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tout un peuple, est la plus horrible qu'on puisse craindre. Socrate prenant la coupe empoisonnée bénit celui qui la lui présente et qui pleure; Jésus, au milieu d'un supplice affreux, prie pour ses bourreaux acharnés. Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d'un sage, la vie et la mort de Jésus sont d'un Dieu. Dirons-nous que l'histoire de l'Évangile est inventée à plaisir? Mon ami, ce n'est pas ainsi qu'on invente; et les faits de Socrate, dont personne ne doute, sont moins attestés que ceux de Jésus-Christ. Au fond c'est reculer la difficulté sans la détruire; il seroit plus inconcevable que plusieurs hommes d'accord eussent fabriqué ce livre, qu'il ne l'est qu'un seul en ait fourni le sujet. Jamais les auteurs juifs, n'eussent trouvé ni ce ton ni cette morale; et l'Évangile a des caractères de vérité si grands, si frappants, si parfaitement inimitables, que l'inventeur en seroit plus étonnant que le héros. Avec tout cela, ce même Évangile est plein de choses incroyables, de choses qui répugnent à la raison, et qu'il est impossible à tout homme sensé de concevoir ni d'admettre. Que faire au milieu de toutes ces contradictions? Être toujours modeste et circonspect, mon enfant; respecter en silence ce qu'on ne sauroit ni rejeter, ni comprendre, et s'humilier devant le grand Être qui seul sait la vérité.

Voilà le scepticisme involontaire où je suis resté; mais ce scepticisme ne m'est nullement pénible, parce qu'il ne s'étend pas aux points essentiels à la pratique, et que je suis bien décidé sur les principes de tous mes devoirs. Je sers Dieu dans la simplicité de mon cœur. Je ne cherche à savoir que ce qui importe à ma conduite. Quant aux dogmes qui n'influent ni sur les actions ni sur la morale, et dont tant de gens se tourmentent, je ne m'en mets nullement en peine. Je regarde toutes les religions particulières comme autant d'institutions salutaires qui prescrivent dans chaque pays une manière uniforme d'honorer Dieu par un culte public, et qui peuvent toutes avoir leurs raisons dans le climat, dans le gouvernement, dans le génie du peuple, ou dans quelque autre cause locale qui rend l'une préférable à l'autre, selon les temps et les lieux. Je les crois toutes bonnes quand on y sert Dieu convenablement. Le culte essentiel est celui du cœur. Dieu n'en rejette point l'hommage, quand il est sincère, sous quelque forme qu'il lui soit offert. Appelé dans celle que je professe au service de l'Église, j'y remplis avec toute l'exactitude possible les soins qui me sont prescrits, et ma conscience me reprocheroit d'y manquer volontairement en quelque point. Après un long interdit vous savez que j'obtins, par le crédit de M. de Mellarède, la

permission de reprendre mes fonctions pour m'aider à vivre. Autrefois je disois la messe avec la légèreté qu'on met à la longue aux choses les plus graves quand on les fait trop souvent; depuis mes nouveaux principes, je la célèbre avec plus de vénération : je me pénètre de la majesté de l'Être suprême, de sa présence, de l'insuffisance de l'esprit humain, qui conçoit si peu ce qui se rapporte à son auteur. En songeant que je lui porte les vœux du peuple sous une forme prescrite. je suis avec soin tous les rites; je récite attentivement, je m'applique à n'omettre jamais ni le moindre mot ni la moindre cérémonie : quand j'approche du moment de la consécration, je me recueille pour la faire avec toutes les dispositions qu'exige l'Église et la grandeur du sacrement: je tâche d'anéantir ma raison devant la suprême intelligence; je me dis: Qui es-tu pour mesurer la puissance infinie? Je prononce avec respect les mots sacramentaux, et je donne à leur eflet toute la foi qui dépend de moi. Quoi qu'il en soit de ce mystère inconcevable, je ne crains pas qu'au jour du jugement je sois puni pour l'avoir jamais profané dans mon cœur.

Honoré du ministère sacré, quoique dans le dernier rang, je ne ferai ni ne dirai jamais rien qui me rende indigne d'en remplir les sublimes devoirs. Je prêcherai toujours la vertu aux hommes, je les exhorterai toujours à bien faire; et, tant que je pourrai, je leur en donnerai l'exemple. Il ne tiendra pas à moi de leur rendre la religion aimable; il ne tiendra pas à moi d'affermir leur foi dans les dogmes vraiment utiles et que tout homme est obligé de croire: mais à Dieu ne plaise que jamais je leur prêche le dogme cruel de l'intolérance; que jamais je les porte à détester leur prochain; à dire à d'autres hommes: Vous serez damnés; à dire : Hors de l'Église, point de salut1! Si j'étois dans un rang plus remarquable, cette réserve pourroit m'attirer des affaires; mais je suis trop petit pour avoir beaucoup à craindre, et je ne puis guere tomber plus bas que je ne suis. Quoi I qu'il arrive, je ne blasphemerai point contre la justice divine, et ne mentirai point contre le Saint-Esprit.

