perdons les consolations dévotieuses, et tombons en sécheresse et stérilité d'esprit. Examinons donc notre conscience, si nous remarquons en nous quelques semblables défauts. Mais notez, Philothée, qu'il ne faut pas faire cet examen avec inquiétude et trop de curiosité; mais après avoir fidèlement considéré nos déportements pour ce regard, si nous trouvons la cause du mal en nous, il en faut remercier Dieu; car le mal est à moitié guéri quand on a découvert sa cause. Si au contraire vous ne voyez rien en particulier qui vous semble avoir causé cette sécheresse, ne vous amusez point à une plus curieuse recherche; mais avec toute simplicité, sans plus examiner aucune particularité, faites ce que je vous dirai. 1. Humiliez-vous grandement devant Dieu, en la connaissance de votre néant et misère. Hélas! qu'est-ce que de moi, quand je suis à moi-même? Non autre chose, ô Seigneur, sinon une terre sèche, laquelle, crevassée de toutes parts, témoigne la soif qu'elle a de la pluie du ciel; et cependant le vent la dissipe et réduit en poussière. II. Invoquez Dieu et lui demandez son allégresse. «< Rendez-moi, ô Seigneur, l'allégresse de << votre salut. Mon Père, s'il est possible, trans<< portez ce calice de moi. » Ote-toi d'ici, ô bise infructueuse qui dessèches mon âme; et venez, ô gracieux vents des consolations, et soufflez dans mon jardin; et ses bonnes affections répandront l'odeur de suavité. III. Allez à votre confesseur; ouvrez-lui bien votre cœur, faites-lui bien voir tous les replis de votre âme, prenez les avis qu'il vous donnera, avec grande simplicité et humilité. Car Dieu, qui aime infiniment l'obéissance, rend souvent utiles les conseils d'autrui, et surtout des conducteurs des âmes, encore que d'ailleurs il n'y eût pas grande apparence; comme il rendit profitables à Naaman les eaux du Jourdain, desquelles Élisée, sans aucune apparence de raison humaine, lui · avait ordonné l'usage. IV. Mais après tout cela, rien n'est si utile, rien si fructueux en telles sécheresses et stérilités, que de ne point s'affectionner et attacher au désir d'en être délivré. Je ne dis pas qu'on ne doive faire de simples souhaits de la délivrance; mais je dis qu'on ne s'y doit pas affectionner, mais se remettre à la pure merci de la spéciale providence de Dieu, afin que tant qu'il lui plaira il se serve de nous entre ces épines. Et parmi ces désirs, disons donc à Dieu en ce temps-là : « O Père, « est possible, transportez de moi ce calice; » mais ajoutons de grand courage: «Toutefois, « non ma volonté, mais la vôtre soit faite; » et s'il arrêtons-nous à cela avec le plus de repos que nous pourrons. Car Dieu, nous voyant en cette sainte déférence, nous consolera de plusieurs grâces et faveurs; comme quand il vit Abraham résolu de se priver de son enfant Isaac, il se contenta de le voir indifférent en cette pure résignation, le consolant d'une vision très-agréable et par de très-douces bénédictions. Nous devons donc, en toutes sortes d'afflictions, tant corporelles que spirituelles, et les distractions ou soustractions de la dévotion sensible qui nous arrivent, dire de tout notre cœur et avec une profonde soumission : « Le Seigneur m'a donné des con«solations, le Seigneur me les a ôtées; son saint << nom soit béni. » Car, persévérant en cette humilité, il nous rendra ses délicieuses faveurs, comme il fit à Job, qui usa constamment de pareilles paroles en toutes ses désolations. v. Finalement, Philothée, entre toutes nos sécheresses et stérilités, ne perdons point courage; mais attendant en patience le retour des consolations, suivons toujours notre train; ne laissons point pour cela aucun exercice de dévotion; mais s'il est possible, multiplions nos bonnes œuvres, ne pouvant présenter à notre cher Époux des confitures liquides, présentons-lui-en de sèches, car ce lui est tout un, pourvu que le cœur qui les lui offre soit parfaitement résolu de le vouloir aimer. Quand le printemps est beau, les abeilles font plus de miel et moins de mouchons, parce qu'à la faveur du beau temps elles s'amusent tant à faire leur cueillette sur les fleurs, qu'elles en oublient la production de leurs nymphes. Mais quand le printemps est âpre et nébuleux, elles font plus de nymphes et moins de miel; car, ne pouvant pas sortir pour faire la cueillette du miel, elles s'emploient à se peupler et à multiplier leur race. Il arrive maintes fois, ma Philothée, que l'âme, se voyant au beau printemps des consolations spirituelles, s'amuse tant à les amasser et sucer, qu'en l'abondance de ses doux délices elle fait beaucoup moins de bonnes œuvres; et qu'au contraire, parmi les âpretés et stérilités spirituelles, à mesure qu'elle se voit privée des sentiments agréables de dévotion, elle en multiplie d'autant plus les œuvres solides, et abonde en la génération intérieure des vraies vertus, de patience, humilité, abjection de soi-même, résignation et abnégation de son amour-propre. C'est donc un grand abus de plusieurs, et notamment des femmes, de croire que le service que nous faisons à Dieu sans goût, sans tendreté de cœur et sans sentiment, soit moins agréable à sa divine Majesté, puisqu'au contraire nos actions sont comme les roses, lesquelles, bien qu'étant fraîches elles ont plus de grâce, étant néanmoins sèches, elles ont plus d'odeur et de force. Car tout de même, bien que nos œuvres faites avec tendreté de cœur nous soient plus agréables, à nous, dis-je, qui ne regardons qu'à notre propre délectation, si est-ce qu'étant faites en sécheresse et stérilité, elles ont plus d'odeur et de valeur devant Dieu. Oui, chère Philothée, en temps de sécheresse, notre volonté nous porte au service de Dieu, comme par vive force, et par conséquent il faut qu'elle soit plus vigoureuse et constante qu'en temps de tendreté. Ce n'est pas si grand cas de servir un Prince en la douceur d'un temps paisible et parmi les délices de la cour; mais de le servir en l'âpreté de la guerre, parmi les troubles et persécutions, c'est une vraie marque de constance et fidélité. La bienheureuse Angèle de Foligny dit que l'oraison la plus agréable à Dieu est celle qui se fait par force et contrainte, c'est-àdire celle à laquelle nous nous rangeons, non point pour aucun goût que nous y ayons, ni par inclination, mais purement pour plaire à Dieu, quoi notre volonté nous porte comme à contrecœur, forçant et violentant les sécheresses et répugnances qui s'opposent à cela. J'en dis de même de toutes sortes de bonnes œuvres; car plus nous à |