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bres, mais que, quant à la reconnaissance des droits que ces abdications créaient, elle dépendait de circonstances éventuelles et paraissait difficile en présence des passions soulevées. >>

La double déclaration par laquelle le vieux roi et son fils renonçaient au trône en faveur d'un enfant fut donc déposée aux archives de la Chambre des pairs et inscrite au Moniteur. Rédigée sous forme de lettre, et datée de Rambouillet le 2 août 1830, elle était ainsi conçue : « Mon cousin, je suis trop profondément peiné des maux qui affligent ou qui pourraient menacer mes peuples, pour n'avoir pas cherché un moyen de les prévenir, j'ai donc pris la résolution d'abdiquer en faveur de mon petitfils le duc de Bordeaux ; le Dauphin 1, qui partage mes sentiments, renonce aussi à ses droits en faveur de son neveu ; vous aurez donc, en votre qualité de lieutenant général du royaume, à faire proclamer l'avénement de Henri V à la couronne. Vous prendrez d'ailleurs toutes les mesures qui vous concernent pour régler les formes du gouvernement pendant la minorité du nouveau roi. Ici je me borne à faire connaître ces dispositions; c'est un moyen d'éviter encore bien des maux. Vous communiquerez mes intentions au corps diplomatique, et vous me ferez connaître le plus tôt possible la

1. Né le 6 août 1775; mort le 3 juin 1844.

proclamation par laquelle mon petit-fils sera reconnu roi sous le nom de Henri V. Je charge le lieutenant général vicomte de Latour-Foissac de vous remettre cette lettre.

« Je vous renouvelle, mon cousin, l'assurance des sentiments avec lesquels je suis votre affectionné cousin.

<< CHARLES. >>

V

Mais la voix grondante, impérieuse, de la révolution devait trop aisément couvrir celle du vieillard découronné. La passion populaire, surexcitée par des meneurs, s'était tout à coup alarmée du séjour de Charles X à Rambouillet et de la proximité des troupes royales. Une expédition contre ce dernier asile du monarque déchu fut soudainement résolue. Six à sept mille volontaires se réunirent dans les Champs-Élysées, où des voitures de tout genre, mises en réquisition pour les transporter, avaient été difficilement rassemblées. Quatre commissaires envoyés auprès du roi Charles X, MM. le maréchal Maison, le duc de Coigny, de Schonen et Odilon Barrot n'avaient pu parvenir une première fois jusqu'au prince. Le duc d'Orléans voulut qu'ils devançassent la co

Jonne révolutionnaire pour prévenir Charles X des dangers que sa famille et lui-même pouvaient courir en une semblable occurrence, l'engager à quitter au plus tôt Rambouillet et l'accompagner jusqu'au lieu de son embarquement. M. le duc de Coigny refusa cette fois la mission qui lui était offerte, car il comprenait que désormais le rôle des commissaires n'était plus que celui de geôliers d'une royauté déchue. Ses trois collègues, le maréchal Maison, MM. Odilon Barrot et de Schonen, furent seuls et définitivement désignés. Ils partirent en toute hâte, munis des instructions du lieutenant général du royaume, devançant de quelques heures à peine la colonne des volontaires parisiens que guidaient (car ils ne pouvaient les commander) le général Pajol et le colonel Jacqueminot.

Le général Pajol a souvent, depuis cette époque, raconté les impressions qu'avec son expérience de vieux soldat il avait ressenties durant cette expédition tout à la fois ridicule et téméraire. Quelques coups de canon et une charge de cavalerie eussent suffi pour culbuter la cohue armée qu'il traînait derrière lui, et peut-être aussi pour ramener aux portes de Paris la royauté fugitive. Mais les desseins de la Providence sont immuables; il ne se trouva personne pour ordonner cette charge, pour faire mettre le feu à une de ces vingt pièces de canon que l'artillerie de la garde groupait en

core autour des massifs de la forêt de Rambouillet.

Et quelques jours après, le 14 août 1830, Charles X, son fils et son petit-fils, trois générations de rois, mettaient le pied sur le navire qui les conduisait vers l'asile qu'un successeur de Jacques II accordait de mauvaise grâce au descendant de Louis XIV.

Désormais le duc d'Orléans n'avait plus qu'un pas à faire pour atteindre ce trône que la bourgeoisie parisienne, effrayée d'un interrègne de dix jours, le conjurait avec instance d'occuper au plus vite. Le 6 août, M. Bérard, qui avait été chargé de modifier à la hâte la Charte de 1814, apporta à la Chambre le projet qu'il avait rédigé.

La lecture de cette œuvre mutilée qui allait s'appeler « la Charte de 1830» fut accueillie par des applaudissements, et l'on s'empressa de nommer une commission pour examiner le nouveau projet de constitution. Cependant le peuple, qui avait pris l'habitude de l'émeute et n'était pas encore retourné dans ses foyers, grondait autour de la Chambre, faisant entendre les cris de « A bas l'hérédité de la Pairie ! » A chaque instant la foule augmentait aux abords du palais Bourbon, et son aspect devenait de plus en plus sinistre. Une vive agitation se manifesta bientôt sur les bancs de la Chambre. On parla d'aller haranguer l'émeute; MM. Girod (de l'Ain), Labbey de Pompières,

Benjamin Constant, se présentèrent successivement devant les attroupements, les engageant à se disperser et à laisser les députés délibérer en toute liberté d'action. Le premier ne fut pas écouté, les deux autres ne furent qu'applaudis. Enfin parut M. de Lafayette. En présence de cette popularité encore vivace, l'émeute se tut. Elle comprenait d'ailleurs que M. de Lafayette allait parler son propre langage; il en fut ainsi, en effet : « Mes amis, dit-il, vous savez que je suis l'ennemi des aristocraties; c'est le plus mauvais ingrédient des institutions. Plus d'hérédité de la pairie! Mais je fais de cet attroupement une question personnelle. Si quelque violence était exercée, elle affligerait douloureusement mon cœur dans ces jours glorieux où la liberté et les droits de tous viennent de triompher... Que mon nom vous inspire quelque confiance, j'ai consacré toute ma vie à m'en rendre digne; si j'y suis parvenu, veuillez m'écouter et vous retirer. » L'émeute obéit à cette voix connue. Elle se dispersa, laissant les députés achever paisiblement leur œuvre, sauf à venir la détruire dix-huit ans plus tard de la même façon et dans le même lieu.

Il était bien temps, du reste, que le peuple s'éloignât du palais Bourbon où l'agitation augmentait de minute en minute. « C'est un scandale! s'écriait M. Girod (de l'Ain), la Chambre se laisse

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