CHAPITRE XI. DU PATOIS WALLON EN GÉNÉRAL ET DE CELUI DE L'ARRONDISSEMENT D'AVESNES EN PARTICULIER. On a quelquefois désigné sous ce nom tous les patois de la langue d'Oil, c'est-à-dire ceux du nord de la France et du midi de la Belgique, patois que l'annaliste Vinchant désignait sous le nom de langue Thyoise et que M. Eckart de Valenciennes a recueillis dans son dictionnaire, sous le nom de patois Rouchi (1). Mais le wallon, a proprement parler, est la langue propre aux provinces de Liége, de Namur et à la partie orientale du Hainaut. Les autres patois, tant ceux de la Flandre française et du Cambrésis que ceux de l'Artois, ne sont guère que des ramifications du patois Picard. La ligne de séparation, selon nous, de la langue wallonne d'avec les différents idiomes Picards, serait une ligne qui, partant du Tournaisis, suivrait les rives de la petite rivière du Hongneau, les confins ouest de la forêt de Mormal et remonterait le cours de la Sambre jusqu'à sa source. A l'est de cette ligne, le voyageur est frappé de la différence d'intonation et d'accent qui existe entre le langage des ha (1) Mot formé par l'auteur lui-même, par la contraction de l'expression drochi, signifiant ici et opposée à l'expression drolà, là bas. Ainsi le patois de drouchi n'est pas le patois de drolà. Voilà l'unique raison du nom arbitrairement donné à ce patois par M. Eckart. bitants qu'il y rencontre et ceux de la Flandre française, de l'Artois, du Cambrésis, de la Picardie. Au lieu du parler énergique, ouvert, presque chanté, souvent accompagné d'une pantomime expressive, qu'il a entendu sur les bords de la Lys, de la Scarpe, de la Deule, de l'Escaut et de la Somme, le voyageur qui s'avance vers la Sambre et au delà, n'ouït plus qu'un idiome nasillard, parfois guttural, lent, sans vivacité et sans éclat. Même chose est du caractère des habitants. Au lieu d'une population aux allures franches, bruyantes, pantonymiques et parfois brutales, à la vie souvent grossière et négligée qu'il a vue jusque là, le voyageur rencontre des hommes pleins de circonspection, de calme, aux relations moins rudes, plus prévenantes même, mais aussi quelquefois plus défiantes, moins sincères et expansives, chez qui règnent d'ailleurs des habitudes innées d'ordre et de propreté. Tels sont en général les traits distinctifs du caractère comme du langage des populations de race wallonne. Cette race d'où vient-elle et comment se fait-il que dans une contrée autrefois soumise à des peuples d'origine tudesque, un idiome se rattachant si étroitement à la langue française se soit toujours conservé intact. On peut attribuer ce résultat non-seulement à la conservation de l'ancienne race que les Nerviens, les Atuatiques, les Eburons, en conquérant le pays, ne firent qu'asservir, mais encore à des colonies celtiques qui, au temps des empereurs romains, seraient venues remplacer les tribus décimées des hordes conquérantes. Le langage de ces colons, en se mélangeant avec le latin que de nombreux établissements avaient dû propager en Nervie, aura donné plus tard naissance à un idiome que la conquête franke n'aura point été suffisante à détruire, et cet idiome, par opposition au flamand, au hollandais, langues issues du tudesque, aura été appelée gallon, d'où l'on a fait wallon par l'habitude inhérente à cet idiome de substituer partout le w au g. Telle est du moins notre opinion (1). (1) Il existe trois ouvrages sérieux sur le wallon: ce sont ceux de M. Grandgagnage, de Liége, de M. Escalier, de Douai, et de M. Chavée. Celui-ci vient de paraitre à Paris; il est intitulé : Français et Wallon. Nous ne nous occuperons ici que du patois de la province du Hainaut, non pas tel qu'il était autrefois, au temps de son originalité primitive, mais tel qu'il est