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Et el saltere (') et en la rote (2). . . Sai-ge bien chanter une [note (un air).

Je pourrais multiplier les citations; mais l'existence de romans tels que ceux du Brut, de Tristan, de Cléomadès, de Berte aus grans piés, de Garin le Loherain, de Dolopatos, d'Aspremont, d'Aïol, de Claris, de Lancelot du Lac, des Enfances d'Ogier, de Challemaine (Charlemagne), de Raoul de Cambrai, de Buevon de Comarchis, du Renart, de Melusine, de Merlin l'Enchanteur, de Gerars de Roussillon, de la Violette, de Guillaume au court nez, du Saint Gréaal, de Valentin et Orson, d'Arthus, de la Rose, etc., suffit pour prouver d'une manière irrécusable que nous possédions, à cette époque, une littérature aussi belle que riche.

Le manuscrit qui contient le poème de Robert fait partie de la Bibliothèque du roi, où il est coté sous le no 21-3, fonds de l'église de Paris. Ce poème, dont on ne connaît point l'auteur, mais que je suppose avoir été écrit vers le commencement du quatorzième siècle et chanté comme une foule d'autres ditiés, est composé de deux mille vingt-quatre vers, tantôt de six, tantôt de sept syllabes, et divisés par couplets de huit lignes. Le texte n'en a point encore été imprimé, et jamais aucune traduction n'en a été publiée. Voici le titre qu'il porte dans le manuscrit que je viens de citer(3) :

(1) Instrument à cordes. C'est le même que le psaltérion (du grec faw). Les Hébreux le connaissaient, car David dit, dans son psaume CL, v. 3: Hallouhou bthqå schofar; hallouhou bnêbêl vchinor! «Louez-le au son de la trompette, louez-le avec le psaltérion (nêbêl) et la harpe ! »

(2) Legrand d'Aussy, dans le tome Ier de ses œuvres, affirme que la rote ou la route était une espèce de guitare. Je crois qu'il s'est trompé, et que c'était plutôt une vielle, attendu que cet instrument possède une roue (rota).

(3) Je me suis permis de faire en plusieurs endroits diverses corrections et restitutions qui m'ont paru indispensables : c'est ainsi qu'au vers 22 j'ai ajouté un s au mot de; an vers 136 un E à la place d'un 0, au vers 167 retranché l's de dist, qui est au prétérit et non au présent; retranché également au vers 2,002 l'e

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CI COMMENCE

LE DIT DE ROBERT-LE-DIABLE.

El nom de Jhesù-Crist,

Qui est nostre douz pere,
>> Veul commencier ung Dit',
» Mes por la grant misère
>> Que je sent dedenz moy,
»Pri à sa douce Mere
» Que je puisse conclurre
» Par tel point ma matère,
Qu'à tuit ceulz qui l'orront
>> Puist estre profitable.
>> Bone gent il n'est Roy,
» Prince né Connestable,
» S'il se sent en pechié
» Et ne se rent coupable,
» Qu'il ne faille qu'il chié (tombe)
» En la main du Déable.
» Bon se feroit garder
>> De chéoir en teulz roys
>> Car qui chiet n'en ist (sort)
» En .ij. mois né en .iij.
Et faut quil y demeure

>> Tant que li Roy des Roys
>> Demourra en la joie
» Où il n'a nus destrois,

» C'est ou solaz des ciex ( cieux ) » Où touz porrons venir, » Se du cuer nous meton » A Jhesù-Crist servir, »Si comme fist celuy »De qui porrons oïr. »Il fut né à Rouen, » Mès moult ot à souffrir » Avant que fut absous »Des maus qu'avoit brascés ; » Fu Robert le Déable »De toutes genz nommés; »Vous orrez par quel cause » S'entendre me voulez : » Il ot en Normendie, Au temps que vous oëz, » Un Duc bon justicier Et hardi et appert; » Les Croniques tesmoingnent » Qu'il avoit non Aubert (1), » A servir Jhesu-Crist

