effroi, la haine, l'amitié,
Et l'indignation, la crainte et la pitié.

Combien le cœur ému s'ouvre à cet art céleste! -
Jusqu'où va son pouvoir! tout en parle et l'atteste;
La loi qui dans Athène interdit les pinceaux
Aux doigts qu'avaient durcis les serviles travaux,
La toile hospitalière au temple de Carthage
Rassurant les Troyens sur un nouveau rivage,
Protogène en honneur et de son atelier
Sauvant Rhode lui seul des assauts du bélier;
Alexandre effrayé par l'image sanglante
Du triste Palamède immolé dans sa tente,
Croyant revoir le sang dont lui-même est souillé,
Dans son sein tout à coup le remords éveillé ;
Porcie à son époux s'arrachant en Romaine,
Et dans le même jour ne respirant qu'à peine,
Au tableau des adieux d'Andromaque et d'Hector;
L'image d'un soldat est plus puissante encor
Elle arme un peuple entier victorieux d'avance:
Pierre dans Pétersbourg, Médicis dans Florence,
Appellent la Peinture, et d'un de ses regards
Elle semble allumer le pur flambeau des arts,
Aux lieux qu'ils habitaient fait revivre leurs traces,
Et ranime le Russe engourdi sous ses glaces.
Jeune élève, cours donc, cours saisir les pinceaux;
Vole, apprête à ton art des triomphes nouveaux.

Un autre art né du tien s'empresse à reproduire En cent lieux différens le tableau qu'on admire; Par lui bravant le sort et ses coups imprévus

Tu vis où tu n'es pas, tu vis quand tu n'es plus,
La toile se consume, et ton ouvrage dure :
Ainsi périt chaque être, et jamais la nature.
A l'aspect des talens couronnés avec toi
Redouble de courage, agis, cherche, conçoi:
Hé! dans le champ des arts quel prix, quelle victoire
A jamais épuisé les moissons de la gloire ?

Elle tient des lauriers toujours prêts pour ton front;
Féconde le terrain, les palmes y croîtront.

Par les traits immortels qui les caractérisent,
Vois briller ces esprits que les cieux favorisent,
Ces célèbres humains créateurs dans leur art,
Élevés sur la foule, et comptés d'un regard,
Montrant par leur essor la distance infinie
Des efforts du travail aux élans du génie,

Planant sur l'univers, les flambeaux dans les mains,
De la hauteur des cieux éclairant les humains,

Ose les égaler en t'élevant sans guide,
L'envieux pâlira devant ton vol rapide;
Alors on sentira sous tes brûlans pinceaux
Ton âme tout entière éparse en tes tableaux.
Surtout, si jusqu'ici la nature tracée
Te laisse sans secours à ta vaste pensée;
S'il faut que ton pinceau, plus hardi sous ta main,
Tienne de l'infini dans un ouvrage humain,
Et peigne et vivifie une image immortelle,
Dont tes débiles yeux n'ont pu voir de modèle.

Quel nouveau Raphaël pourra montrer encor
Le Christ transfiguré sur le haut du Thabor?
L'air s'épure et blanchit; d'une splendeur divine
Son corps, son vêtement tout à coup s'illumine,
Son visage éblouit, l'éclair part də ses yeux,
Le Dieu tient en suspens les puissances des cieux.
Ses disciples, tombés le front dans la poussière,
Restent comme aveuglés sous ce poids de lumière.
Le peintre soutient seul ce céleste appareil,
Une fois l'œil de l'homme a fixé le soleil.

Moi-même je le sens, ma voix s'est renforcée,
Des esprits plus subtils montent à ma pensée,
Mon sang s'est enflammé plus rapide et plus pur,
Ou plutôt j'ai quitté ce vêtement obscur,
Ce corps mortel et vil a revêtu des ailes,
Je plane, je m'élève aux sphères éternelles,
Déjà la terre au loin n'est plus qu'un point sous moi.
Génie! oui, d'un coup d'œil, tu m'égales à toi,
Un foyer de lumière éclaire l'étendue.
Artiste, suis mon vol au-dessus de la nue.
Un feu pur dans l'éther jaillissant par éclats
Trace en sillons de flamme: Invente, tu vivras.

POÉSIES DIVERSES.

L'UTILITÉ DES DÉCOUVERTES

FAITES DANS LES SCIENCES ET DANS LES ARTS SOUS LE RÈGNE DE LOUIS XV.

Croire tout découvert est une erreur profonde;
C'est prendre l'horizon pour les bornes du monde.
Souvent, sans nous, le temps, quelquefois le hasard,
Fut l'auteur d'un prodige ou l'inventeur d'un art;
Mais plus d'un germe heureux demeure oisif encore,
Privé du feu divin qu'il attend pour éclore :
Le génie est ce feu, créer est son destin;
L'esprit d'un seul s'épuise, et non l'esprit humain.

Où suis-je entré? quel est cet appareil magique
Dressé pour nous offrir la puissance électrique ?
Un nouveau phénomène (1), un rival de l'aimant,
Un fluide subtil au double mouvement,

De tout ce qui l'enferme avec force s'échappe,
Il court d'un corps à l'autre, il étincelle, il frappe.
Moteur impétueux, son rapide secours
Peut au sang arrêté rendre son premier cours;
Utile découverte et ressource hardie
Pour cet art inventé par l'amour de la vie.

