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étudiant la matière. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'il fut déterminé à s'y appliquer par une obligation, qui ne pouvoit être ni plus simple, ni plus naturelle. Ce fut, comme on vient de voir, au commencement de son épiscopat dans le livre à saint Simplicien, à l'occasion, non des questions que fit naître l'hérésie, mais de celles que lui proposoit, dans un esprit pacifique, ce fidèle serviteur de Dieu, sur quelques versets de l'épître aux Romains. Alors donc, dans le temps que le ministère de l'épiscopat et les lettres des plus grands évêques qui le consultoient, l'obligeoient à épurer sa doctrine, alors, dis-je, dans cette importante conjoncture, il vit le fond de tout ce qu'il a enseigné depuis sur la matière de la grâce; en sorte que l'hérésie pélagienne s'étant élevée long-temps après, elle le trouva si préparé, qu'il n'eut plus qu'à étendre et à confirmer ce que Dieu lui avoit fait voir dans les épîtres de saint Paul.

Ces changemens de saint Augustin paroîtront bien naturels, si l'on considère la nature et les progrès de l'esprit humain. Un philosophe de notre siècle disoit, que l'existence d'une première cause et d'un premier être frappoit d'abord les esprits, en considérant les merveilles de la nature; qu'elle sembloit échapper, lorsqu'on entroit un peu plus avant dans ce secret; mais qu'enfin, elle revenoit pour n'être plus ébranlée, en pénétrant jusqu'au fond. A plus forte raison pouvons-nous dire que les grandes vérités de la religion, telles que sont celles de la grâce qui nous convertit et nous inspire en toutes choses, gagnent d'abord un cœur chré

tien; qu'en pénétrant la superficie d'une vérité si profonde, on trouve les doutes, parmi lesquels elle semble comme disparoître pour un temps, sans néanmoins que le cœur en soit éloigné; qu'enfin, entrant dans le fond, elle revient et plus ferme et plus claire; en sorte que non-seulement elle ne peut plus être ébranlée, mais encore qu'on est capable d'y amener ceux qui l'ignorent, et de renverser ceux qui la combattent.

CHAPITRE XVI.

Trois manières dont saint Augustin se reprend lui-méme dans ses Rétractations: qu'il ne commence à trouver de l'erreur dans ses livres précédens que dans le vingttroisième chapitre du premier livre des Rétractations : qu'il ne s'est trompé que pour n'avoir pas assez approfondi la matière, et qu'il disoit mieux, lorsqu'il s'en expliquoit naturellement, que lorsqu'il la traitoit exprès, mais encore foiblement.

C'EST lui-même qui nous apprend ce progrès de ses connoissances; et il faut soigneusement remarquer qu'il ne dit pas que l'erreur dont il a eu à se corriger avant son épiscopat, fut une erreur répandue dans tous les ouvrages qu'il écrivoit avant ce temps: On trouvera, dit-il (1), cette erreur dans quelques-uns de mes ouvrages avant mon épiscopat, et non pas en tous, ni en la plupart; à quoi il faut ajouter que le premier de ses ouvrages, où il marque de l'erreur sur la prévention de la grâce, est celui (1) De præd. SS. c. 111. n. 7.

de l'exposition de quelques propositions de l'épître aux Romains, qui est aussi le premier où il examine exprès, mais encore foiblement, comme on a vu, les questions de la grâce. Auparavant, où sans aucun examen exprès, il parloit selon la simplicité de la foi, il ne remarque aucune erreur dans ses discours au contraire, il montre partout, que ce qu'il disoit du libre arbitre ne nuisoit point à la grâce, dont il n'étoit pas question alors. Ainsi tout ce qu'il disoit étoit véritable, encore qu'il ne dît pas tout, mais seulement ce qui faisoit aux questions qu'il avoit entre les mains; en sorte que sans rien reprendre dans ses sentimens, il ne lui restoit qu'à les bien exposer. C'est ce qu'on peut observer dans les vingt-deux premiers chapitres de ses Rétractations; car loin qu'il s'accuse alors d'avoir erré sur la grâce, nous avons vu clairement qu'il croyoit l'avoir enseignée dans ses livres du libre arbitre avec aussi peu d'erreur, que s'il avoit eu à s'en expliquer contre Pélage présent.

