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« Venez tous à moi, » et qui nous assure que son joug est doux et son fardeau léger. Car dès que la charité sera répandue dans nos cœurs par le Saint-Esprit, nous aimerons certainement ce qui nous est commandé, et nous n'y trouverons rien de dur ni d'accablant, si nous ne portons plus d'autre joug que celui-là, qui nous rend d'autant plus libres, que nous l'acceptons plus humblement et plus volontiers. Aussi est-ce le seul fardeau qui, loin de peser sur ceux qui le portent, les soutient et les soulage. Si donc on aime les richesses, qu'on les mette en dépôt où elles ne sauraient périr si ce sont les honneurs que l'on aime, qu'on les cherche où personne n'est honoré qu'autant qu'il le mérite : si c'est la santé, qu'on aspire à celle dont nous jouirons dans le ciel, et que rien ne pourra jamais altérer si c'est la vie, qu'on cherche celle qui doit durer à jamais, et sur laquelle la mort n'aura point d'empire.

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Rendez donc à Dieu ce que vous lui avez voué, puisque cela c'est vous-même et que vous vous rendez vous-même à celui qui vous a donné l'être. Rendez-le-lui, je vous conjure, puisque en le lui rendant, au lieu de l'amoindrir vous le conserverez et l'accroîtrez. En effet, c'est par bonté, et non par indigence, que Dieu exige ce qu'on lui a promis. Quoi que ce soit qu'on lui rende il n'en est pas plus riche ce sont au contraire ceux qui lui rendent qui deviennent plus riches en lui rendant. Aussi ne pas lui rendre, c'est perdre, et lui rendre c'est gagner; c'est se mettre soi-même en sûreté entre ses mains, parce que et celui qui rend, et ce qu'il rend, ne sont qu'une même chose, comme la dette et le débiteur n'en étaient qu'une. Car l'homme se doit tout entier à Dieu; et pour être heureux il faut qu'il se donne à celui qui lui a donné l'être.

C'est ce que Jésus-Christ nous signifie par ces paroles de l'Évangile « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » C'est ce qu'il dit lorsque s'étant

fait montrer une pièce de monnaie, et ayant demandé de qui était l'image qu'il y voyait empreinte, on lui répondit que c'était celle de César; par où il donna à entendre que, comme César, en demandant le tribut, redemandait son image, de même Dieu redemande la sienne, quand il nous redemande à nous-mêmes. Or si nous lui devons cette image sans que nous la lui ayons promise, combien plus sommes-nous obligés de la lui rendre, quand nous avons fait cette promesse.

Je pourrais, mon très-cher fils, entreprendre de louer, autant que j'en suis capable, la sainte résolution que vous avez prise, et le vœu que vous avez formé je pourrais vous montrer combien vous en retirerez d'avantage, et quelle différence il y a entre les chrétiens amateurs du monde et ceux qui ont le courage de le mépriser. On donne aux uns et aux autres le nom de fidèles: mais quoique les uns et les autres aient été lavés dans les eaux du baptême, initiés et consacrés par la participation des mêmes mystères, et qu'ils soient tous, non-seulement auditeurs, mais si vous voulez prédicateurs de l'Évangile, ils ne sont pas tous participants du royaume de Dieu et de sa lumière, ni cohéritiers de Jésus-Christ, pour régner avec lui dans la vie éternelle, hors de laquelle il n'y a point de bonheur.

Car ce n'est pas la différence de ceux qui entendent la parole de l'Évangile, d'avec ceux qui ne l'entendent pas, mais la différence de ceux même qui l'entendent, que Jésus-Christ nous a marquée quand il a dit : « Celui qui entend mes paroles, et qui les pratique est semblable à un homme sage, qui a bâti sa maison sur le roc; en sorte que quand la pluie est tombée, que les fleuves se sont débordés, et que les vents ont soufflé et sont venus fondresur cette maison, elle est demeurée ferme, parce qu'elle était fondée sur le roc. Mais celui qui entend mes paroles et ne les pratique point, est semblable à un insensé qui abâti sa maison sur le sable mouvant; en sorte que, quand

la pluie est tombée, que les fleuves se sont débordés, que les vents ont soufflé, et sont venus fondre sur cette maison, elle a été renversée, et sa ruine a été grande. » Ainsi entendre les paroles de Jésus-Christ c'est bâtir; en cela les uns et les autres sont égaux mais en ce que les uns pratiquent ce qu'ils ont entendu, et les autres non, il y a entre eux autant de différence, qu'entre un bâtiment appuyé sur le roc, et un autre qui, n'ayant que du sable pour fondement, se renverse à la première secousse. Il ne faut pas néanmoins conclure de là que la condition de celui qui n'entend point la parole de Jésus-Christ soit la meilleure, puisque celui qui ne bâtit rien du tout, et qui n'est point à couvert, en est d'autant plus facilement inondé par les pluies et emporté par les eaux et par le vent.

