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depuis ce dieu de l'ancienne philosophie. On a perfectionné plusieurs de ses preuves, mieux établi ses principes, analysé ses ouvrages. De belles pensées, que tant d'autres ont prises, n'étonnent plus; de grandes images nous sont devenues familières; l'argumentation socratique, si admirable et si simple, est trop lente pour notre impatience; le dirai-je? cette naïveté même du dialogue, qui avait tant d'attraits pour ces peuples, mais qui s'accorde si mal avec nos usages, est peut-être ce qu'on a le moins goûté parmi nous.

J'ai donc essayé de choisir ; j'ai voulu traduire ce qui fait de Platon un homme de génie, comme théologien, moraliste, législateur; ces mystérieuses pages, qui ressemblent aux feuilles des oracles, et que saint Justin croyait inspirées. Platon, inégal, hardi, sans autre règle qu'une imagination sublime, gagne à être lu par extraits; Aristote, logicien grave et froid, chez qui tout s'enchaîne et se tient, a besoin d'être étudié de suite pour être compris. Nous n'avons

presque rien détaché des dialogues coutre les sophistes, où les raisonnements, très souvent sophistiques, forment un tissu plus brillant que solide, mais qu'il faut respecter.

Il était indispensable d'éviter aussi cette monotonie des demandes et des réponses. Qu'on ne juge pas de tous les dialogues de Platon par ceux de Cicéron, de Lucien et des modernes. Sous le nom de Socrate, de Timée, de l'Athénien, il développe en liberté ses propres opinions, rarement con tredites; et ceux qui l'écoutent ne parlent guère que pour l'approuver. S'il y a ici quelques exceptions, on reconnaîtra sans peine aux mouvements du style les traces du dialogue.

Ce serait un amour - propre inutile de vouloir disserter encore sur Platon, après ce qu'en ont dit Clément d'Alexandrie, Origène, Eusèbe; Plotin, Porphyre, Iamblique, Proclus; Denys d'Halicarnasse et Maxime de Tyr; Cicéron, Sénèque et ApuJée; Dacier, Voltaire, Arnaud, quelques

écrivains plus récents, et les derniers édi teurs étrangers. On a trop parlé de Platon : j'ai mis plus de huit années de travaux et de soins à le faire parler lui-même.

Ajoutons seulement qu'il est temps de revenir à ces nobles pensées qui jadis ont élevé si haut le disciple de Socrate, à ces inspirations du génie, à ces révélations du cœur, que les merveilles de l'esprit ont fait oublier. Nous avons tout approfondi, tout divisé, tout expliqué dans notre nature; l'entendement a sans cesse multiplié ses découvertes mais la raison paraît s'être enfermée elle-même dans ce labyrinthe qui est son ouvrage : moins téméraire, elle est moins céleste, et l'homme, à force d'analyser un point, n'a plus pensé à l'immensité. Que sont devenues les belles et grandes conceptions des sages de l'Orient? Aimezvous mieux les subtiles conjectures, les abstractions savantes, les obscurités impénétrables, enfin les systèmes? Bossuet, Malebranche et Platon parlent à l'ame; laissez vos docteurs qui raisonnent, et livrez-vous

aux prophètes sacrés qui font converser la terre avec les cieux. Nos philosophes regardent en pitié ce qu'ils appellent les rêveries de Platon; mais qui nous donnera des songeurs comme lui? où trouveronsnous ce charme, cette illusion, qui nous entraînent dans le monde enchanté dont il s'environne? O sophistes raisonnables, que ne nous enchantez-vous ?

J'ignore si mes faibles essais donneront quelque idée de cette ame noble, sensible, religieuse. Mais je répète qu'il me serait impossible de faire dignement le portrait de Platon. Devais-je même parler de lui? ce n'est pas moi qu'il faut entendre.

J.-VICT. LE CLERC.

AVIS.

Le même ouvrage, avec une Histoire abrégée du Platonisme, le texte grec, des notes latines et françaises (1 volume in-80), se trouve chez Delalain.

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