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leurs auteurs. Les païens n'ont pas contredit cette tradition. Ni Celse qui a attaqué ces livres sacrés, presque dans l'origine du christianisme; ni Julien l'Apostat, quoiqu'il n'ait rien ignoré ni rien omis de ce qui pouvoit les décrier; ni aucun autre païen ne les a jamais soupçonnés d'être supposés : au contraire, tous leur ont donné les mêmes auteurs que les Chrétiens. Les hérétiques, quoique accablés par l'autorité de ces livres, n'osoient dire qu'ils ne fussent pas des disciples de notre Seigneur. Il y a eu pourtant de ces hérétiques qui ont vu les commencemens de l'Eglise, et aux yeux desquels ont été écrits les livres de l'Evangile. Ainsi la fraude, s'il y en eût pu avoir, eût été éclairée de trop près pour réussir. Il est vrai qu'après les apôtres, et lorsque l'Eglise étoit déjà étendue par toute la terre, Marcion et Manès, constamment les plus téméraires et les plus ignorans de tous les hérétiques, malgré la tradition venue des apôtres, continuée par leurs disciples et par les évêques à qui ils avoient laissé leur chaire et la conduite des peuples, et reçue unanimement par toute l'Eglise chrétienne, osèrent dire que trois Evangiles étoient supposés, et que celui de saint Luc qu'ils préféroient aux autres, on ne sait pourquoi, puisqu'il n'étoit pas venu par une autre voie, avoit été falsifié. Mais quelles preuves en donnoient-ils? de pures visions, nuls faits positifs. Ils disoient, pour toute raison, que ce qui étoit contraire à leurs sentimens devoit nécessairement avoir été inventé par d'autres que par les apôtres, et alléguoient pour toute preuve les opinions mêmes qu'on leur contestoit; opinions d'ailleurs si extravagantes, et si ma

nifestement

nifestement insensées, qu'on ne sait encore comment elles ont pu entrer dans l'esprit humain. Mais certainement, pour accuser la bonne foi de l'Eglise, il falloit avoir en main des originaux différens des siens, ou quelque preuve constante. Interpellés d'en produire eux et leurs disciples, ils sont demeurés muets (1), et ont laissé par leur silence une preuve indubitable qu'au second siècle du christianisme, où ils écrivoient, il n'y avoit pas seulement un indice de fausseté, ni la moindre conjecture qu'on pût opposer à la tradition de l'Eglise.

Que dirai-je du consentement des livres de l'Ecriture, et du témoignage admirable que tous les temps du peuple de Dieu se donnent les uns aux autres? Les temps du second temple supposent ceux du premier, et nous ramènent à Salomon. La paix n'est venue que par les combats; et les conquêtes du peuple de Dieu nous font remonter jusqu'aux Juges, jusqu'à Josué, et jusqu'à la sortie d'Egypte. En regardant tout un peuple sortir d'un royaume où il étoit étranger, on se souvient comment il y étoit entré. Les douze patriarches paroissent aussitôt; et un peuple qui ne s'est jamais regardé que comme une seule famille, nous conduit naturellement à Abraham qui en est la tige. Ce peuple est-il plus sage et moins porté à l'idolâtrie après le retour de Babylone; c'étoit l'effet naturel d'un grand châtiment, que ses fautes passées lui avoient attiré. Si ce peuple se glorifie d'avoir vu durant plusieurs siècles des miracles que les autres peuples n'ont jamais vus, il

(1) Iren. Tertul. Aug. loc. cit.

BOSSUET. XXXV.

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peut aussi se glorifier d'avoir eu la connoissance de Dieu qu'aucun autre peuple n'avoit. Que veut-on que signifie la circoncision, et la fête des Tabernacles, et la Pâque, et les autres fêtes célébrées dans la nation de temps immémorial, sinon les choses qu'on trouve marquées dans le livre de Moïse? Qu'un peuple distingué des autres par une religion et par des mœurs si particulières, qui conserve dès son origine, sur le fondement de la création et sur la foi de la providence, une doctrine si suivie et si élevée, une mémoire si vive d'une longue suite de faits si nécessairement enchaînés, des cérémonies si réglées et des coutumes si universelles, ait été sans une histoire qui lui marquât son origine et sans une loi qui lui prescrivît ses coutumes pendant mille ans qu'il est demeuré en Etat; et qu'Esdras ait commencé à lui vouloir donner tout-à-coup sous le nom de Moïse, avec l'histoire de ses antiquités, la loi qui formoit ses mœurs, quand ce peuple devenu captif a vu son ancienne monarchie renversée de fond en comble quelle fable plus incroyable pourroit-on jamais inventer? et peut-on y donner créance, sans joindre l'ignorance au blasphiême ?