(filets)»

» Avoit le cuer ouvert.
» Bien emploie son temps
» Qui a tel Seignour sert. »

II existait jadis en Normandie un duc bon justicier, vaillant et débonnaire, et qui aimait et craignait Dieu. Il était chéri de ses vassaux, qui voyaient moins en lui un souverain qu'un père; il consacrait, en effet, tous ses momens à adoucir leur sort, à augmenter leurs priviléges; semblable à l'empereur Titus, il regardait comme perdus les jours où il n'avait pas fait d'heureux. En s'occupant ainsi des autres,

du mot sourte, ce qui complète la mesure; mis ailleurs l'acors au lieu de la cort, etc. Enfin j'ai expliqué entre parenthèses les mots qui pouvaient présenter quelque difficulté.

() Il se nommait Aubert. Le premier duc de Neustrie dont l'histoire fasse mention portait en effet ce nom; il fut enterré à Fécamp. Ainsi l'auteur du poème de Robert a commis une erreur en affirmant que son fils fut le fondateur de cette abbaye. Cette erreur n'est pas, au reste, la seule qu'on ait à lui reprocher.

il s'oubliait lui-même; en contemplant avec délices la félicité domestique de ceux qui l'environnaient, il ne pensait point à goûter à son tour les douceurs de l'hymen. Ses barons le pressaient souvent de se marier; mais il leur répondait ordinairement que, s'il hésitait pour prendre femme, c'était parce qu'il craignait de n'en trouver aucune à son gré. Une fois cependant ils parvinrent, à force de représentations et d'humbles prières, à ébranler le projet qu'il semblait avoir formé de mourir sans postérité.

« Vous me pressez, leur dit-il, à demi vaincu par leurs instances, vous me pressez de quitter le célibat : ne savezvous donc point que la plupart des femmes sont fières, orgueilleuses et vaines, et qu'en général elles ont trop de hauteur ou n'en ont pas assez; que la coquetterie est leur moindre défaut, et qu'il est plus aisé de percer la lune à coups de lance que de connaître le fond de leurs pensées?»

L'un des seigneurs présens lui répliqua que, de même qu'il n'existait point de règle sans exception, il connaissait une dame, la fille du duc de Bourgogne, à laquelle certainement les reproches qu'il adressait au beau sexe ne pouvaient s'appliquer.

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Aubert, pour céder au vœu de ses fidèles vassaux, envoya des messagers demander la main de la demoiselle; elle lui fut accordée, et la cérémonie nuptiale eut lieu à Rouen, dans la grande chapelle.

()... Fille au duc de Bourgoigne. C'était une princesse qui possédait d'excellentes qualités. Elle s'appelait Gertrude (fidèle amie), du teuton gèr, arme, et trud, fidèle, sincère. Gewher et treu sont encore en allemand synonymes de gèr et de trud. Gertrude ne signifie donc pas, ainsi que l'a prétendu un écrivain du dernier siècle, druidesse de la guerre. Les Teutons, qui se faisaient souvent accompagner dans leurs excursions par leurs enfans et leurs femmes, ont pu vraisemblablement donner à ces dernières le nom

Au bout de dix-huit ans de mariage, ils n'avaient point encore d'enfans, et ils s'en désespéraient tous deux. Le duc surtout disait souvent à sa ducesse : « Hélas! que nous sommes à plaindre de ne pouvoir serrer dans nos bras un enfançon! Le dernier des manans est plus heureux que nous. » Un jour, entre autres, il s'exprima en ces termes : « Je crois vraiment que l'on commit un péché en nous unissant ; car je suis persuadé que si un autre homme que moi s'appelait votre époux, vous concevriez aussi facilement que j'engendrerais des enfans si j'avais une autre femme..... Cependant je ne désire point votre mort. » En achevant ces mots il partit pour la chasse.