1 Le devoir de suivre et d'aimer la religion de son pays ne s'étend pas jusqu'aux dogmes contraires à la bonne morale, tels que celui de l'intolérance. C'est ce dogme horrible qui arme les hommes les uns contre les autres, et les rend tous ennemis du genre humain. La distinction entre la tolérance civile et la tolérance théologique est puérile et vaine. Ces deux tolérances sont insé-parables, et l'on ne peut admettre l'une sans l'autre. Des anges mêmes ne vivroient pas en paix avec des hommes qu'ils regarderoient comme les ennemis de Dieu.

J'ai longtemps ambitionné l'honneur d'être curé; je l'ambitionne encore, mais je ne l'espère plus. Mon bon ami, je ne trouve rien de si beau que d'être curé. Un bon curé est un ministre de bonté, comme un bon magistrat est un ministre de justice. Un curé n'a jamais de mal à faire; s'il ne peut pas toujours faire le bien par luimême, il est toujours à sa place quand il le sollicite, et souvent il l'obtient quand il sait se faire respecter. O si jamais dans nos montagnes j'avois quelque pauvre cure de bonnes gens à desservir ! je serois heureux, car il me semble que je ferois le bonheur de mes paroissiens. Je ne les rendrois pas riches, mais je partagerois leur pauvreté ; j'en ôterois la flétrissure et le mépris plus insupportable que l'indigence. Je leur ferois aimer la concorde et l'égalité, qui chassent souvent la misère, et la font toujours supporter. Quand ils verroient que je ne serois en rien mieux qu'eux, et que pourtant je vivrois content, ils apprendroient à se consoler de leur sort et à vivre contents comme moi. Dans mes instructions je m'attacherois moins à l'esprit de l'Église qu'à l'esprit de l'Évangile, où le dogme est simple et la morale sublime, où l'on voit peu de pratiques religieuses et beaucoup d'œuvres de charité. Avant de leur enseigner ce qu'il faut faire, je m'efforcerois toujours de le pratiquer, afin qu'ils vissent bien que tout ce que je leur dis, je le pense. Si j'avois des protestants dans mon voisinage ou dans ma paroisse, je ne les distinguerois point de mes vrais paroissiens en tout ce qui tient à la charité chrétienne; je les porterois tous également à s'entr'aimer, à se regarder comme frères, à respecter toutes les religions, et à vivre en paix chacun dans la sienne. Je pense que solliciter quelqu'un de quitter celle où il est né, c'est le solliciter de mal faire, et par conséquent faire mal soi-même. En attendant de plus grandes lumières, gardons l'ordre public; dans tout pays respectons les lois, ne troublons point le culte qu'elles prescrivent ne portons point les citoyens à la désobéissance; car nous ne savons point certainement si c'est un bien pour eux de quitter leurs opinions pour d'autres, et nous savons très-certainement que c'est un mal de désobéir aux lois.

Je viens, mon jeune ami, de vous réciter de bouche ma profession de foi telle que Dieu la lit dans mon cœur: vous êtes le premier à qui je l'aie faite; vous êtes le seul peut-être à qui je la ferai jamais. Tant qu'il reste quelque bonne croyance parmi les hommes, il ne faut point troubler les âmes paisibles, ni alarmer la foi des simples par des difficultés qu'ils ne peuvent résoudre et qui les inquiètent sans les éclairer. Mais quand une fois tout est ébranlé, on doit conserver le

tronc aux dépens des branches Les consciences agitées, incertaines, presque éteintes, et dans l'état où j'ai vu la vôtre, ont besoin d'être affermies et réveillées; et, pour les rétablir sur la base des vérités éternelles, il faut achever d'arracher les piliers flottants auxquels elles pensent tenir encore.

