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dont VOTRE MAJESTÉ s'étoit expliquée sur ce sujet; et j'ai cru, SIRE, qu'elle m'ôtoit tout lieu de me plaindre, ayant eu la bonté de déclarer qu'elle ne trouvoit rien à dire daus cette comédie qu'elle me défendoit de produire en public.

Mais, malgré cette glorieuse déclaration du plus grand roi du monde et du plus éclairé, malgré l'approbation encore de M. le légat, et de la plus grande partie de nos prélats, qui tous, dans les lectures particulières que je leur ai faites de mon ouvrage, se sont trouvés d'accord avec les sentiments de VOTRE MAJESTÉ; malgré tout cela, dis-je, on voit un livre composé par le curé de... ' qui donne hautement un démenti à tous ces augustes témoignages. VOTRE MAJESTÉ a beau dire, et M. le légat et MM. les prélats ont beau donner leur jugement, ma comédie sans l'avoir vue, est diabolique, et diabolique mon cerveau ; je suis un démon vêtu de chair et habillé en homme, un libertin un impie digne d'un supplice exemplaire. Ce n'est pas assez que le feu expie en public mon offense, j'en serois quitte à trop bon marché le zèle charitable de ce galant homme de bien n'a garde de demeurer là; il ne veut point que j'aie de miséricorde auprès de Dieu, il veut absolument que je sois damné, c'est une affaire résolue.

Ce livre, SIRE, a été présenté à VOTRE MAJESTÉ; et, sans doute, elle juge bien elle-même combien il m'est fàcheux de me voir exposé tous les jours aux insultes de ces messieurs; quel tort me feront dans le monde de telles calomnies, s'il faut qu'elles soient tolérées; et quel intérêt j'ai enfin à me purger de son im posture, et à faire voir au public que ma comédie n'est rien moins que ce qu'on veut qu'elle soit. Je ne dirai point, SIRE, ce que j'aurois à demander pour ma réputation, et pour justifier à tout le monde l'innocence de mon ouvrage : les rois éclairés, comme vous, n'ont pas besoin qu'on leur marque ce qu'on souhaite; ils voient, comme Dieu, ce qu'il nous faut, et savent mieux que nous ce qu'ils nous doivent accorder. Il me suffit de mettre mes intérêts entre les mains de VOTRE MAJESTÉ; et j'attends d'elle, avec respect, tout ce qu'il lui plaira d'ordonner là-dessus.

Le curé de Saint-Barthélemy, auteur du libelle intitulé: Le Roi glorieux au monde. Contre la comédie de l'Hypocrite que Molière a faite, et que Sa Majesté lui a défendu de représenter.

SECOND PLACET

PRÉSENTÉ AU ROI

Dans son camp devant la ville de Lille en Flandre, par les nommés de LA THORILLIÈRE et de LA GRANGE, comédiens de SA MAJESTÉ, et compagnons du sieur MOLIÈRE, sur la défense qui fut faite, le 6 août 1667, de représenter le Tartuffe jusques à nouvel ordre de SA

MAJESTÉ.

SIRE,

C'est une chose bien téméraire à moi que de venir importuner un grand monarque au milieu de ses glorieuses conquêtes; mais, dans l'état où je me vois, où trouver, SIRE, une protection qu'au lieu où je la viens chercher? Et qui puis-je solliciter contre l'autorité de la puissance qui m'accable, que la source de la puissance et de l'autorité, que le juste dispensateur des ordres absolus, que le souverain juge et le maître de toutes choses?

