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voyait ici plus loin que bien des politiques, et quand le rêve s'est réalisé, l'honnête homme chez Béranger a eu le bon sens de ne pas démentir le poëte. Il n'a pas donné tort à son passé.

Est-il besoin de rappeler à des générations qui, de puis soixante ans jusqu'à vingt, les savent par cœur, tant d'immortelles chansons? et celle qui est la première de ce ton, mais encore gaie et légère, parce que la victoire laisse encore entrevoir de brillants retours (janvier 1814):

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et toutes celles où il se remet, après les humiliations et les défaites, poëte attristé, à sonder et à panser les plaies des cœurs vaillants? En 1819, les alliés qui l'occupaient ont enfin quitté le sol de la France; Béranger s'écrie :

Reine du monde, ô France, ô ma patrie!
Soulève enfin ton front cicatrisé...

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Avec Béranger il suffit de donner la note, chacun achève. Le Cinq Mai ou Napoléon à Sainte-Hélène, le Vieux Sergent, le Vieux Drapeau, le Chant du Cosaque, Waterloo, quels plus beaux hymnes, quels accents plus vibrants sont-ils jamais sortis en aucun temps d'une âme nationale et guerrière! Béranger, plus que personne, a entretenu en France le culte de la gloire et des plus nobles signes auxquels elle s'est attachée dans les années héroïques du siècle :

Quand secoûrai-je la poussière
Qui ternit ses nobles couleurs ?

Le drapeau tricolore était le drapeau de Béranger. Il est venu un jour où ce drapeau s'est relevé; mais il s'est relevé sans l'aigle : on n'eut point le drapeau tout entier. Béranger a vu ce jour, il y a applaudi, il y avait tous ses amis mêlés et engagés, et tous plus ou moins ministres; et cependant il ne l'a pas chanté, ce jour-là, ce jour de demi-triomphe. Est-ce uniquement parce qu'il aimait surtout à être le poëte des vaincus, et non celui des vainqueurs? Ce n'est pas à croire, et il n'y a pas moins d'inspiration pour le vrai poëte à chanter une victoire fièrement achetée qu'une défaite généreuse. Béranger, en 1830, et dans les années qui ont suivi, a peu ou point chanté, parce qu'il n'était qu'à demi satisfait alors dans ses sentiments de patriote. Il savait tout ce que les sages et les prudents pouvaient dire, et il se le disait même aussi; mais le poëte en lui ressentait un regret; et quand vinrent peu à peu, et successivement, d'honorables journées militaires pour ce régime politique auquel il assistait, ce n'était pas pour lui, poëte patriote, une joie entière, inspiratrice; car ce n'était point là ce qui pouvait s'appeler une revanche en plein soleil de cette journée néfaste de laquelle il avait dit:

Son nom jamais n'attristera mes vers!

ce n'était pas une abolition assez éclatante de ce chant insultant d'un vainqueur sauvage, à qui il avait fait dire en son ivresse :

Retourne boire à la Seine rebelle,

Où tout sanglant tu t'es lavé deux fois;
Hennis d'orgueil, ô mon coursier fidèle,
Et foule aux pieds les peuples et les rois!

Ces jours réparateurs, de pleine et glorieuse allégeance, ces jours de grande lutte victorieuse, Béranger les a vus

avant de mourir, et nul doute que, si sa muse avait eu vingt ans de moins, elle n'eût trouvé des accents pour les célébrer. Le retour de l'armée de Crimée et son entrée dans Paris, quel sujet d'héroïque chanson pour Béranger!

Ses derniers chants, non encore publiés et dont quelques amis ont entendu dès longtemps la confidence, sont, nous dit-on, dans le genre des Souvenirs du peuple:

On parlera de sa gloire

Sous le chaume bien longtemps.

Parlez-nous de lui, grand'mère,
Parlez-nous de lui!

Ce sont des espèces de chansons épiques, d'une forme accomplie et sévère, consacrées à fixer certains moments de cette grande destinée de Napoléon dont il s'est montré préoccupé jusqu'à la fin, jaloux comme poëte de confondre de plus en plus sa popularité dans cette gloire.

Béranger, dans ses dernières années et avant que la maladie de cœur à laquelle il a succombé le retînt dans sa chambre, se faisait remarquer par une qualité rare et qui dénotait l'excellence de sa nature: il était le plus activement obligeant et le plus utilement serviable des. hommes. Honoré de tous, ne trouvant en tous lieux que des admirateurs et des amis, ne voulant rien pour lui-même, il osait demander pour les autres; il est peu de personnes qui se soient adressées à lui sans lui être redevables en quelque chose. Il excellait à donner des conseils pratiques et appropriés. Ses lettres, écrites avec soin à la fois et avec naturel, ont certainement été conservées par tous ceux qui en ont reçu; on en pourra faire un recueil charmant et d'une grande richesse morale, qui sera dans le ton de Franklin. Ce sera un

aspect nouveau, mais non imprévu, de sa personne morale.

Assez d'occasions s'offriront de ramener l'attention publique sur les titres d'une renommée qui est dès longtemps le patrimoine universel : aujourd'hui il convenait de remarquer avant tout cette partie supérieure et puissante du talent, par laquelle le poëte léger, et si souvent brillant dans la gaieté et dans le badinage, a eu l'art et le bonheur de graver son nom sur l'un des marbres les plus indestructibles de l'histoire.

andredi, 3 décembre 1839.

SUR LE LOUIS XVI

DE M. AMÉDÉE RENÉE.

L'auteur de Madume de Montmorency, qui vient si heureusement de rappeler l'attention sur cette figure de noble et sainte veuve, et de nous la montrer à genoux en prière devant un tombeau, M. Amédée Renée, publie en ce moment un volume, non plus de récit épisodique, mais de véritable histoire politique sur un sujet bien connu, tant de fois étudié, mais qui n'est jamais épuisé : Louis XVI et sa Cour (1). S'étant chargé, il y a quelques années, de mettre la dernière main à la grande œuvre de Sismondi, « ce monument de la science historique que sa mort avait laissé inachevé, » M. Renée eut à entreprendre ce tableau du règne de Louis XVI, qu'il mena jusqu'à l'époque de la Révolution : « C'est cet ouvrage que je réimprime, dit-il, après en avoir soumis le fond et la forme à une révision laborieuse, et l'avoir, en quelque sorte, renouvelé par des recherches et des documents nouveaux. » Ceux qui liront le volume de M. Renée jugeront qu'il a tenu tout ce qu'il promet. L'esprit dans lequel le livre est conçu est un bon esprit; j'appelle ainsi celui qui consiste à ne pas arriver sur le sujet avec une prévention et un système,

(1) Librairie de Firmin Didot, rue Jacob, 56.

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