Vous êtes dans l'âge critique où l'esprit s'ouvre à la certitude, oi le cœur reçoit sa forme et son caractère, et où l'on se détermin pour toute la vie, soit en bien, soit en mal. Plus tard, la substanc est durcie, et les nouvelles empreintes ne marquent plus. Jeune homme, recevez dans votre âme, encore flexible, le cachet de la vérité. Si j'étois plus sûr de moi-même, j'aurois pris avec vous un ton dogmatique et décisif: mais je suis homme, ignorant, sujet à l'erreur; que pouvois-je faire? Je vous ai ouvert mon cœur sans réserve; ce que je tiens pour sûr, je vous l'ai donné pour tel; je vous ai donné mes doutes pour des doutes, mes opinions pour des opinions; je vous ai dit mes raisons de douter et de croire. Maintenant c'est à vous de juger: vous avez pris du temps; cette précaution est sage, et me fait bien penser de vous. Commencez par mettre votre conscience en état de vouloir être éclairée. Soyez sincère avec vous-même. Appropriezvous de mes sentiments ce qui vous aura persuadé, rejetez le reste. Vous n'êtes pas encore assez dépravé par le vice pour risquer de mal choisir. Je vous proposerois d'en conférer entre nous; mais sitôt qu'on dispute, on s'échauffe; la vanité, l'obstination s'en mêlent, la bonne foi n'y est plus. Mon ami, ne disputez jamais, car on n'éclaire par la dispute ni soi ni les autres. Pour moi, ce n'est qu'après bien des années de méditation que j'ai pris mon parti je m'y tiens; ma conscience est tranquille, mon cœur est content. Si je voulois recommencer un nouvel examen de mes sentiments, je n'y porterois pas un plus pur amour de la vérité; et mon esprit, déjà moins actif, seroit moins en état de la connoître. Je resterai comme je suis, de peur qu'insensiblement le goût de la contemplation, devenant une passion oiseuse, ne m'attiédît sur l'exercice de mes devoirs, et de peur de retomber dans mon premier pyrrhonisme, sans retrouver la force d'en sortir. Plus de la moitié de ma vie est écoulée; je n'ai plus que le temps qu'il me faut pour en mettre à profit le reste, et pour effacer mes erreurs par mes vertus. Si je me trompe, c'est malgré moi. Celui qui lit au fond de mon cœur sait bien que je n'aime pas mon aveuglement. Dans l'impuissance de m'en tirer par mes propres lumières, le seul moyen qui me reste pour en sortir est une bonne vie; et si des pierres mêmes Dieu peut susciter des enfants à Abra

ham, tout homme a droit d'espérer d'être éclairé lorsqu'il s'en rend digne.

Si mes réflexions vous amènent à penser comme je pense, que mes sentiments soient les vôtres, et que nous ayons la même profession de foi, voici le conseil que je vous donne: N'exposez plus votre vie aux tentations de la misère et du désespoir; ne la traînez plus avec ignominie à la merci des étrangers, et cessez de manger le vij pain de l'aumône. Retournez dans votre patrie, reprenez la religion de vos pères, suivez-la dans la sincérité de votre cœur, et ne la quittez plus elle est très-simple et très-sainte; je la crois de toutes les religions qui sont sur la terre celle dont la morale est la plus pure, et dont la raison se contente le mieux. Quant aux frais du voyage, n'en soyez point en peine, on y pourvoira. Ne craignez pas non plus la mauvaise honte d'un retour humiliant; il faut rougir de faire une faute, et non de la réparer. Vous êtes encore dans l'âge où tout se pardonne, mais où l'on ne pèche plus impunément. Quand vous voudrez écouter votre conscience, mille vains obstacles disparoîtront à sa voix. Vous sentirez que, dans l'incertitude où nous sommes, c'est une inexcusable présomption de professer une autre religion que celle où l'on est né, et une fausseté de ne pas pratiquer sincèrement celle qu'on professe. Si l'on s'égare, on s'ôte une grande excuse au tribunal du souverain juge. Ne pardonnera-t-il pas plutôt l'erreur où l'on fut nourri, que celle qu'on osa choisir soi-même?

Mon fils, tenez votre âme en état de désirer toujours qu'il y ait un Dieu, et vous n'en douterez jamais. Au surplus, quelque parti que vous puissiez prendre, songez que les vrais devoirs de la religion sont indépendants des institutions des hommes; qu'un cœur juste est le vrai temple de la Divinité; qu'en tout pays et dans toute secte, aimer Dieu par-dessus tout et son prochain comme soi-même, est le sommaire de la loi; qu'il n'y a point de religion qui dispense des devoirs de la morale, qu'il n'y a de vraiment essentiels que ceux-là; que le culte intérieur est le premier de ces devoirs, et que sans la foi nulle véritable vertu n'existe.

Fuyez ceux qui, sous prétexte d'expliquer la nature, sèment dans les cœurs des hommes de désolantes doctrines, et dont le scepticisme apparent est cent fois plus affirmatif et plus dogmatique que le ton décidé de leurs adversaires. Sous le hautain prétexte qu'eux seuls sont éclairés, vrais, de bonne foi, ils nous soumettent impérieusemen à leurs décisions tranchantes, et prétendent nous donner pour les vrais principes des choses les inintelligibles systèmes qu'ils ont bâtis

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