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Mon temps en cent caquets sottement je consomme :
Que, mal instruit, je porte en Brouage du sel,
Et mes coquilles vendre à ceux de Sainct Michel.
Doncques,sans mettre enchère aux sottises du monde
Ny gloser les humeurs de dame Fredegonde,
Je diray librement, pour finir en deux mots,
Que la plus part des gens sont habillez en sots.

r/N.

A MONSIEUR BERTAUT

EVESQUE DE SÉES.

SATYRE V

BERTAUT, c'est un grand cas! quoy que l'on puisse

faire,

Il n'est moyen qu'un homme à chacun puisse plaire, Et fust-il plus parfait que la perfection.

L'homme voit par les yeux de son affection. Chasqu'un fait à son sens, dont sa raison s'escrime, Et tel blasme en autruy re de quoy je l'estime. Tout, suivant l'intellect, cnange d'ordre et de rang: Les Mores aujourd'huy peignent le diable blanc; Le sel est doux aux uns, le sucre amer aux autres ; L'on reprend tes humeurs ainsi qu'on fait les nostres. Les critiques du temps m'appellent desbauché ; Que je suis jour et nuict aux plaisirs attaché ; Que j'y perds mon esprit, mon ame et ma jeunesse, Les autres, au rebours, accusent ta sagesse, Et ce hautain desir qui te fait mespriser Plaisirs, tresors, grandeurs, pour t'immortaliser, Et disent, ô chetifs, que, mourant sur un livre, Pensez, seconds Phoenix, en vos cendres revivre ; Que vous estes trompez en vostre propre erreur, Car et vous et vos vers vivez par procureur.

Un livret tout moysi vit pour vous, et encore, Comme la mort vous fait, la taigne le devore.

Ingrate vanité dont l'homme se repaist,
Qui baille apres un bien qui sottement luy plaist!
Ainsi les actions aux langues sont sujettes.
Mais ces divers rapports sont de foibles sagettes,
Qui blessent seulement ceux qui sont mal armez,
Non pas les bons esprits à vaincre accoustumez,
Qui sçavent, avisez, avecque difference
Separer le vray bien du fard de l'apparence.
C'est un mal bien estrange au cerveau des humains
Qui, suivant ce qu'ils sont malades ou plus sains,
Digerent leur viande, et, selon leur nature,
Ils prennent ou mauvaise ou bonne nourriture.
Ce qui plaist à l'oeil sain offense un chassieux;
L'eau se jaunit en bile au corps du bilieux;
Le sang d'un hydropique en pituite se change,
Et l'estomach gasté pourrit tout ce qu'il mange.
De la douce liqueur rosoyante du ciel

L'une en fait le venim et l'autre en fait le miel.
Ainsi c'est la nature et l'humeur des personnes,
Et non la qualité, qui rend les choses bonnes.
Charnellement se joindre avecq' sa parenté,
En France, c'est inceste ; en Perse, charité. [mes,
Tellement qu'à tout prendre,en ce monde où nous som-
Et le bien et le mal despend du goust des hommes.

Or, sans me tourmenter des divers appetis,
Quels ils sont aux plus grands et quels aux plus petis
Je te veux discourir comme je trouve estrange
Le chemin d'où nous vient le blasme et la louange,
Et comme j'ay l'esprit de chimères brouillé,
Voyant qu'un More noir m'appelle barbouillé ;
Que

Et

les yeux de travers s'offencent que je lorgne, que les Quinze-Vingts disent que je suis borgne. C'est ce qui me desplaist, encor que j'aye appris En mon philosopher d'avoir tout à mespris. Penses-tu qu'à present un homme a bonne grace

Qui dans le Four-l'Evesque entherine sa grace,
Ou l'autre qui poursuit des abolitions,
De vouloir jetter l'œil dessus mes actions?
Un traistre, un usurier, qui, par misericorde,
Par argent ou faveur s'est sauvé de la corde!
Moy qui dehors, sans plus, ay veu le Chastelet,
Et que jamais sergent ne saisit au colet;

Qui vis selon les loix, et me contiens de sorte
Que je ne tremble point quand on heurte à ma porte;
Voyant un president le cœur ne me tressault,
Et la peur d'un prevost ne m'esveille en sursault;
Le bruit d'une recherche au logis ne m'arreste,
Et nul remord fascheux ne me trouble la teste;
Je repose la nuict sus l'un et l'autre flanc,
Et cependant, Bertaut, je suis dessus le ranc.
Scaures du temps present, hipocrites sevères.
Un Claude effrontément parle des adultères;
Milon sanglant encor reprend un assassin;
Grache un seditieux, et Verrès le larcin.

Or,pour moy, tout le mal que leur discours m'objete,
C'est que mon humeur libre à l'amour est sujete ;
Que j'ayme mes plaisirs, et que les passe-temps
Des amours m'ont rendu grison avant le temps;
Qu'il est bien mal-aisé que jamais je me change
Et qu'à d'autres façons ma jeunesse se range.

Mon oncle m'a conté que, monstrant à Ronsard Tes vers estincelants et de lumière et d'art, Il ne sceut que reprendre en ton apprentissage, Sinon qu'il te jugeoit pour un poëte trop sage.

Et ores, au contraire, on m'objecte à peché Les humeurs qu'en ta Muse il eust bien recherché. Aussi je m'esmerveille, au feu que tu recelles, Qu'un esprit si rassis ait des fougues si belles; Car je tien, comme luy, que le chaud element Qui donne ceste pointe au vif entendement,

Dont la verve s'eschauffe et s'enflame de sorte
Que ce feu dans le ciel sur des aisles l'emporte,
Soit le mesme qui rend le poëte ardent et chaud
Suject à ses plaisirs, de courage si haut
Qu'il mesprise le peuple et les choses communes,
Et, bravant les faveurs, se mocque des fortunes :
Qui le fait, desbauché, frenetique, resvant,
Porter la teste basse et l'esprit dans le vent,
Esgayer sa fureur parmy des precipices,
Et plus qu'à la raison sujet à ses caprices.
Faut-il doncq' à present s'estonner si je suis
Enclin à des humeurs qu'eviter je ne puis ;
Où mon temperament malgré moy me transporte,
Et rend la raison foible où la nature est forte?
Mais que ce mal me dure il est bien mal-aisé.
L'homme ne se plaist pas d'estre tousjours fraisé.
Chasque âge a ses façons, et change de nature
De sept ans en sept ans nostre temperature.
Selon que le soleil se loge en ses maisons,
Se tournent nos humeurs ainsi que nos saisons.
Toute chose en vivant avecq' l'âge s'altère.
Le desbauché se rid des sermons de son père,
Et dans vingt et cinq ans venant à se changer,
Retenu, vigilant, soigneux et mesnager,
De ces mesmes discours ses fils il admonneste,
Qui ne font que s'en rire et qu'en hocher la teste.
Chasque âge a ses humeurs, son goust et ses plaisirs,
Et comme nostre poil blanchissent nos desirs.

Nature ne peut pas l'âge en l'âge confondre :
L'enfant qui sçait desjà demander et respondre,
Qui marque asseurément la terre de ses pas,
Avecques ses pareils se plaist en ses esbas :
Il fuit, il vient, il parle, il pleure, il saute d'aise;
Sans raison d'heure en heure il s'esmeut et s'apaise.

Croissant l'âge en avant, sans soin de gouverneur,

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