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mauvais idéal politique, et si cet idéal était changé, tout changerait avec lui. On n'apprécie pas à leur juste valeur la puissance d'initiative et l'ascendant moral que possèdent en France ceux qui tiennent dans leurs mains le gouvernement. Toutes les fois que la France a eu un noble idéal devant elle, elle s'est élevée sans effort pour l'atteindre. Sous Saint-Louis, les croisades au milieu des querelles interminables de la féodalité; sous Louis XIV, au sortir de la Fronde, la prééminence de la France par les armes et par les lettres sur l'Europe doublement vaincue; en 89, la grandeur des principes d'humanité, d'égalité et de liberté, au sortir des misères du règne de Louis XV; en 1800, au sortir des faiblesses et des corruptions du directoire, les magnificences de la victoire, ont trouvé l'esprit de la France au niveau de la situation qui se présentait, quelque haute qu'elle fût. Si bas qu'elle vous paraisse descendue, énoncez devant elle une idée juste, ou faites parler un sentiment généreux, montrezlui un flambeau ou une épée, elle est en un instant debout et prête à vous suivre. Peuple étonnant qui avez accompli tant de merveilles et qui êtes vous-même une vivante merveille, qui n'avez jamais laissé en chemin ceux qui vous ont ouvert une noble route, et vous ont marqué un but digne de vos efforts, qui trouvez dans votre sein fécond l'homme du péril qu'il faut vaincre et celui de la difficulté d'où il faut sortir; nation où le soldat se réveille général et devine la guerre que l'on apprend ailleurs, où l'esprit court les rues, où le génie, comme l'étincelle électrique produite par le choc des puages, jaillit du choc des événements, ce n'est pas

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nous qui méconnaîtrons jamais votre passé, au point de désespérer de votre avenir!

Ce qui arrive aujourd'hui en France, est arrivé toutes les fois qu'un idéal digne de cette nation ne lui a pas été offert, ou qu'on lui a offert un idéal indigne d'elle. Quoi de plus voisin, à ne consulter que la distance chronologique, que la Fronde et le règne de Louis XIV? Quoi de plus éloigné, si l'on considère la distance morale? Cependant c'est la même nation, la même génération, les mêmes intelligences, le même pays. Qu'y a-t-il donc de différent? La différence, la voici. Sur ce vestibule du grand siècle, qu'on appelle la Fronde, la France ressemblait à une armée au repos dans laquelle, chaque soldat marchant à sa guise, l'oisiveté des camps produit les fourrageurs et les pillards; tandis que, lorsque le grand siècle commence, l'appel du tambour et les fanfares de la trompette se sont fait entendre, chacun est à son poste, dans le corps auquel il appartient, et chaque corps occupe son ordre de bataille. Il n'y a plus de fourrageurs, il n'y a plus de pillards; il y a une armée qui marche à la victoire; Condé, Turenne, au lieu d'épuiser leur génie l'un contre l'autre dans des luttes civiles, unissent leurs glorieux efforts contre l'Europe; chacun, dans le siècle, a retrouvé sa place, et le siècle a retrouvé sa route.

Voilà la différence qui existe entre la France, suivant un noble idéal qui marche devant elle, et la France sans idéal, réduite à la vie matérielle; entre la France en action et la France tombée dans ce repos et dans cette immobilité qui corrompent l'intelligence et les sentiments des nations, comme les eaux de la mer, à tel point que, selon l'ingénieuse remarque d'un spirituel orateur (1), on produit des courants factices dans les ports, afin de prévenir, par le mouvement qu'on imprime à ces masses de liquide stagnant, la décomposition qui enfante des fièvres contagieuses par ses émanations morbides.

