Images de page
PDF
ePub

397

plus? Cela fera tous les bons effets que vous espérez, et le meilleur encore que vous ne dites pas, c'est qu'on ne trouvera rien qui mérite d'être excusé, et qu'on regrettera seulement que l'auteur n'ait pas assez vécu pour achever un ouvrage qui, tout imparfait qu'il est, est si achevé et si admirable. Après cela, je ne sais plus que vous dire; et si vous n'êtes pas contente, vous avez tort. Voilà comment il faut parler à ses amis, et de tels amis que M' Perier et vous qui ne pouvez trouver mauvaise ma liberté, connaissant mon cœur au point que vous le connaissez, et étant toujours pour vous tel que je dois être, c'est-à-dire plus à vous qu'à moi-même.

On n'a pas fait une seule addition. Vous avez regardé le travail de M' de Roannez comme un grand commentaire, et rien n'est moins semblable à ce qu'il a fait que cette idée que vous vous en étiez formée.

Je ne parle point des pensées qu'on a retranchées, puisque vous n'en parlez pas et que vous y consentez. Mais je vous dirai pourtant que j'en ai fait un petit cahier que je garderai toute ma vie comme un trésor pour me nourrir en d'inque tout temps; car je ne voudrais pas laisser perdre la moindre chose de Mr Pascal, dont il ne nous reste rien finiment précieux, ne fût-ce que le petit billet du mois que vous m'avez donné.

Ce serait à moi à faire des excuses, puisque me voici à la neuvième page. Mais je n'ai garde après ce que je vous ai dit. J'embrasse toute la chère famille. Adieu. Je vous supplie de me faire faire une copie de cette lettre-ci par un de Mrs vos enfants, ou de me la renvoyer si vous ne la voulez pas garder, comme elle ne le mérite pas, parce que j'en aurai à faire pour la montrer à Mr de Roannez; je crois de vous que cela fera un bon effet; je lui lirai la vôtre; et si je n'avais été si pressé, il aurait vu celle-ci avant que l'envoyer; mais je n'ai eu que le temps de l'écrire, et encore bien à la hâte. Lisez mon griffonnage, si vous pouvez.

On m'a dit que vous saviez des histoires admirables de songes, de sorciers, sortiléges, apparitions, etc. J'en fais un

petit recueil et je voudrais que vous pussiez voir ce que j'ai déjà écrit. Je ne mets rien dans mon livre que de très-exact et de très-vrai, et de plus circonstancié que je puis. Si vous pouvez m'envoyer quelque chose de ce genre ou si vous en apprenez de personnes bien sûres, je vous supplie de me faire cette grâce. Toutes ces choses, lorsqu'elles sont véritables, sont de grandes preuves de la religion.

Faites-moi, à propos de cela, faire une copie du billet qu'on trouva sur M' Pascal, dont Mr de Roannez m'a parlé, figuré comme il est, feu, flamme, jour de St-Chrysogone. Je serais bien aise de l'avoir.

Encore une fois, mille adieux. Je suis tout à vous. N'oubliez pas de faire mes compliments à mes chères sœurs et à Mr Domat. Adieu encore une fois je ne saurais trop vous le dire.

Ce 11°.

1er P. S. Quand j'eus achevé ma lettre, il était trop tard pour l'envoyer à la poste, de sorte que j'ai été obligé de différer jusqu'aujourd'hui; et comme j'en ai fait ce que je désirais, il n'est pas nécessaire que vous m'en fassiez faire une copie.

2 P. S. Il est arrivé quelque chose depuis qui m'oblige à vous prier de m'en faire faire une copie par un de vos enfants ou de Mlles vos filles. Je leur serais très-obligé de la peine qu'elles prendront.

Je ne vous puis dire, madame, la joie que j'ai eue de voir la lettre du trente novembre que vous avez écrite à M' de Roannez, et qu'il m'a envoyée aussitôt ; c'est une réponse par avance à cette grande lettre que je vous écris présentement. Cependant je ne ferai point commencer à imprimer, quoique la chose presse extrêmement, que je n'aie eu votre dernière réponse à tout ce que je vous mande, quoique ce que vous avez mandé à Ma de Roannez me donne lieu d'espérer que votre réponse sera aussi favorable que nous le

Etienne Perier était né à Rouen, à l'époque où son grand-père, Etienne Pascal, était intendant pour les finances en Normandie.

souhaitons. Je vous dois dire, madame, que M' votre fils est bien aise de se voir bientôt au bout de ses sollicitations auprès de moi et de vos autres amis, et de n'être plus obligé à nous tenir tête avec l'opiniâtreté qu'il faisait et dont nous ne pénétrions pas bien les raisons. Car la force de la vérité l'obligeait à se rendre, et cependant il ne se rendait point et revenait toujours à la charge; et la chose allait quelquefois si loin que nous ne le regardions plus comme un Normand', qui sont gens naturellement complaisants, mais comme le plus opiniâtre Auvergnat qui fût jamais c'est tout dire. Mais maintenant nous ferons bientôt la paix, et j'espère que votre satisfaction, et la gloire, et l'applaudissement, qui sont inséparables de la publication de cet ouvrage, achèveront de mettre fin aux petits différends que nous avons eus, Mr de Roannez et moi, avec Mr votre fils. J'aurais mille choses à vous dire de lui qui vous consoleraient infiniment; mais je n'ai pas assez de temps; ce sera pour une autre fois. N'oubliez pas mes histoires. Je suis tout à vous; vous le

savez.

