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me surprennent plus tant. Je commence à m'accoutumer à vous et à la grâce que Dieu vous fait, et néanmoins je vous avoue qu'elle m'est toujours nouvelle comme elle est toujours nouvelle en effet.

Car c'est un flux continuel de grâces que l'Écriture compare à un fleuve et à la lumière que le soleil envoie incessamment hors de soi et qui est toujours nouvelle, en sorte que s'il cessait un instant d'en envoyer, toute celle qu'on aurait reçue disparaîtrait et on resterait dans l'obscurité.

Il m'a dit qu'il avait commencé à vous répondre et qu'il le transcrirait pour le rendre plus lisible, et qu'en même temps il l'étendrait. Mais il vient de me l'envoyer avec un petit billet où il me mande qu'il n'a pu ni le transcrire ni l'étendre; cela me fait croire que cela sera mal écrit. Je suis témoin de son peu de loisir et du désir qu'il avait d'en avoir pour vous.

des

Je prends part à la joie que vous donnera l'affaire

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car je vois bien que vous vous intéressez pour l'Église vous lui êtes bien obligée. Il y a scize cents ans qu'elle gémit pour vous. Il est temps de gé mir pour elle et pour nous tout ensemble, et de lui donner tout ce qui nous reste de vie, puisque JésusChrist n'a pris la sienne que pour la perdre pour elle et

pour nous.

II.

Octobre 1656.

Il me semble que vous prenez assez de part au miracle pour vous mander en particulier que la vérification

Dans le manuscrit de l'Oratoire des religieuses.

255

en est achevée par l'Eglise comme vous le verrez par cette sentence de M. le grand vicaire'.

Il y a si peu de personnes à qui Dieu se fasse paraître par ces coups extraordinaires, qu'on doit bien profiter de ces occasions, puisqu'il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d'autant plus d'ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude.

Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n'y aurait point de mérite à le croire; et, s'il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement et se découvre rarement à ceux qu'il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s'est retiré impénétrable à la vue des hom256 mes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui nous le couvre jusques à l'Incarnation; et quand il a fallu qu'il ait paru, il s'est encore plus caché en se couvrant de l'humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible que non pas quand il s'est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu'il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu'à son dernier avénement, il a choisi d'y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l'Eucharistie. C'est ce sacrement que saint Jean appelle dans l'Apocalypse une manne cachée; et je crois qu'Isaïe le voyait en cet état, lorsqu'il dit en esprit de prophétie:

Cette sentence qui approuvait la guérison miraculeuse opérée par l'attouchement de la sainte épine sur Marg. Perier, nièce de Pascal, est du 22 octobre 1656, ce qui donne avec certitude la date approximative de cette lettre. Pascal était alors au fort des Provinciales.

Véritablement tu es un Dieu caché. C'est là le dernier secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles qui, comme dit saint Paul, ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l'ont connu à travers son humanité et adorent Jésus-Christ Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c'est le propre des seuls catholiques: il n'y a que nous que Dieu éclaire jusque là. On peut ajouter à ces considérations le secret de l'Esprit de Dieu caché encore dans l'Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique; et les Juifs s'arrêtant à l'un ne pensent pas seulement qu'il y en ait un autre et ne songent pas à le chercher, de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu'il y en ait un autre auteur et, comme les Juifs, voyant un homme parfait en Jésus-Christ, n'ont pas pensé à y 257 chercher une autre nature: Nous n'avons pas pensé que

ce fût lui, dit encore Isaïe; et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences parfaites du pain dans l'Eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les chrétiens doivent le reconnaître en tout. Les afflictions temporelles couvrent les biens éternels où elles conduisent. Les joies temporelles couvrent les maux éternels qu'elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnaître et servir en tout; et rendons-lui des grâces infinies de ce que s'étant caché en toutes choses pour les autres, il s'est découvert en toutes choses et en tant de manières pour nous.

III.

Je ne sais comment vous aurez reçu la perte de vos lettres. Je voudrais bien que vous l'eussiez prise comme il faut. Il est temps de commencer à juger de ce qui est bon ou mauvais par la volonté de Dieu, qui ne peut être ni injuste ni aveugle, et non pas par la nôtre propre qui est toujours pleine de malice et d'erreur. Si vous avez eu ces sentiments, j'en serai bien content, afin que vous vous en soyez consolée sur une raison plus solide que celle que j'ai à vous dire, qui est que j'espère qu'elles se retrouveront. On m'a déjà apporté celle du 5; et quoique ce ne soit pas la plus importante, car celle de M. Du Gas l'est davantage, néanmoins cela me fait espérer de ravoir l'autre.

Je ne sais pourquoi vous vous plaignez de ce que je n'avais rien écrit pour vous, je ne vous sépare point vous deux, et je songe sans cesse à l'un et à l'autre. Vous voyez bien que mes autres lettres, et encore celleci, vous regardent assez. En vérité, je ne puis m'empêcher de vous dire que je voudrais être infaillible dans mes jugements, vous ne seriez pas mal si cela était, car je suis bien content de vous, mais mon jugement n'est rien. Je dis cela sur la manière dont je vois que vous parlez de ce bon cordelier persécuté, et de ce que fait le. Je ne suis pas surpris de voir M. N. s'y intéresser, je suis accoutumé à son zèle, mais le vôtre m'est tout à fait nouveau; c'est ce langage nouveau que produit ordinairement le cœur nouveau. 270 Jésus-Christ a donné dans l'Evangile cette marque pour

reconnaître ceux qui ont la foi, qui est qu'ils parleront un langage nouveau; et en effet le renouvellement des pensées et des désirs cause celui des discours. Ce que vous dites des jours où vous vous êtes trouvée seule, et la consolation que vous donne la lecture sont des choses que M. N. sera bien aise de savoir quand je les lui ferai voir et ma sœur aussi. Ce sont assurément des choses nouvelles, mais qu'il faut sans cesse renouveler, car cette nouveauté, qui ne peut déplaire à Dieu comme le vieil homme ne lui peut plaire, est différente des nouveautés de la terre, en ce que les choses du monde, quelque nouvelles qu'elles soient, veillissent en durant; au lieu que cet esprit 271 nouveau se renouvelle d'autant plus, qu'il dure davantage. Notre vieil homme périt, dit saint Paul, et se renouvelle de jour en jour, et ne sera parfaitement. nouveau que dans l'éternité, où l'on chantera sans cesse ce cantique nouveau dont parle David dans les psaumes de Laudes', c'est-à-dire ce chant qui `part de l'esprit nouveau de la charité.

Je vous dirai pour nouvelle de ce qui touche ces deux personnes que je vois bien que leur zèle ne se refroidit pas; cela m'étonne, car il est bien plus rare de voir continuer dans la piété que d'y voir entrer. Je les ai toujours dans l'esprit et principalement celle du miracle, parce qu'il y a quelque chose de plus extraordinaire, quoique l'autre le soit aussi beaucoup et quasi sans exemple. Il est certain que les grâces que Dieu fait en cette vie sont la mesure de la gloire

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Psaume 32. 3.

Marguerite Perier qu'on appelait alors la petite miraculeuse.

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