aujourd'hui, dénaturé par l'envahissement d'une foule d'expressions françaises et la disparution d'un grand nombre de termes celtiques, ce qui lui a fait perdre une partie de son cachet caractéristique. Le patois de la province du Hainaut peut se diviser en quatre nuances principales: celle des environs de Mons, d'Ath, de Soignies et de Binche, celle des environs d'Avesnes et de Maubeuge, celle qu'on trouve dans les cantons de Trélon, de Solre-le-Château, de Beaumont et de Thuin; enfin, la nuance qui est répandue autour des villes du Quesnoy, de Valenciennes et de Cambrai. Cette dernière nuance, comme nous avons dit, participe plutôt du picard que du wallon proprement dit, dont l'avant-dernière se rapproche tout particulièrement. Quant aux patois des environs de Mons, de Maubeuge et d'Avesnes, ils sont d'une nature mixte et participent des deux précédents. Nous avons caractérisé le patois des environs du Quesnoy, de Cambrai, de Valenciennes. Quant à celui des environs de Mons, il est aussi vif, aussi ouvert, mais plus narquois, plus dégagé, plus bref. Celui des deux autres nuances est plus traînant, plus nasillard, surtout dans la nuance des environs de Trélon, de Solre-le-Château, de Beaumont et de Thuin, où le parler est mélangé de sons gutturaux prononcés à bouche presque fermée, où le g et le j se prononcent toujours mouillés et à la manière des Gaulois, des Italiens, des Anglais, etc., c'est-à-dire accompagnés du di, tandis que le ch y est toujours suivi du ti (1). L'arrondissement d'Avesnes s'étendant dans des localités où se trouvent ces quatre nuances de patois, nous donnerons sur chacun d'eux, à titre de spécimens, cinq fables de La Fontaine, traduites : l'une en langage des environs du Quesnoy, l'autre en patois des environs de Mons, la troisième et la quatrième dans le parler des habitants qui sont autour de Maubeuge et d'Avesnes; la cinquième sera semblable à l'idiome qui règne autour de Trélon, de Solre (1) Par exemple, pour dire général, gendarme, Jean, j'y vais, on dit dans ces cantons dgiénéral, dgiendarme, djian, dj'i vas, et pour dire marchand, on dit marchtiand. le-Château et de Beaumont. Ces spécimens, toutefois, ne devront pas être absolument pris comme types pour toutes les communes qui sont dans le voisinage de ces villes, car s'il est vrai de dire qu'en fait de patois on trouve des différences de village à village, c'est surtout dans la province de Hainaut. Cela vient de la diversité du sol de cette contrée, qui autrefois comme aujourd'hui a toujours présenté, ici des plaines fertiles fort étendues, là des agglomérations industrielles, et ailleurs des bruyères, des prairies et des forêts nombreuses. Dans les pays de plaines et d'industrie on conçoit que le langage se soit plus vite développé et ait pris des allures plus décidées, plus vives. Des besoins plus nombreux, la nécessité de se parler à distance dans les champs et par conséquent à haute voix, surtout les fréquents rapports, le contact continuel qu'exigent les travaux collectifs, en donnent une explication suffisante. Tels furent les patois des environs de Mons, de Valenciennes, du Quesnoy. Il n'en pouvait être ainsi dans les cantons de forêts, de prairies, où l'isolement d'homme à homme, le travail solitaire et l'éparpillement des habitations sur des points éloignés, furent des causes qui maintinrent longtemps le langage des environs d'Avesnes, de Trélon et de Solre dans sa lourdeur, sa grossièreté et sa pauvreté primitives. Ech' Cricri épi ch' Fromion Fable de La Fontaine traduite en vers patois des environs du Quesnoy, de Cambrai et de Valenciennes, Ein cricri qu'avoait canté Sans fu ni liu, ch'pauve diable Sein pquot cousin del même âge, Pi n'connoait qu'l'économie. (Extrait des Archives du Nord, t. III, 3a série.) |