Pour perdre une telle loi, quand on l'a une fois reçue, il faut qu'un peuple soit exterminé, ou que par divers changemens il en soit venu à n'avoir plus qu'une idée confuse de son origine, de sa religion, et de ses coutumes. Si ce malheur est arrivé au peuple Juif, et que la loi si connue sous Sédécias se soit perdue soixante ans après, malgré les soins d'un Ezéchiel, d'un Jérémie, d'un Baruch, d'un Daniel, qui ont un recours perpétuel à cette loi, comme à

l'unique fondement de la religion et de la police de leur peuple; si, dis-je, la loi s'est perdue malgré ces grands hommes, sans compter les autres, et dans le temps que la même loi avoit ses martyrs, comme le montrent les persécutions de Daniel et des trois enfans; si cependant, malgré tout cela, elle s'est perdue en si peu de temps, et demeure si profondément oubliée qu'il soit permis à Esdras de la rétablir à sa fantaisie ce n'étoit pas le seul livre qu'il lui falloit fabriquer. Il lui falloit composer en même temps tous les prophètes anciens et nouveaux, c'est-à-dire, ceux qui avoient écrit et devant et durant la captivité ; ceux que le peuple avoit vu écrire, aussi bien que ceux dont il conservoit la mémoire; et non-seulement les prophètes, mais encore les livres de Salomon, et les Psaumes de David, et tous les livres d'histoire; puisqu'à peine se trouvera-t-il dans toute cette histoire un seul fait considérable, et dans tous ces autres livres un seul chapitre, qui détaché de Moïse, tel que nous l'avons, puisse subsister un seul moment. Tout y parle de Moïse, tout y est fondé sur Moïse; et la chose devoit être ainsi, puisque Moïse et sa loi, et l'histoire qu'il a écrite, étoit en effet dans le peuple Juif tout le fondement de la conduite publique et particulière. C'étoit en vérité à Esdras une merveilleuse entreprise, et bien nouvelle dans le monde, de faire parler en même temps avec Moïse tant d'hommes de caractère et de style différent, et chacun d'une manière uniforme et toujours semblable à elle-même; et faire accroire tout-à-coup à tout un peuple que ce sont là les livres anciens qu'il a toujours révérés, et les nouveaux qu'il vu

faire, comme s'il n'avoit jamais ouï parler de rien, et que la connoissance du temps présent, aussi bien que celle du temps passé, fût tout-à-coup abolie. Tels sont les prodiges qu'il faut croire, quand on ne veut pas croire les miracles du Tout-puissant, ni recevoir le témoignage par lequel il est constant qu'on a dit à tout un grand peuple qu'il les avoit vus de ses yeux.

Mais si ce peuple est revenu de Babylone dans la terre de ses pères, si nouveau et si ignorant, qu'à peine se souvint-il qu'il eût été, en sorte qu'il ait reçu sans examiner tout ce qu'Esdras aura voulu lui donner; comment donc voyons - nous dans le livre qu'Esdras a écrit (1), et dans celui de Néhémias son contemporain, tout ce qu'on y dit des livres divíns? Qui auroit pu les ouïr parler de la loi de Moïse en tant d'endroits, et publiquement, comme d'une chose connue de tout le monde, et que tout le monde avoit entre ses mains? Eussent-ils osé régler par-là les fêtes, les sacrifices, les cérémonies, la forme de l'autel rebâti, les mariages, la police, et en un mot toutes choses, en disant sans cesse que tout se faisoit « selon qu'il étoit écrit dans la »loi de Moïse serviteur de Dieu (2) »?

Esdras y est nommé comme « docteur en la loi >> que Dieu avoit donnée à Israël par Moïse », et c'est suivant cette loi, comme par la règle qu'il avoit entre ses mains, qu'Artaxerxe lui ordonne de visiter, de régler et de réformer le peuple en toutes choses. Ainsi l'on voit que les Gentils mêmes connoissoient

(1) 1. Esdr. 111, vii, 1x, x. 11. Esd. v, viii, 1x, X, XII, XIII. — (2) I. Esd. 111. 2. 11. Esd. vIII, XIII, etc,

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