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1er décembre (1854) un message où il s'exprimait en

ces termes :

<< Puisque la France, en violation des engagements pris par son « ministre qui réside ici, a tellement ajourné ses résolutions, « qu'elles ne seront probablement pas connues assez à temps pour « être communiquées à ce congrès, je demande qu'une loi soit << adoptée, autorisant des représailles sur les propriétés françaises, « pour le cas où, dans la plus prochaine session des Chambres « françaises, il ne serait pas voté de loi pour le paiement de la « dette..... Si le gouvernement français continuait à se refuser à << un acte dont la justice est reconnue, et s'il voyait dans nos « représailles l'occasion d'hostilités contre les États-Unis, il ne « ferait qu'ajouter la violence à l'injustice, et il s'exposerait à la « juste censure des nations civilisées et au jugement du ciel. >>

Jamais la nation française, illustre et respectée entre toutes les nations du monde, n'avait été traitée avec un tel excès d'insolence. Le message du général Jakson ne fut pas plus tôt connu à Paris, qu'il y enflamma les esprits d'indignation et de colère. Quoi! c'était la menace et l'insulte à la bouche, c'était presque l'épée à la main, qu'on osait demander à la France le paiement d'une dette dont la légitimité n'était pas démontrée! Que le gouvernement américain eût oublié si vite à quels généreux auxiliaires l'Amérique avait dû jadis la conquête de son indépendance et l'établissement de sa nationalité, il y avait lieu de s'en étonner; mais qu'on ajoutât la provocation à l'ingratitude, et qu'on s'avisât de nous faire peur, et qu'on en vînt jusqu'à nous assigner à bref délai, cela était-il concevable? La plupart des organes de l'opinion prirent feu, et l'on put croire un moment à l'imminence de la guerre.

Mais M. Livingston n'avait été que trop bien

éclairé par ses entretiens avec le roi. Au-dessus de la nation frémissante et toute pleine du désir de venger la dignité nationale, il y avait des hommes dont l'âme appartenait à l'amour du gain. C'étaient les mêmes qui avaient fait refuser la Belgique, à cause des mines d'Anzin et des draps d'Elbeuf! Ils encombraient les avenues du pouvoir, ils formaient la majorité parlementaire, et ils allaient, une fois encore, courber l'honneur de la France sous le joug de leur égoïsme mercantile. On doit néanmoins reconnaître qu'un aussi honteux mouvement de peur et de recul n'emporta pas tous les membres de la majorité sans exception. Il y en eut qui, quoiqu'approbateurs du traité, furent d'avis, avec M. Duvergier de Hauranne, que céder devant une menace serait une honte, une calamité publique. Malheureusement, leurs conseils se perdirent dans le tumulte des intérêts particuliers en émoi.

Quant aux ministres, partagés entre la crainte d'allumer la guerre et celle de laisser tomber trop bas le nom de la France, ils avaient pris le parti: 1° de demander de nouveau à la Chambre le crédit nécessaire au paiement de la dette américaine; 2o de rappeler immédiatement M. Serrurier, envoyé français aux États-Unis, et d'offrir ses passeports à M. Livinsgton, ministre américain à Paris. Les dépêches adressées à M. Serrurier se ressentirent de la double inquiétude qui assiégeait le ministère. Les termes en avaient été pesés avec une prudence minutieuse, et cependant ils n'étaient pas tout-à-fait dépourvus de fermeté. Le roi s'en alarma; le ministère refusa de fléchir. Et alors, s'il faut s'en

rapporter au témoignage d'hommes graves, de personnages initiés, par leur position, aux plus secrets détails de la politique, il se passa des choses d'une nature étrange.