Je pourrais encore vous marquer les divers degrés des mérites de ceux même qui seront à la droite de Jésus-Christ au jour du jugement, et qui auront part à son royaume; et vous faire voir de combien la vie des personnes mariées, des pères et des mères de famille, quelle que soit d'ailleurs leur piété, est moins excellente que celle que vous avez vouée à Dieu, et c'est ce que j'essayerais, autant que j'en suis capable, s'il s'agissait de vous y exhorter. Mais vous êtes lié et engagé; tout est consommé.

(Saint Augustin. Lettre CXXVII.)

A AL 384

VII. DE LA CHASTETÉ.

SAINT JÉRÔME A EUSTOCHIE.

« Écoutez ma fille, ouvrez les yeux, et ayez l'oreille attentive, et oubliez votre peuple et la maison de votre père; et le roi désirera voir votre beauté. » C'est ainsi que Dieu parle à l'âme dans le psaume quarante-quatrième, pour l'engager à quitter, à l'exemple d'Abraham, son pays et sa famille, à se séparer des Chaldéens, qui signifient semblables aux démons, et à établir sa demeure dans cette région des vivants, après laquelle soupirait le même prophète, lorsqu'il disait : « Je crois fermement voir un jour les biens du Seigneur dans la terre des vivants. >>

Mais ce n'est pas assez pour vous de sortir de votre pays; vous devez encore oublier votre peuple, et la maison de voire père, et mépriser tout ce qui flatte les sens, pour vous unir étroitement à votre divin époux : « Ne regardez point derrière vous, disaient à Loth les anges du Seigneur, et ne demeurez point dans le pays d'alentour; mais sauvez-vous sur la montagne, de peur que vous ne périssiez aussi vous-même avec les autres. » Quand une fois on a mis la main à la charrue, l'on ne doit point regarder derrière soi, ni revenir des champs en sa maison. Après avoir été revêtu de Jésus-Christ, l'on ne doit point descendre du toit pour prendre d'autres vêtements.

Voici quelque chose de bien étonnant, et de bien digne de notre admiration; un père exhorte sa fille à ne plus penser à son père. « Vous êtes les enfants du démon, disait Jésus-Christ aux Juifs, et vous ne voulez qu'accomplir les désirs de votre père. » L'apôtre saint Jean dit aussi ail-leurs : « Celui qui commet le péché, est enfant du démon. »

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Tel est notre premier père; c'est de lui que nous sommes sortis, et la naissance criminelle que nous en avons reçue nous a rendus tout noirs de manière qu'après avoir fait pénitence, et avant de nous être élevés au comble des vertus, nous sommes forcés de dire avec l'Épouse des Cantiques : « Je suis noire, mais je suis belle, ô filles de Jérusalem. » Je suis sortie de la maison où l'on m'a vue naître, j'ai oublié mon père, je vais renaître en JésusChrist. Mais quel sera le fruit de cette renaissance? Le voici : « Et le roi désirera voir votre beauté. » Voilà quel est ce grand Sacrement dont l'apôtre saint Paul a dit: « C'est pourquoi l'homme abandonnera son père et sa mère, pour s'attacher à sa femme, et ils ne feront l'un et l'autre, non plus comme autrefois, qu'une même chair, mais qu'un même esprit. » Votre époux n'est ni fier ni superbe, il n'a pas dédaigné de prendre une Éthiopienne pour épouse. Dès que vous voudrez vous instruire des sages maximes qu'enseigne ce véritable Salomon, vous n'avez qu'à vous approcher de lui, il ne vous cachera rien de qu'il sait.

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Quant à moi, mon dessein n'est point de vous flatter ici un flatteur est un agréable ennemi qui nous empoisonne par des louanges trompeuses et des caresses affectées. Je n'emploierai point dans cet ouvrage ce que l'éloquence a de plus pompeux et de plus brillant, pour étaler à vos yeux le bonheur de la virginité, et pour mettre tout le monde à vos pieds en vous élevant jusqu'au rang des anges. Je ne veux pas que l'état que vous avez embrassé vous inspire de l'orgueil, mais de la crainte. Vous portez avec vous un précieux trésor, prenez garde de tomber entre les mains des voleurs. La vie présente est comme une carrière où nous courons tous, afin de recevoir la couronne dans la vie future. L'on ne marche qu'en tremblant parmi les serpents et les scorpions. « Mon épée, dit le Seigneur, s'est enivrée de sang dans le ciel. » Comment donc pouvez-vous espérer de trouver la paix dans une

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