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RÉFUTATION

DU SYSTÈME DU P. MALEBRANCHE

SUR

LA NATURE ET LA GRACE.

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CHAPITRE PREMIER.

Exposition du systême de l'auteur et du dessein de cette réfutation.

Il m'a paru, en lisant la Recherche de la vérité, que l'auteur du livre joignoit à une grande connoissance des principes de la philosophie, un amour sincère pour la religion. Quand j'ai lu ensuite son ouvrage de la Nature et de la Gráce, l'estime que j'avois pour lui m'a persuadé qu'il s'étoit engagé insensiblement à former ce systême sans envisager les conséquences qu'on en peut tirer contre les fondemens de la foi. Ainsi je crois qu'il est important de les lui montrer.

Voici les principales choses qui composent ce systême Dieu étant un être infiniment parfait, ne doit rien faire qui ne porte le caractère de son infinie perfection: ainsi, parmi tous les ouvrages qu'il peut faire, sa sagesse le détermine toujours à produire le plus parfait. Il est vrai qu'il est libre pour agir ou pour n'agir pas au dehors: mais, supposé

qu'il agisse, il faut qu'il produise tout ce qu'il y a de plus parfait parmi les êtres possibles; l'ordre l'y détermine invinciblement; il seroit indigne de lui de ne s'y conformer pas.

Il s'ensuit de ce principe, qu'il n'a dû produire le monde que dans le temps. En voici la raison : il étoit libre de ne le produire pas; c'est ce que nous avons déjà vu : il a donc pu délibérer pour le produire; or, en délibérant, et en consultant l'ordre, il a trouvé qu'il étoit plus digne de sa sagesse de ne le produire que dans le temps, pour donner à son ouvrage un caractère de dépendance. Mais il est vrai aussi, qu'après avoir produit le monde, il doit le faire durer éternellement, puisque Dieu est immuable dans ses desseins, et qu'il doit donner à son ouvrage un caractère d'immutabilité.

Voilà donc l'auteur engagé à trouver dans le monde un caractère de perfection infinie; il prétend le faire par deux moyens.

Le premier consiste en ce que Dieu produit l'ouvrage le plus parfait qu'il puisse produire, par des voies simples. Il pourroit ajouter plusieurs beautés apparentes à son ouvrage, mais il ne pourroit le faire sans déroger à cette simplicité de voies, et sans blesser l'ordre, dont les lois lui sont inviolables. Ainsi, un ouvrage qui paroît en lui-même d'une perfection bornée, ne laisse pas d'être l'ouvrage le plus parfait de tous les possibles, à cause de l'ordre et de la simplicité des voies par lesquelles Dieu le produit; et par conséquent il porte le caractère des attributs et de l'infinie perfection de son créateur.

Qu'est-ce que cette simplicité de voies? Voici comment l'auteur l'explique. Dieu connoissant toutes les manières de faire son ouvrage, choisit celle qui lui coûtera le moins de volontés particulières, celle où il voit que les volontés générales seront plus fécondes en effets propres à le glorifier; il est déterminé invinciblement à ce choix par l'ordre immuable. Par exemple, il auroit pu, en ajoutant des volontés particulières aux lois générales du mouvement, empêcher que la pluie ne tombât inutilement dans la mer, et faire que cette pluie arrosât des terres qu'elle auroit rendues fertiles: mais il est plus parfait à Dieu de s'épargner des volontés particulières, que d'ajouter cette perfection à son ouvrage.

Pour produire un plus grand nombre d'effets sans blesser cette simplicité des lois générales, Dieu a établi certains êtres comme causes occasionnelles de certaines choses qui arrivent, et qu'on ne peut attribuer aux volontés générales de Dieu. Par exemple, il a établi les anges causes occasionnelles des miracles de l'ancien Testament, c'est-à-dire que les anges ne sont point les causes réelles de ces miracles, parce qu'ils n'ont pas en eux la vertu de les produire. Mais Dieu s'est fait à soi-même une loi générale de faire ces miracles à l'occasion des volontés des anges; en un mot, il a bien voulu que la volonté des anges le déterminât à les faire.

Mais, comme l'auteur avoit besoin d'aller plus loin pour montrer que l'ouvrage de Dieu a un caractère de perfection infinie, il joint au principe de la simplicité des voies de Dieu, un second principe qui achève de former son systême; c'est que le monde

seroit un ouvrage indigne de l'infinie perfection de Dieu, si Jésus-Christ n'entroit dans le dessein de la création. Dieu n'a pu créer le monde qu'en vue de l'incarnation du Verbe. Quand même l'homme n'auroit jamais péché, la naissance de Jésus-Christ eût été d'une nécessité absolue.

Jésus-Christ étant le chef de tous les ouvrages de Dieu, le tout où Jésus-Christ se trouve compris est d'une perfection infinie; et on peut dire qu'à regarder ce tout, dont Jésus-Christ fait le prix et la perfection, la sagesse et la puissance divine ne pouvoient rien produire de plus parfait.

Au reste, Jésus-Christ ne fait pas seulement la perfection de l'ouvrage par sa propre excellence qu'il communique au tout, il fait encore cette perfection en conservant la simplicité des lois générales, étant établi par son père comme l'unique cause occasionnelle de toutes les grâces. Il les fait répandre sur tous ceux pour lesquels il prie en particulier, et il sauve ainsi tous ceux qui sont sauvés, sans qu'il en coûte à son père des volontés particulières.

Jésus-Christ étant donc établi médiateur ou cause occasionnelle de toutes les grâces que Dieu distribue, sa prière est ce qui détermine toujours Dieu à donner la grâce aux hommes. Mais comme Jésus-Christ en tant qu'homme est une créature d'une puissance bornée, il ne peut prier pour tous les hommes. Ceux pour lesquels il prie en particulier, pour les faire entrer dans le dessein de son édifice spirituel, ont la grâce; ceux pour lesquels il ne prie pas en sont privés, et périssent.

A la vérité, Dieu, par une volonté générale, veut

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