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CAUSERIES DU LUNDI

Lundi, 24 septembre 1860.

OEUVRES

DE MAURICE DE GUÉRIN

PUBLIÉES PAR M. TRÉBUTIEN (1).

Le 15 mai 1840, la Revue des Deux-Mondes publiait un article de George Sand sur un jeune poëte dont le nom était parfaitement ignoré jusque-là, Georges-Maurice de Guérin, mort l'année précédente, le 19 juillet 1839, à l'âge de vingt-neuf ans. Ce qui lui valait cet honneu posthume d'être ainsi classé à l'improviste, à son rang d'étoile, parmi les poëtes de la France, était une magnifique et singulière composition, le Centaure, où toutes les puissances naturelles primitives étaient senties, exprimées, personnifiées énergiquement, avec goût toutefois, avec mesure, et où se déclarait du premier coup un maître, « l'André Chénier du panthéisme, » comme un ami l'avait déjà surnommé. Des fragments de lettres cités, des épanchements qui révélaient une tendre et belle âme, formaient, autour de ce morceau colossal de

(1) 2 volumes in-18, imprimerie de Hardel, à Caen.

marbre antique, comme un choeur charmant de demiconfidences à moitié voilées, et ce qu'on en saisissait au passage faisait vivement désirer le reste. Il y eut dès lors dans la jeunesse toute une école choisie, une génération éparse d'admirateurs qui se répétaient le nom de Guérin, qui se ralliaient à cette jeune mémoire, l'honoraient en secret avec ferveur, et aspiraient au moment où l'œuvre pleine leur serait livrée, où l'âme entière leur serait découverte. Vingt ans se sont écoulés depuis, et des difficultés, des scrupules, des pudeurs de toute sorte, et de la nature la plus respectable, avaient retardé l'accomplissement du vou formé au nom de l'art par l'amitié. Guérin avait déjà eu le temps d'être imité par d'autres poëtes, qui semblaient tout originaux de cette imitation, et lui-même il n'était pas publié et mis en lumière. Dans l'intervalle cependant, il ya cinq ans de cela, avaient paru, mais sous la réserve encore d'une demi-publicité, les Reliques d'une sœur du poëte, Eugénie de Guérin, son égale, sinon sa supérieure en talent et en âme (1). Le désir de connaître et de posséder enfin les OEuvres complètes du frère s'en était accru et comme irrité. Nous avons le plaisir d'annoncer qu'elles vont paraître; toutes les feuilles imprimées sont sous mes yeux; des amis fidèles en ont trié et préparé la matière, et le savant et poétique antiquaire, M. Trébutien, y appliquant son soin comme un moine fervent du MoyenAge eût fait à l'écriture et à l'enluminure d'un saint missel, trésor de son abbaye, en a procuré l'édition.

Rien n'était exagéré dans la première impression reçue en 1840; tout aujourd'hui se justifie et se confirme; l'école moderne compte bien en effet un poëte, un paysa

(1) Voici le titre exact de ce volume: Eugénie de Guérin : Reliquæ publié par Jules Barbey d'Aurevilly et G.-S. Trébutien. Caen, imprimerie de Hardel, 1855, avec cette note: « Ce volume, tiré à petit nombre, ne se vend pas. » — J'en ai parlé au tome XII des Causerian.

giste de plus. J'ai besoin tout d'abord de le rapporter à son vrai moment, à ses vraies origines. C'est en 1833 que Maurice de Guérin, qui n'était alors que dans sa vingt-troisième année, commença de développer et d'épanouir dans le cercle de l'intimité cette première fleur de sentiment, qui nous est montrée seulement aujourd'hui et qui va nous rendre tout son parfum. Né le 5 août 1810, il appartenait à cette seconde génération du siècle, lequel n'avait plus deux ou trois ans, mais bien dix ou onze lorsqu'il produisait cette volée nouvelle des Musset, des Montalembert, des Guérin; je joins exprès ces noms. Né sous le beau ciel du Midi, d'une ancienne famille noble et pauvre, Maurice de Guérin, rêveur dès l'enfance, fut tourné de bonne heure vers les idées religieuses et inclina, sans effort, à la pensée de l'état ecclésiastique. Il n'avait pas douze ans lorsque, dans les premiers jours de janvier 1822, il sortait pour la première fois, pauvre oiseau exilé, de ses tourelles du Cayla, et arrivait à Toulouse pour y faire ses études, je crois, au petit séminaire. Il les vint terminer à Paris au Collége Stanislas. C'est au sortir de là, après avoir hésité quelque temps, après être retourné dans sa famille, y avoir revu ses sœurs, et les amies de ses sœurs, que, troublé, sensible et même, on le devine, secrètement blessé, il alla chercher à la Chênaie du repos, un oubli, plus encore qu'il n'y apportait une vocation religieuse, bien traversée déjà et bien incertaine.

Il avait aimé, il avait pleuré et chanté ses peines pendant une saison passée dans son beau Midi, la dernière avant son départ pour la Chênaie. Témoin ces vers datés de la Roche d'Onelle, qui se rapportent à l'automne de 1832:

Les siècles ont creusé dans la roche vieillie

Des creux où vont dormir des gouttes d'eau de pluis

Et l'oiseau voyageur, qui s'y pose le soir,
Plonge son bec avide en ce pur réservoir.
Ici je viens pleurer sur la roche d'Onelle
De mon premier amour l'illusion cruelle ;

Ici mon cœur souffrant en pleurs vient s'épancher...
Mes pleurs vont s'amasser dans le creux du rocher...
Si vous passez ici, Colombes passagères,

Gardez-vous de ces eaux : les larmes sont amères.

Un jeune Grec, disciple de Théocrite ou de Moschus, n'eût pas mieux dit que ce jeune Lévite qui semblait en quête d'un apôtre.

Il arriva à la Chênaie à l'entrée de l'hiver; il y était le jour de Noël 1832; il avait trouvé son asile. La Chênaie, «< cette sorte d'oasis au milieu des steppes de la Bretagne, » où, devant le château, s'étend un vaste jardin coupé par une terrasse plantée de tilleuls avec une toute petite chapelle au fond, était le lieu de retraite de M. de La Mennais, de M. Féli (comme on l'appelait dans l'intimité); et il avait près de lui, d'habitude, quatre ou cinq jeunes gens qui, dans cette vie de campagne, poursuivaient leurs études avec zèle, selon un esprit de piété, de recueillement et d'honnête liberté. L'heure à laquelle Guérin y arriva était des plus mémorables, des plus décisives pour le maître ; on peut le dire avec certitude et précision, aujourd'hui que l'on a lu la Correspondance intime de La Mennais durant ce temps. Ce grand et violent esprit, qui ne se pouvait reposer que dans de solutions extrêmes, après avoir tenté l'union publique du Catholicisme et de la Démocratie, et l'avoir prêchée dans son journal d'un ton de prophète, 's'était vu forcé de suspendre la publication de l'Avenir. Il avait fait le voyage de Rome pour consulter l'autorité suprême; il en était revenu, ménagé personnellement, mais très-nettement désapprouvé, et avait paru se soumettre; il se croyait peut-être même sincèrement soumis, tout en méditant déjà et en roulant des pensées de

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