Sur le brick le d'Assas, qui portait en Amérique les dépêches du gouvernement français, un mystérieux émissaire s'embarqua. Il était chargé d'une misssion particulière, indépendante des instructions ministérielles, et qui avait même pour but d'en détruire l'effet. On s'était bien gardé de mettre M. Serrurier dans la confidence. Aussi dut-il être extrêmement surpris de l'accueil fait par le gouvernement américain aux dépêches venues de France. Quelque émouvant que fùt leur contenu, on les reçut avec une indifférence railleuse qui prouvait que sous main, on venait d'être averti qu'il n'y avait pas à les prendre au sérieux. Et en effet, à dater de ce moment, les dispositions du gouvernement américain parurent notablement modifiées, comme s'il eût appris qu'il suffisait d'avoir fait étinceler de loin le glaive, et qu'il était bon de ne pas envenimer la querelle en poussant plus loin la

menace.

Le congrès, sans désavouer les paroles du général Jackson, avait cru devoir attendre, pour s'y associer avec éclat, le résultat des efforts que ferait le roi des Français pour assurer la pleine et entière exécution du traité; et tel avait été, en propres termes, le langage tenu dans le sénat par M. Clay, président du comité diplomatique. Après l'arrivée du brick le d'Assas, et malgré la réception outrageante faite par la multitude aux officiers français, malgré la

couleur hostile adoptée par la presse américaine, le général Jakson se montra beaucoup moins disposé à tirer l'épée du fourreau. Changement d'attitude qui fut officiellement révélé à la France par une note de M. Livingston, qu'approuva, au nom du président des États-Unis, M. Forsith, secrétaire d'État de l'Union pour les affaires étrangères !

Il ne restait plus qu'à obtenir de la Chambre un vote si laborieusement préparé. Depuis long-temps déjà les journaux discutaient les titres de la créance américaine. Et il n'était pas jusqu'à son origine qui n'eût soulevé d'ardents débats. Car elle remontait à une époque éloignée et se liait à des circonstances enveloppées de nuages. On sait que, par décrets lancés de Berlin et de Milan, Napoléon, en 1806 et 1807, avait mis l'Angleterre au ban des Puissances maritimes, et frappé de confiscation tout navire convaincu d'avoir été en relation avec le gouvernement, le territoire ou le commerce britannique. Les Américains prétendaient avoir souffert de l'application de ces décrets; ils avaient réclamé une indemnité, et un traité signé, en 1831, par M. Horace Sébastiani, la leur avait accordée, en la fixant à la somme de 25 millons, qu'il s'agissait maintenant de faire voter à la Chambre.

La polémique fut très-vive. Les partisans du traité faisaient observer que la demande des Américains était juste ; qu'admise en principe par l'Empire, elle avait été éludée, mais non repoussée par la Restauration; qu'en se montrant fidèle à des engagements sacrés, la France de 1850 s'élèverait dans l'estime du monde; qu'il n'y avait pas lieu à

s'arrêter au langage hautain du général Jackson, ce langage ayant été désavoué par le congrès; que le traité de 1831 était un acte consommé, et que la nation française ne pouvait se dispenser de faire honneur à la signature de son roi; que ce traité, d'ailleurs, n'était pas sans compensation, puisque les Américains s'engageaient, de leur côté, à se libérer d'une somme de 1,500,000 fr. réclamée par la France, et qu'ils consentaient à admettre nos vins dans les ports de l'Union, à droits réduits pendant dix ans ; qu'il y avait folie à perdre, pour une affaire d'argent, l'amitié d'un peuple généreux; que nos refus entraîneraient peut-être une guerre qui, sans parler du sang répandu, nous coûterait bien au-delà de la somme exigée; que, même en admettant une moins sombre hypothèse, nous fermerions à nos vins et à nos soieries un débouché important, et jetterions sur la place publique, à la disposition de l'émeute, une foule d'ouvriers sans travail et sans pain.

Aucune de ces raisons ne touchait les adversaires du traité. On mettait en avant la légitimité de la réclamation! Mais on considérait donc comme illégitimes les décrets impériaux qui en étaient la source? Or, les décrets de 1806 et 1807, plus particulièrement dirigés en 1810 contre l'Union, n'avaient-ils pas cu pour but de la contraindre à remplir des devoirs de neutralité que lui faisaient violer, et la soif de l'or, et une condescendance dont l'Angleterre ne pouvait jouir sans que la France eût droit d'en être offensée? Les décrets de 1806 et 1807 n'avaient-ils pas un caractère tout européen,

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