Ma comédie, SIRE, n'a pu jouir ici des bontés de VOTRE MAJESTÉ. En vain je l'ai produite sous le titre de l'Imposteur, et déguisé le personnage sous l'ajustement d'un homme du monde; j'ai eu beau lui donner un petit chapeau, de grands cheveux, un grand collet, une épée, et des dentelles sur tout l'habit, mettre en plusieurs endroits des adoucissements, et retrancher avec soin tout ce que j'ai jugé capable de fournir l'ombre d'un prétexte aux célèbres originaux du portrait que je voulois faire : tout cela n'a de rien servi. La cabale s'est réveillée aux simples conjectures qu'ils ont pu avoir de la chose. Ils ont trouvé moyen de surprendre des esprits qui, dans toute autre matière, font une haute profession de ne se point laisser surprendre. Ma comédie n'a pas plutôt paru, qu'elle s'est vue foudroyée par le coup d'un pouvoir qui doit imposer du respect; et tout ce que j'ai pu faire en cette rencontre pour me sauver moi-même de l'éclat de cette tempête, c'est de dire que VOTRE MAJESTÉ avoi eu la bonté de m'en permettre la représentation, et que je n'avois pas cru qu'il fût besoin de demander cette permission à d'autres, puisqu'il n'y avoit qu'elle seule qui me l'eût défendue.

Je ne doute point, SIRE, que les gens que je peins dans ma comédie ne remuent bien des ressorts auprès de VOTRE MAJESTÉ, et ne jettent dans leur parti, comme ils l'ont déja fait, de véritables gens de bien, qui sont d'autant plus prompts à se laisser tromper qu'ils jugent d'autrui par eux-mêmes. Ils ont

l'art de donner de belles couleurs à toutes leurs intentions. Quelque mine qu'ils fassent, ce n'est point du tout l'intérêt de Dieu qui les peut émouvoir : ils l'ont assez montré dans les comédies qu'ils ont souffert qu'on ait jouées tant de fois en public sans en dire le moindre mot. Celles-là n'attaquoient que la piété et la religion, dont ils se soucient fort peu mais celle-ci les attaque et les joue eux-mêmes; et c'est ce qu'ils ne peuvent souffrir. Ils ne sauroient me pardonner de dévoiler leurs impostures aux yeux de tout le monde; et, sans doute, on ne manquera pas de dire à VOTRE MAJESTÉ que chacun s'est scandalisé de ma comédie. Mais la vérité pure, SIRE, c'est que tout Paris ne s'est scandalisé que de la défense qu'on en a faite, que les plus scrupuleux en ont trouvé la représentation profitable, et qu'on s'est étonné que des personnes d'une probité si connue aient eu une si grande déférence pour des gens qui devroient être l'horreur de tout le monde, et sont si opposés à la véritable piété, dont elles font profession.

J'attends avec respect l'arrêt que VOTRE MAJESTÉ daignera prononcer sur cette matière: mais il est très assuré, SIRE, qu'il .ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les tartuffes ont l'avantage; qu'ils prendront droit par là de me persécuter plus que jamais, et voudront trouver à redire aux choses les plus innocentes qui pourront sortir de ma plume.

Daignent vos bontés, SIRE, me donner une protection contre leur rage envenïmée! et puissé-je, au retour d'une campagne si glorieuse, délasser VOTRE MAJESTÉ des fatigues de ses conquêtes, lui donner d'innocents plaisirs après de si nobles travaux, et faire rire le monarque qui fait trembler toute l'Europe'!

Voici comment les registres de la Comédie-Française rendent compte de la présentation de ce placet: « Le lendema:n 6, un huissier de la cour du parlement est venu, de la part du premier président, M. de Lamoignon, défendre la pièce. Le 8, te sieur de La Thorillière et moi de La Grange, sommes partis de Paris en poste, pour aller trouver le roi au sujet de ladite défense. S. M. étoit au siége de Lille en Flandre, où nous fùmes très bien reçus. MONSIEUR nous protégea à son ordinaire, et S. M. nous fit dire qu'à son retour à Paris elle feroit examiner la pièce de Tartuffe, et que nous la jouerious. Après quoi nous sommes revenus. Le voyage a coûté 1,000 francs à la troupe. La troupe n'a point joué pendant notre voyage; el nous avons recommencé le 25 de sep(Aimé Martin.)

tembre. >

PRÉSENTÉ AU ROI LE 5 FÉVRIER 1669.