Est-ce en moi vain délire, ou prophétique ardeur ?
Mon espoir est trop grand pour n'être qu'une erreur;
Ce prodige naissant, dont la cause est obscure,
Mortels, doit être un jour la clé de la nature.
Séjour des malheureux que Thémis tient aux fers,
Et vous, lieux d'assistance au pauvre infirme ouverts,
Vous aussi, souterrains à qui nos bras arrachent
Les métaux dangereux que vos antres nous cachent,
Vaisseaux dans un long cours trop souvent égarés,
Qui portez tout un peuple en vos flancs resserrés,
A la contagion vous alliez être en proie;
Contre elle quel pouvoir la physique déploie !
Des zéphyrs excités le favorable essaim
Entre de toutes parts, erre dans votre sein;
Soudain tout est par eux rafraîchi d'un coup d'aile;
Leur haleine se joue, et l'air se renouvelle.
Héros, qui dans Lesbos te vis abandonné,
Au temps où tu vécus si cet art était né,
Peut-être on eût moins craint cette vapeur impure
Qu'au vaisseau de tes Grecs exhalait ta blessure.

(1) L'électricité.

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Quels trésors inconnus ces savans passagers
Cherchent-ils sur les mers à travers les dangers?
Disciples de Newton, flambeaux de la physique,
Les uns sont emportés où brûle l'écliptique,
Les autres sont guidés vers les antres du nord;
Louis même préside à leur pénible effort;
La soif de la science a dirigé leur route;
Des ports de nos climats partis avec le doute,
Ils revolent vers nous avec la vérité;

Ils n'ont craint que l'errear, et ce voile est ôté
Aux lieux où de la terre ils fixent la figure,
Une illustre colonne atteste sa mesure
Monument glorieux, plus digne de nos vers
Que celui dont Hercule étonna les deux mers.

Peinture, un nœud puissant aux sciences te lie;
Elles te doivent trop pour que ma voix t'oublie.
Avant nous le tissu par tes mains animé
Sous la lime du temps périssait consumé.
Quels secours! chaque image en son ordre enlevée (1)
Sur un autre tissu passe et vit conservée :
L'envie à cet aspect baisse un front confondu,
L'art renaît, l'œil s'étonne, et le temps est vaincu;
Vous vivez à jamais, héros, grâces, et sages,
Vous tous dans vos portraits, l'artiste en ses ouvrages.

Qui pourrait, du burin oubliant les progrès,
De ses traits délicats abaisser les succès ?
Ainsi que la peinture, il imite avec grâce;
Mais l'âme des couleurs manque aux objets qu'il trace.
Tout ne vit qu'à demi par ce sombre travail,
Les prés sont sans verdure, ct les fleurs sans émail.
Un autre art plus heureux dans l'instant multiplie,
Mais colore l'image, en augmente la vie :
Largesses du burin, vif éclat du pinceau,
Je vois tout réuni par ce talent nouveau.

Quel phénomène encor naît d'une autre industrie!
L'art des Zeuxis s'étend, s'éclaire et se varle ;
En vain de ce prodige un autre âge est l'auteur,
Le nôtre le retrouve, il en est l'inventeur :
On étale à nos yeux de nouvelles merveilles,
Peintes avec ces sucs cueillis par les abeilles;
De l'insecte rongeur ces traits sont respectés,
Sous quelque oblique aspect qu'ils nous soient présentés.
Jamais par le faux jour qu'on prendrait pour un voile,
On ne voit les objets confondus sur la toile;
Et l'on peut du pinceau réparer les erreurs,
Sans altérer l'accord des premières couleurs.
O découverte heureuse, et trop peu célébrée!

(1) La translation des tableaux d'une toile uséc à une autre.

O ressource publique à mon siècle assurée !
Sur les dons de Cérès quelle contagion!
L'épi tombait en poudre atteint d'un noir poison
Un génie a paru dont la France s'honore;
Habile, industrieux, plus citoyen encore;
Et, par un philtre utile avec art préparé,
Sous ses heureuses mains l'épi s'est épuré.

Combien d'autres secours l'homme aujourd'hui s'assure!
Que de voiles levés qui couvraient la nature !
Que de ressorts adroits inventés pour nos arts!
De regards créateurs jetés de toutes parts!
De succès trop nombreux, pour qu'ici je les peigne!
Combien d'autres vont naître, ô Louis, sous ton règne!
Il faut le voir entier pour remplir mon sujet;
Mais puisse être à jamais mon ouvrage imparfait!
Est aliquid sub sole novum.

A MADAME D

SUB LA MORT DE SON FILS, AGÉ DE HUIT AN&

Tu perds un fils dès ses plus jeunes ans; Douce espérance à ton cœur arrachée, Tendre fleur que les vents de leur souffle ont séchée Dès les premiers jours du printemps.

J'ai dû respecter des instans

Où la douleur même a des charmes;
Pour détremper un noir poison

J'ai dû laisser couler tes larmes;
Mais après la nature écoute la raison :
A sa clarté si ton œil s'ouvre,
Tu ne verras plus de tombeaux,
Tu verras seulement l'asile du repos,

Et sous le cyprès qui le couvre
Un enfant à l'abri des maux.

Né de toi, mère tendre, il eût été sensible..
C'est un bien trop incompatible

Avec le bonheur et la paix :

Ah! juges-en par tes regrets;

Ton fils est délivré d'un avenir pénible ;

Plus à plaindre vivant qu'il ne l'est chez les morts,

Il aurait bu jusqu'à la lie

La coupe amère de la vie

Dont il n'a touché que les bords.

Eh! que perd-il ? qu'eût-il vu sur la terre ? Malheur, crime ou sottise, impuissance des lois, Les préjugés, les passions en guerre,

Les humains policés et pervers à la fois,
Dangereux avec des mœurs douces,

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