C'est par ce défaut d'action que nous expliquons, en partie au moins, les symptômes de corruption qui se montrent dans le monde politique, mais surtout l'influence que cette corruption exerce dans une sphère moins limitée. On a beaucoup parlé et l'on parle encore beaucoup du relâchement des mœurs électorales et parlementaires; croyez le bien, ce relâchement ne tient pas entièrement au vice de la loi électorale, quelque mauvaise et quelque restreinte qu'elle soit; il tient aussi à ce défaut d'une action politique dont nous parlions tout-à-l'heure. Quel motif veut-on que les électeurs aient, dans les circonstances où nous sommes, de donner leurs voix à tel candidat plutôt qu'à tel autre des deux principales nuances parlementaires qui se partagent la chambre? S'il y avait un système en face d'un système, on pourrait choisir, et la noble passion du bien public pourrait l'emporter. Mais lorsqu'on voit que, sous tous les ministères, le système reste le même ; lorsque la page tourne, depuis bientôt quinze ans, sans que la phrase change; lorsque l'électeur, étranger

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(1) M. de Larcy, Discours sur la proposition de MM. Hébert, Couture et Laurence relativement au domicile politique.

aux deux opinions les plus tranchées de droite et de gauche, qui seules ont un parti pris, a la conviction bien arrêtée qu'elle ne changera pas, soit qu'il nomme un candidat de la nuance de MM. Barrot et Thiers, ou qu'il préfère un candidat de la nuance de M. Guizot, quoi d'étonnant qu'il cherche à faire usage dans un intérêt privé, d'un suffrage qu'il sait impuissant à produire un bien général? Quoi d'étonnant qu'il consulte ses amitiés, qu'il subisse des influences de coterie, ou qu'il veuille profiter de son vote, en trafiquant des destinées de la France? On peut, on doit le déplorer sans doute, mais il serait puéril d'en être surpris. Quand il n'y a pas de mobiles généraux, l'empire des mobiles particuliers commence. Si cela est vrai pour les colléges électoraux, cela est vrai pour la chambre. Qu'on ne demande plus pourquoi les questions de personnes y exercent tant d'influence, pourquoi l'opposition est sans force, la majorité sans drapeau, pourquoi les opinions vont se divisant en nuances qui se subdivisent en coteries; pourquoi le pouvoir doit compter, chaque année, avec des ambitions ou avec des cupidités qui l'obligent à ajouter quelque étage nouveau à l'édifice monumental du budget de quinze cents millions qui nous écrase; pourquoi, au lieu de l'intérêt français qui devrait résumer et contenir, dans l'amplitude de son vaste sein, tous les intérêts, le lien qui les reliait, étant venu à se rompre, ils vivent aujourd'hui dans un haineux voisinage? Encore une fois, cela est triste, mais cela est facile à comprendre. Quand il n'y a pas de drapeau politique déployé, quand il n'y a pas d'idée générale dominant dans une assemblée, tranchons le mot, quand il n'y a pas un noble idéal proposé à une nation par son gouvernement, et quand il n'y a pas une action vers cet idéal, la vie nationale s'arrête, et la cessation de la vie nationale produit le même effet, sur un peuple, que la cessation de la vie humaine sur le corps de l'homme.

Si le symptôme est différent, la cause est la même, quand on voit les esprits, fatigués du néant et du vide qu'ils trouvent dans les affaires publiques tournant sur elles-mêmes comme une roue qui pivote dans le vide sur son immobile essieu, chercher ailleurs un aliment à cette activité intellectuelle dont ils sont dévorés dans ce pays. Chacun travaille alors à se faire l'idéal qui lui manque, et comme ce n'est plus la société qui propose un but aux individus, mais les individus qui le choisissent à leur guise, il y a autant de conceptions à ce sujet que d'intelligences, et l'on arrive naturellement à l'apothéose de la force individuelle, qui reste seule debout, la vie collective et sociale faisant défaut. La société désœuvrée et desheurrée s'arrête au coin de chaque carrefour, et demande l'occupation d'esprit et les émotions que les affaires publiques ont cessé de lui donner, par la faute des pouvoirs qui la gouvernent, elle les demande à des drames réels ou fictifs indignes de son intérêt et de son attention. Tout ce qui dépasse un peu le niveau commun, tout ce qui rompt la monotonie du cours ordinaire des choses, devient l'objet de la préoccupation publique et d'un intérêt qu'on cherche à dépenser, parce qu'on ne sait qu'en faire. Tantôt c'est un

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