La duchesse s'assit rêveuse et déplora son malheur:

«En supirant a dit :

» Diex! me het bien le Roy.
>> J'encontre moult de fammes,
>>Qui n'ont né ce né quoi
» Sont .iiij. enfans ou .iij. (1)

» A poi que ne renoi
» Dieu et tout son pooir,
Je suis en grant anoi
» Puis qu'il ne me veult
»Nus enfanz envoier.

Le duc, de son côté, se livrait aussi à ses méditations. Voulant tenter un dernière épreuve, il

« S'en retourna du bois

>> Et vint en sa maison
>> La ducesse trova
» Moult forment courouciee,
» En l'eure l'acola,
>> Tendrement la baisie...
» Du surplus quil li fist

» Ne vous parlerai mie point
»Mès sachiez que le duc
» Dit: Douz Diex, je vous prie
» Qu'il vous plaist que j'engendre
»Enfant en ceste Dame,

» Veilliez que il vous serve
» Ausauvement de s'ame (de son
[ame)!

d'être dans d'aussi pieuses
ciel ne veut point m'accor-

La duchesse, qui était loin dispositions, dit : « Puisque le der d'enfant, si je peux en avoir un, je le donne au diable (2)! »

de fidèles guerrières pour celui d'amies, d'épouses fidèles, surtout lorsqu'elles combattaient à leurs côtés, ce qui arrivait quelquefois.

(1) Le manuscrit porte par erreur « S'ont .iij. enfans ou .iiij. » (1) .. Je le voue au diable. Les Vraies Chroniques

Quelques mois après, elle accoucha d'un garçon qui fut cruel, volontaire, et qui n'eut même pas son pareil pour la méchanceté.

« Il fu de sa nature

» Si tres cruel tirant

F

» Qu'en (qu'on) ne trouvast pas » En cest sicle vivant». [pire

Il fut baptisé : 'on l'appela Robert ('); il pleurait, il criait toujours et était si méchant qu'aucune femme ne voulait lui donner le sein; il mordait les mamelles à toutes ses nourri ces. — Ildevint, plus tard, grand et beau. Dès qu'il put marcher dans les appartemens et tenir un bâton, il courut après les enfans et les battit sans miséricorde; il crevait un œil à l'un et brisait les reins à un autre. Les seigneurs, enchantés de ces dispositions belliqueuses, riaient de ce qu'ils appelaient ses premières prouesses. Le duc et la duchesse l'aimaient passionnément. - Lorsqu'il fut devenu plus fort il éprouva le besoin d'agrandir le cercle de se exploits; il courut par les rues et rossa tous les bambins qu'il rencontrait sur son passage. Aussi, quand ils l'apercevaient de loin, ceux-ci

« A haulte voir disoient : >> Fuions ent en maison,

» Vescy Robert le Déable
» En sa main .j. baston»!

Bientôt il ne fut plus connu que sous le nom de Robert-leDiable. Lorsqu'il eut atteint sa septième année, son père le manda en sa présence: « Biax filz, lui dit-il, il est temps que vous vous instruisiez. >>

de Normendie (manuscrit no 9,857) ne s'accordent pas entièrement sur ce point avec notre texte. « Le duc Aubert vint par ung sa›› medy de chacier des forests et voust gésir ( coucher) oy de sa » moullier. La dame refusa à gésir o son mary... ( le reste ne peut >> s'écrire); et com la dame ne osa deneer la compaingnie de son » Seignour, par courouz ele dist que jà n'eust Dieu part en chose qu'ilz feissent. Aussy le dit le Duc. »

(') ... On l'appela Robert. Robert vient, je crois, du latin roboratus, fortifié, ou de robur, la force. Bert en teuton correspond au mot enfant; d'où l'écossais bairn (child), Sigebert, l'enfant de la victoire, Adalbert et Albert, le noble enfant, etc.

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