SIRE,

Un fort honnête médecin', dont j'ai l'honneur d'être le malade, me promet et veut s'obliger par-devant notaire de me faire vivre encore trente années, si je puis lui obtenir une grace de VOTRE MAJESTÉ. Je lui ai dit, sur sa promesse, que je ne lui demandois pas tant, et que je serois satisfait de lui pourvu qu'il s'obligeat de ne me point tuer. Cette grace, SIRE, est un canonicat de votre chapelle royale de Vincennes, vacant par la mort de..

Oserois-je demander encore cette grace à VOTRE MAJESTÉ le propre jour de la grande résurrection de Tartuffe, ressuscité par vos bontés? Je suis, par cette première faveur, réconcilié avec les dévots; et je le serois, par cette seconde, avec les médecins. C'est pour moi, sans doute, trop de graces à la fois; mais peutêtre n'en est-ce pas trop pour VOTRE MAJESTÉ; et j'attends, avec un peu d'espérance respectueuse, la réponse de mon placet.

PERSONNAGES.

MADAME PERNELLE, mère d'Orgou '.
ORGON, mari d'Elmire 2.

ELMIRE, femme d'Orgon'.

DAMIS, fils d'Orgon'.

MARIANE, fille d'Orgon et amante de Valère".

VALERE, amant de Mariane.

CLEANTE, beau-frère d'Orgon".

TARTUFFE, faux dévot".

DORINE, suivante de Mariane".

M. LOYAL, sergert 10.

UN EXEMPT.

FLIPOTE, servante de madame Pernelle.

La scène est à Paris, dans la maison d'Orgon.

'I se nommait Mauvilain. C'est en parlant de Mauvilain que Louis XIV dit un jour à Molière : « Vous avez un médecin; que vous fait-il? -- Sire, repondit Moliere, nous causons ensemble; il m'ordonne des remèdes ; je ne les fais point, et je guéris.» (Grimarest.) - Molière obtint le canonicat qu'il demandait pour

le fils de ce médecin.

Acteurs de la troupe de Molière:
MOLIERE (Armande BEJART).
LA GRANGE.

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BÉJART.-MOLIÈRE. 3 Mademoiselle HUBERT. - 5 Mademoiselle DE BRIF.Magdeleine BEJART.

LA THORILLIERE. - DU CROISY.- 9

ACTE PREMIER.

SCÈNE I.

MADAME PERNELLE, ELMIRE, MARIANE, CLEANTE, DAMIS, DORINE, FLIPOTE.

MADAME PERNELLE.

Allons, Flipote, allons; que d'eux je me délivre.

ELMIRE.

Vous marchez d'un tel pas, qu'on a peine à vous suivre.

MADAME PERNELLE.

Laissez, ma bru, laissez; ne venez pas plus loin;
Ce sont toutes façons dont je n'ai pas besoin.

ELMIRE.

De ce que l'on vous doit envers vous on s'acquitte.
Mais, ma mère, d'où vient que vous sortez si vite?

MADAME PERNELLE.

C'est que je ne puis voir tout ce ménage-ci,
Et que de me complaire on ne prend nul souci.
Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée :
Dans toutes mes leçons j'y suis contrariée;
On n'y respecte rien, chacun y parle haut,
Et c'est tout justement la cour du roi Pétaud '.

Si..

DORINE.

MADAME PERNELLE.

Vous êtes, ma mie, une fille suivante,

Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente;
Vous vous mêlez sur tout de dire votre avis.

Mais...

DAMIS.

MADAME PERNELLE.

Vous êtes un sot en trois lettres, mon fils;

'Suivant les commentateurs, le roi Pétaud (de peto, je demande) était le nom du chef que se choisissaient les mendiants au moyen âge. La cour d'un tel roi, avec de tels sujets, ne devait nécessairement présenter que désordre et confusion. Le mot pétaudière se rattache probablement à la même origine.

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