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qui commandait dans cette province, se trouvait en tournée dans les montagnes, et que les Coumourlis étaient occupés aux travaux de la campagne. A la faveur de cette espèce de suspension d'armes occasionée par la récolte, ils avaient communiqué un plan d'évasion aux assiégés. Ceux-ci devaient partir à une époque fixe et être rejoints en route par les Turcs candiotes, qui auraient couvert leur retraite.

Ce plan aurait obtenu un plein succès, si les Turcs ne s'étaient pas amusés à brûler un village grec situé sur leur chemin. A la vue de l'incendie qui dévorait leurs maisons, les Crétois, poussant des cris effroyables, réveillent l'harmoste Emmanuel Tombazis et ses soldats occupés à mettre en défense le poste qu'ils venaient de conquérir. On se précipite sur les mahométans, qu'on oblige de se replier vers la Canée, en laissant plus de deux mille femmes ou enfants au pouvoir des insurgés. Comme ils sortaient d'une contrée où la peste n'avait pas pénétré, on leur accorda quartier, et l'harmoste fit consentir la gérousie à épargner les prisonniers, en les parquant dans les montagnes, où l'on se hâta de les faire passer.

Une partie de la flotte turque sortie des Dardanelles était en vue le juin, et les Turcs de la Canée, oubliant la foi jurée, avaient aussitôt détaché une boinbarde pour réclamer les quatre otages remis à Emmanuel Tombazis, sans prétendre relâcher les familles chrétiennes qu'ils retenaient. Ils offraient une rançon qu'on rejeta, et aussi témé

raires que coupables, ils osèrent s'exhaler en menaces qu'ils expièrent dès le lendemain. Enorgueillis d'un renfort de trois cents canonniers qu'ils venaient de recevoir, ils osèrent faire une sortie dans la matinée du 16; mais ils furent si complètement battus par les frères Déliyanaki de Sphacia, qu'ils perdirent jusqu'à la pensée d'oser à l'avenir s'aventurer hors des remparts de la Canée. Telle fut l'honorable vengeance que les assiégeants tirèrent des infidèles, tandis qu'ils voyaient avec douleur ravitailler la Canée, Rhétymos et Candie, qu'une escadre égyptienne grossie d'une foule de navires autrichiens ne devait pas tarder à renforcer de nouvelles garnisons.

Pendant ce temps, le grand-amiral Khoreb pacha jetait huit cents hommes dans la place de Carystos, approvisionnait Négrepont, menaçait Trikéri, et arrivait bientôt après à Patras, pour seconder les armées de terre destinées à reconquérir le Péloponèse. Il croyait, au moment où il laissa tomber l'ancre sur la rive Achéenne, l'armée de Jousouf pacha et d'Omer Brionès campée aux bords de l'Achéloüs, celle de Moustaï pacha de Scodra devant Missolonghi, et le serasker de Larisse, Dgêladin pacha, maître des Thermopyles. On lui avait annoncé, au moment de quitter Constantinople, que toutes les bandes de l'Arnaoutlik et de la Romélie étaient en pleine marche. Mais personne ne paraissait, et les rapports de deux frégates algériennes, laissées par l'amiral dans le canal de Chios, lui prouvèrent que les Grecs avaient

repris une nouvelle énergie depuis son apparition dans les mers de la Grèce.

Tandis que le pacha de Smyrne guerroyait en amateur autour du golfe Herméen, les Psariens sortis de leur île avec cent cinquante bateaux chargés de Schypetars chrétiens qu'ils avaient pris à leur service, avaient fait une descente à Sanderli échelle de l'Anatolie, où la Porte tenait une partie des magasins destinés à l'approvisionnement de l'armée qu'elle se proposait d'envoyer en Morée. Débarqués inopinément au fond du golfe Éléen, les Albanais, à la faveur de quelques pièces de campagne, s'étaient emparés de la ville de Sanderli, où ils avaient pris une partie des trésors ainsi que les femmes et les enfants du prince de la Phrygie, Cara Osman Oglou, seigneur de Pergame. Se répandant ensuite dans les campagnes, ils en avaient arraché les populations turques, incendié leurs villages, et s'étaient rembarqués avec un butin considérable. Ils avaient également enlevé des îles Mosconèses ce qui s'y trouvait encore des chrétiens; enfin, jaloux de rendre la visite qu'ils avaient annoncée au pacha de Mitylène avant de rentrer à Psara, ils avaient abordé dans cette île, où ils avaient levé une contribution de guerre.

