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Hoc noffe

primitus, & Chriftiano

n'ont prefque point d'autre fondement. Car enfin nous defirons & nous efperons toûjours, parce qu'il y a toujours au-de-là du but que nous nous fommes propofez, je ne fçay quoy où nous afpirons fans ceffe, & où nous ne parvenons jamais: & de là vient que nous ne fommes jamais contens dans la joüiffance des chofes que nous avons fouhaittées le plus ardem

ment.

Mais pour parler chreftiennement du je ne fçay quoy, n'y en at-il pas un dans nous, qui nous fait fentir, malgré toutes les foibleffes & tous les defordres de la nature corrompuë, que nos ames font immortelles; que les grandeurs de la terre ne font pas capables de nous fatisfaire; qu'il y a quelque chofe au deffus de nous, qui eft le terme de nos defirs, & le centre de cette felicité que nous cherchons par tout, & que nous ne trouvons nulle part? Les ames vrayment fidelles ne connoiffent-elles pas, comme dit un Pere de l'Eglife, que nous

ad præfentis

avons efté faits Chreftiens, non pas corde tenere pour les biens de la vie prefente, debemus, non mais pour je ne fçay quoy d'un au- temporis bona tre ordre que Dieu promet dés nos factos ef cette vie, & que l'homme ne peut nos, fed ad pas encore concevoir.

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fe Chriftia

promittit, &

ferm. 64. de

S. Auguft.

verb. Dom.

nefcio quid aliud quod Ainfi donc, interrompit Euge- Deus jam ne, le je ne fçay quoy eft de la grace, homo nonauffi-bien que de la nature & de dum capit. l'art? Ouy, reprit Arifte; la grace elle - mefme cette divine grace, qui a fait tant de bruit dans les Ecoles, & qui fait des effets fi admirables dans les ames; cette grace fi forte & fi douce tout enfemble, qui triomphe de la dureté du cœur, fans bleffer la liberté du franc arbitre : qui s'afsujettit la nature en Nefcio quid s'y accommodant; qui fe rend maî- magnum eft quod vifuri treffe de la volonté, en la laiffant fumus,quando maiftreffe d'elle - mefme; cette gra- noftra vifio ce, dis-je, qu'eft-ce autre chofe, que eft. S. Aug. je ne fçay quoy de furnaturel & de divin, qu'on ne peut ni expliquer, ni comprendre, non plus que la gloire qui en eft le fruit?

Les Peres de l'Eglife ont tâché de la définir, & ils l'ont appellée une Ff iiij

tota merces

vocation profonde & fecrette, une impreffion de l'efprit de Dieu, une onEtion divine, une douceur toute-puif fante, un plaifir victorieux, une fainte concupifcence, une convoitife du vray bien; c'est à dire, que c'eft quelque chofe qui fe fait bien fentir, mais qui ne fe peut exprimer, & dont on feroit bien de fe taire.

Je conclus de tout cela, dit Eu-` gene, que les fçavans & les ignorans font égaux en la connoiffance du je ne fçay quoy, ou plûtoft que le je ne fçay quoy eft l'afyle de l'i-· gnorance; car il me femble qu'on fe fauve toûjours par là, quand on ne fçait plus que dire. Mais je n'euffe jamais creû, ajoûta-t-il, que le je ne fçay quoy nous eût menez fi loin: je voy bien qu'il n'eft rien de tel que de parler des chofes qu'on n'entend pas, & dont les livres ne parlent point.

Il eft vray, pourfuivit Arifte, que le je ne fçay quoy eft peut-eftre la feule matiére fur laquelle on n'a point fait de livres, & que les do&tes n'ont pas pris la peine d'éclair

cir. Il s'eft fait des difcours, des differtations, & des traittez fur les fujets les plus bizarres; mais aucun Auteur que je fcache n'a travaillé fur celuy-cy.

Il me fouvient, dit Eugene, d'avoir leû dans l'hiftoire de l'Academie Françoife, qu'un des Academiciens prononça un jour dans l'Academie un difcours fur le je ne fçay quoy: mais comme ce difcours n'a point paru, le monde n'en a pas efté plus inftruit qu'il l'eftoit auparavant; & peut-eftre que quand ce difcours Academique auroit efté mis en lumiére, nous n'en ferions pas plus fçavans que nous fommes; cette matiére eftant de la nature de celles qui ont un fond impenetrable, & qu'on ne peut expliquer que par l'admiration, & par le filence. Je fuis bien-aife, dit Arifte, que vous preniez enfin le bon parti, & que vous vous contentiez d'admirer ce que d'abord vous vouliez comprendre. Si vous me croyez, ajoûta-t-il, nous en demeureronslà, & nous ne dirons plus rien d'u

ne chofe, qui ne fubfifte que parce qu'on ne peut dire ce que c'eft: auf fi-bien il eft temps de finir noftre promenade; l'air fe brouille de tous coftez, la pluye commence, & nous fommes en danger d'effuyer l'orage qui fe prépare, fi nous ne nous retirons bien-toft.

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