L'endroit donc où il commence à se tromper et à marquer son erreur, c'est ce livre dont il a parlé au vingt-troisième chapitre du premier livre des Rétractations, qui est celui de l'exposition sur l'épître aux Romains. Auparavant il est sans tache, et son ouvrage des Rétractations se réduit à trois points; car ou il explique ce qu'il a dit, en disant plus distinctement ce qu'il n'avoit dit qu'en général, ou il supplée ce qui manque, en ajoutant ce qu'il a omis, parce qu'il n'étoit pas de son sujet, ou il se reprend et se corrige comme ayant été dans l'erreur, ce qui commence seulement à ce vingt-troisième

chapitre qu'on vient de marquer, où il rétracte ce qu'il a écrit sur l'épître aux Romains.

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Encore faut-il observer de quelle manière il se trompoit. Ce n'étoit point par un jugement fixe et déterminé mais comme un homme qui cherchoit, et encore imparfaitement : NONDUM DILIGENTIUS QUÆSIVERAM : qui n'avoit point encore trouvé : nec ADHUC INVENERAM : qui traitoit la question avec moins de soin: MINUS DILIGENTER: qui ne croyoit pas même encore être obligé à la traiter à fond: nec putavi quæRENDUM ESSE, NEC Dixi: qui ne savoit pas bien ce qui en étoit, et qui en parloit en doutant : SI SCIREM, si j'eusse su (1). Ainsi il ne savoit pas s'il disoit bien auparavant, ce n'étoit point par science, comme après un examen exact, mais par foi et sans rechercher. Il disoit cependant trèsbien, comme il le remarque lui-même (2) : RECTISSIME DIXI; mais non pas encore d'un ton assez ferme, ni d'une manière assez suivie. Il étoit à peu près dans le même état, lorsqu'il répondit aux quatrevingt-trois questions (3). Il agitoit la matière et approchoit de la vérité dans ces deux livres qui se suivirent de près, et tous les deux ne précédèrent que de peu de temps celui à Simplicien, où la recherche étant plus exacte, il arriva aussi, comme on a vu, à la pleine connoissance de la vérité.

Et il y a cela de remarquable dans tout ce progrès, qu'il disoit mieux en parlant de l'abondance du cœur sans examiner la matière, qu'il ne faisoit en l'examinant, mais encore imparfaitement; ce qu'on ne doit pas trouver étrange, parce qu'ainsi

(1) Retract. 1. c. XXIII. n. 2, 3, 4. — (2) Ibid. — (3) 83 q. 68.

qu'il a été dit, dans ce premier état, la foi et la tradition parloient comme seules, au lieu que dans le second, c'étoit plutôt le propre esprit. C'est un caractère assez naturel à l'esprit humain de dire mieux par cette impression commune de la vérité que lorsqu'en ne l'examinant qu'à demi, on s'embrouille dans ses pensées. C'est là souvent un grand dénouement pour bien entendre les Pères, principalement Origène, où l'on trouve la tradition toute pure dans certaines choses qui lui sortent naturellement, et qu'il embrouille d'une terrible manière lorsqu'il les veut expliquer avec plus de subtilité; ce qui arrive assez ordinairement avant que les questions soient bien discutées, et que l'esprit s'y soit donné tout entier.

CHAPITRE XVII.

Quatrième et dernier état des connoissances de saint Augustin; lorsque non-seulement il fut parfaitement instruit de la doctrine de la grâce, mais capable de la défendre l'autorité qu'il s'acquit alors. Conclusion contre l'imposture de ceux qui l'accusent de n'avoir changé que dans la chaleur de la dispute.

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Quoi qu'il en soit, on ne peut plus dire, sans une malice affectée, que saint Augustin n'ait changé ses premiers sentimens sur la grâce, que dans l'ardeur de la dispute; puisqu'on le voit tomber naturellement et à mesure qu'il approfondissoit de plus en plus les matières, dans la doctrine qu'il a enseignée jusqu'à la mort : Dieu le conduisant par la main,

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