No IX. Relation d'un entretien de M. l'archevêque de Paris avec M. Desprez, libraire, envoyée par celui-ci à M. Perier (1).

. . Ensuite ce prélat me dit: M. Desprez, il y a un fort habile homme qui m'est venu voir; ce n'est pourtant pas, me dit-il, un homme de notre métier, je veux dire qu'il n'est pas théologien, mais c'est un fort habile homme et fort éclairé; il m'a dit qu'il avait lu le livre de M. Pascal et qu'il fallait demeurer d'accord que c'était un livre admirable; mais qu'il y avait un endroit dans ce livre où il y avait quelque chose qui semblait favoriser la doctrine des jansé

Jer Recueil MS. du P. Guerrier, pag. LX. Nous extrayons seulement quelques passages de cette relation qui se trouve reproduite en abrégé dans le Recueil de pièces pour servir à l'histoire de PortRoyal. Utrecht, 1740.

nistes et qu'il valait mieux faire un carton que d'y laisser quelque chose qui en pût troubler le débit; qu'il en serait fâché à cause de l'estime qu'il avait pour la mémoire de feu M. Pascal.

[ocr errors]

Je lui exprimai de mon mieux quelle était la grandeur des obligations que lui avaient non-seulement les parents, mais même les amis de M. Pascal, de la grâce qu'il leur faisait de vouloir bien s'intéresser dans ce qui regardait la conservation de sa réputation. Je le suppliai très-humblement de vouloir bien me permettre de vous écrire ce qu'il avait la bonté de me dire; il y consentit volontiers. Et que pour ce que lui avait dit cette personne je ne lui en pouvais pas parler parce que cela n'était pas de mon métier, mais que je le pouvais assurer que depuis qu'on imprime on n'avait point imprimé de livre qui ait été examiné avec plus de rigueur et plus de sévérité que celui-là; que les approbateurs l'avaient gardé six mois pendant lesquels ils l'avaient lu et relu, et que tous les changements qu'ils ont trouvé à propos de faire on les avait faits sans en excepter un seul; que personne ne pouvait lui en rendre un compte plus exact que moi, d'autant que M. votre fils m'avait chargé du soin de ces approbations; que c'était moi qui en avait été le solliciteur auprès de messeigneurs les prélats et de MM. les docteurs que c'était pourquoi je pouvais lui en parler positivement et partant qu'il devait être assuré qu'on n'y avait rien laissé passer qui pût commettre ni celui qui en était l'auteur, ni sa mémoire. Il me dit: Voilà qui est bien qui sont les approbateurs... etc. «Puis s'adressant à moi, il me dit : « Que n'avez-vous pris l'approbation de nos professeurs?

<< Vraiment, lui dis-je, Monseigneur, si nous en étions réduits là, nous n'aurions qu'à fermer nos boutiques, parce que comme ces messieurs-là ont d'autres choses à faire, ils ne se donnent la peine de lire nos livres que quand ils n'ont plus rien qui les occupe. Que je leur porte un livre comme M. Pascal, ils me le garderont six mois; et après ce temps-là, si c'est un livre qu'ils ne veuillent pas qui paraisse, ils le rendent sans donner d'approbation et sans vouloir même dire

la raison pourquoi ils ne la donnent pas. Point du tout, reprit le prélat; donnez-moi un livre comme celui-là, je vous le rendrai lu et examiné dans quinze jours. Je n'en doute point, Monseigneur, répliquai-je au prélat; mais ils le feront par obéissance et par le respect qu'ils portent à votre autorité. Mais qu'un homme comme moi s'adresse à eux pour cela, ils me considéreront comme rien.

Ensuite le prélat parla à son aumônier de l'estime qu'avait fait du livre de M. Pascal celui qui l'avait lu et qui lui en avait parlé. C'est, lui dit-il, M. de Lamothe Fénélon.

"

« Je dis à Mgr l'archevêque qu'il fallait qu'il prît la peine de commencer la lecture de ce livre par la préface, parce que cette lecture était nécessaire pour bien entendre le livre et qu'il ne fallait pas même omettre le petit avertissement, et ayant pris le livre d'entre ses mains pour le lui montrer, et l'ayant trouvé, je lui demandai s'il trouverait bon que je le lusse; il me dit que je lui ferais plaisir. Je le lus donc et lui fis remarquer l'endroit où il est parlé du fleuron, il me dit qu'il cesserait toute autre lecture jusqu'à ce qu'il eût lu notre livre; ensuite il me parla de la personne particulière de M. Pascal, d'où il était, de sa famille, etc. Je le lui dis; je lui fis une discussion autant exacte que je pus des grâces que Dieu a répandues si abondamment sur toute votre maison; je m'arrêtai beaucoup à lui établir le mérite particulier de Melle. Perier qui ne dégénère en rien de celui de feu M. son frère. Je lui parlai de M. Perier le jeune, et ce qui m'en donna l'occasion fut la machine de feu M. Pascal dont je parlai à ce prélat d'une manière qu'il me témoigna me vouloir du mal de ne lui avoir pas procuré la vue d'une si admirable chose, et d'autant plus qu'étant entre les mains de M. Perier il aurait eu le lieu de le connaître. Ce qui augmenta son déplaisir fut le plan de son esprit que je lui fis autant que je le pus et autant que mes faibles lumières et l'habitude que j'ai eu l'honneur d'avoir avec lui me le put permettre..... »

« PrécédentContinuer »