parlant comme jamais prêtre catholique n'a parlé, mettra aux prises l'inspiré que vous venez d'entendre, et le raisonneur par lequel cet inspiré est si bien confondu, pour voir ce qu'ils pourront se dire dans cette dpreté de langage ordinaire aux deux partis. Ensuite, ajoutant d'un ton vraiment pénétré: voila bien des difficultés , mon enfant, il rendra du fond du caur ce témoignage irrécusable que tel est le langage de ceux de sa secte. ( Prof. de foi, et 2.me lett. de la mont.) Ah! s'écrièrent les hommes sensibles, ce dernier trait est touchant et va au coeur; il porte la conviction avec lui. Cela est vrai, dirent d'autres philosophes: mais il donne lieu à une seconde question. Qui est-ce qui garantira au lecteur l'existence et le témoignage de ce prêtre si savant et si vertueux? Moi-même, leur répondit Rousseau; moi, qui par une modestie qu'on ne peut trop louer, me mettrai à couvert sous ce nom imposant. Voici ce qu’on lira immédiatement avant la Profession de foi de mor vicaire savoyard : « au lieu de » vous dire ici de mon chef ce que je pense, je » vous dirai ce que pensoit un homme qui valoit » mieux que moi. » Vous l'entendez; mieux que moi , c'est beaucoup ; car au jour du jugement je défierai, en présence de Dieu même, l'univers entier de produire un seul homme qu'on puisse : me comparer, et qui ose dire : je suis meilleur que cet homme-la. (*) Les philosophes se regardèrent avec étonnement. Il est fou , disoient les uns ; quelle grande ame ! s'écrioient les autres. Pour lui il poursuivit imperturbablement. « Je garantis, ajouterai-je, la vérité des faits » qui vont être rapportés. » (Em., t. 2.) Or ma parole doit suffire : car je déclarerai expressément dans le même endroit que je n'oublierai jamais ma devise; et cette devise est, comme tout le monde sait, vitam impendere vero. Les philosophes trépignoient de joie. Commé toutes ces idées s'enchaînent , disoient-ils ; quel tissu elles forment ! L'infame y demeurera enveloppée sans espoir de s'en dégager jamais. Vous sentez donc, dit Rousseau, combien en philosophie les raisonnemens tirent de force de l'art avec lequel ils sont employés : ce n'est pas le tout que de les découvrir ; il faut encore savoir les présenter et les développer : ce sont deux talens que je possède dans un degré égal. Au jugement de nos sages , jamais éloge ne fut mieux mérité : ils reconnurent dans Rousseau un logicien des plus adroits ; et d'une voix unanime, ils le placèrent au nombre des grands Dieux de la : (*) C'est ainsi que Rousseau commence ses Confessions. Ce début étonne dans un livre de ce genre: il étonne bien plus encore quand on a lu le livre entier ou seulement quelques pages. philosophie. Suspendez votre enthousiasme , leur dit le modeste philosophe : vous n'avez pas encore entendu ce qui fait la principale force de mes raisonnemens ; ce sont les paroles touchantes par lesquelles je dois les terminer, et qui en seront comme le sceau. Pour qu'elles produisent plus d'effet, je les mettrai dans la bouche de mon vicaire savoyard. Ensuite il se recueillit profondément , croisa ses deux bras sur sa poitrine, inclina la tête , et dit d’un ton presque dévot, ces paroles qui sembloient partir du fond de son coeur : « Je prends » à témoin ce Dieu de paix que j'adore, et que je » vous annonce que toutes mes recherches ont » été sincères ; mais voyant qu'elles étoient , » qu'elles, seroient toujours sans succès, et que » je m'abîmois dans un océan sans rives, je suis » revenu sur mes pas, et j'ai resserré ma foi dans » mes notions primitives. » ( Prof. de foi.) Eh bien! ajouta-t-il en reprenant sa première attitude , n'ai-je pas trouvé un moyen sûr de subjuguer mes lecteurs. Je vous l'annonce prédiction ne sera point vaine : cette éloquence pathétique entraînera infailliblement le sot public: c'est ainsi que je l'appellerai. Je le connois; c'est en le traitant avec mépris que je compte l'attacher à mon char. Ce calcul est sûr, lui dit d'Alembert. « Vous > plairez à la multitude par le mépris que vous » témoigncrez pour elle. » (Lett. à Rouss.) و et ma Ce sont en effet ces petites grimaces de charbatan plus que les talens réels de Rousseau, qui pendant sa vie et quelques années encore après sa mort, lui ont fait un si grand nombre de prosélites. La justesse et la profondeur de ses vues furent senlies par plusieurs de nos philosophes, qui prirent aussitôt la résolution de l'imiter. C'est ce qui nous a valu tant de plates copies d'un assez grotesque original. Voltaire prévit comme les autres les succès du philosophe de Genève, et il en conçut un dépit mortel. Vous verrez , dit-il en lui-même, que ce gredin partagera un jour mon trône philosophique. Cependant comme Rousseau lui donnoit le nom de grand-homme , qu'il montroit la plus grande déférence à ses lumières , (Lett. sur la prov.) qu'il sembloit attendre de lui une célébrité après laquelle il soupiroit et dont il ne jouissoit pas encore , que d'ailleurs il pouvoit être d'un grand secours à la bonne cause , il dissimula quelque temps sa jalousie et sa haine, et il continua même à le protéger. CHAPITRE XVI. Quatrième séance. — Comment les philosophes attaquent la morale du christianisme. Dans la séance suivante, la doctrine du chris. tianisme attira l'attention de nos sages. Ce fut le moment de leur plus violent embarras. La morale de l'Evangile étoit l'objet spécial de leur haine ; et c'étoit précisément cette morale qu'ils osoient le moins attaquer : le secret de leurs cæurs eût été trop promptement dévoilé. Loin de gagner le public, ils l'auroient révolté et éloigné d'eux peutêtre pour toujours. Il fut décidé qu'ils attendroient, pour porter les grands coups, que l'empire de la philosophie fût mieux établi, ou plutôt qu'ils laisseroient cette fonction à leurs successeurs. Nous avons vu depuis avec quelle chaleur et quelle énergie l'auteur de la Religion universelle et d'autres philosophes de nos jours ont rempli leur attente. (*) Mais quoi! s'écrièrent-ils plus furieux qu'ils ne l'avoient encore été, laisserons - nous subsister cette terrible morale ? elle déposera contre nous en faveur de la religion que nous voulons renverser. — Il y a un moyen de parer ce coup, répondirent quelques philosophes qui pensoient avee (*) On en verra bientôt des preuves. |