Les mêmes lettres portaient que les Samiens, à l'exemple des habitants de Psara, étaient débarqués à Carabournou ainsi qu'à Clazomènes, où ils avaient pris des Turcs, des troupeaux et des vivres. Ainsi toutes les espérances de recevoir des secours de l'Asie-Mineure s'évanouissaient, et les évènements

qui venaient de se passer en Épire annonçaient au capitan-pacha que le succès de sa campagne était plus que douteux.

Omer Brionès, jaloux de voir Jousouf pacha à la tête de l'armée albanaise qui s'organisait dans l'A carnanie, n'avait pas appris avec moins de déplaisir l'élévation de Khoreb ou Khoussrouf au poste de capitan-pacha; car si l'un était son rival dans la carrière militaire, l'autre était son ancien ennemi, Il avait puissamment contribué à le déposséder de la vice-royauté d'Égypte, et il savait qu'il lui portait une haine égale à celle qu'il lui avait vouée. Enfin, pour comble de complications politiques entre les chefs turcs divisés par de vieilles jalousies, Khoreb se trouvait le même capitan-pacha chargé en 1816 de faire décapiter Condouriotis d'Hydra (1), qui venait d'être nommé par le congrès d'Astros president du corps législatif de la Hellade. Ainsi jamais plus d'intérêts contraires et d'animosités privées ne s'étaient trouvés en présence, que dans le conflit prêt à s'engager entre les Grecs

et les Turcs.

Au milieu de cette fluctuation d'animosités, Jousouf pacha, à force de firmans et d'argent, était venu à bout de réunir, dans les premiers jours du mois de mai, environ huit mille hommes qui cam

(1) Lorsque j'étais consul-général dans la Grèce, la Porte, qui enviait les richesses de Condouriotis, essaya de le faire assassiner. J'eus le bonheur de lui faire donner avis du danger qui le menaçait, par l'entremise d'un homme que sa position actuelle ne me permet pas de nommer.

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paient à Vonitza. Il avait choisi cet emplacement, afin de les séparer de l'Amphilochie par le diamètre du golfe Ambracique, et de les empêcher ainsi de déserter, en fermant sa ligne par un corps de deux mille Asiatiques qu'il avait établis à Olpé, poste situé à l'entrée des défilés du Sparton-Oros. On entassait en même temps des magasins considérables de grains, de biscuits et de fourrages sur la plage d'Actium, et on n'attendait que l'arrivée de quelques vaisseaux du capitan-pacha pour transporter ces troupes par mer à Patras, afin de concourir à l'invasion du Péloponèse. Ainsi le portait le plan donné par le divan; mais il en devait être de ces préparatifs comme de ceux qu'on avait faits à Sanderli et à Scala-Nova.

Omer Briones, qui ne voulait ni maître ni compétiteur, s'était servi, pour neutraliser les plans de Jousouf pacha, de l'entremise de ce lieutenant resté le constant ami de Marc Botzaris, qu'on a fait connaître en donnant l'historique du siége de Misso longhi. Il ne manquait pas de tenir, par cet intermédiaire, le stratarque de la Grèce occidentale au courant de ce qui se passait, et ils résolurent d'un commun accord de travailler à dissoudre l'armée réunie à Vonitza. Omer, qui vivait dans une condition presque privée auprès de son ami Békir Dgiocador, dont la tête, ainsi que la sienne, étaient proscrites par le capitan - pacha, savait que les Schypetars réclamaient la paie qui leur était due par Routchid pacha. Impatients de toucher ce qui leur revenait, ainsi que les avances convenues pour

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