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INSTITUT.

SÉANCE DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE POUR LA RÉCEPTION DE M. L'ARCHEVÊQue de Paris et DE M. SOUMET.

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CETTE solennité littéraire avait attiré un concours immense; avant midi toutes les portes de l'Institut étaient assiégées par la foule des curieux ; à une heure le public s'est précipité dans toutes les avenues du temple des muses le sanctuaire même a été envahi par les profanes; à peine au moment de la cérémonie les initiés ont-ils pu trouver assez de places pour eux. Quel que soit le talent de M. Soumet, quelque faveur que la nature et le mérite de ses ouvrages lui aient attirée, lui-même n'a pu manquer d'attribuer à la présence de M. de Quélen l'honorable empressement du public. On se rappelle encore le courage et l'indépendance du pontife à combattre cette banqueroute déguisée qui nous a menacés au milieu de l'étonnante prospérité des finances de l'État. Tous les pauvres rentiers que le remboursement devait chasser de la capitale en leur ôtant les moyens d'y subsister à l'avenir, tous les pères de famille qui eussent été obligés de retirer à leurs enfans le bienfait de l'éducation, auraient voulu voir et entendre leur pasteur. Mais la salle de Institut est trop petite pour recevoir ce concours populaire; les pauvres qui lui doivent les plus vives ac26

VII.

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:

tions de grâces n'ont pu assister au triomphe de leur bienfaiteur, mais ils ont été représentés par une brillante et nombreuse assemblée qui s'est chargée d'acquitter pour eux et pour elle-même la dette de la reconnaissance. Une comparaison inévitable entrait encore dans les motifs de la curiosité publique ; la séance académique lui offrait un attrait particulier dans le souvenir de M. l'évêque d'Hermopolis qui répondit si faiblement dans son discours à la brillante attente excitée par ses fameuses conférences de SaintSulpice, dans l'opposition de la souplesse ministérielle, de la docilité complaisante de cette éminence, avec la fermeté de la conduite de son archevêque. Toutefois une position si favorable n'était pas sans dangers pour le récipiendaire plus le public veut de bien à un homme qui est en spectacle aux autres, plus il exige de lui. Ces mêmes spectateurs qui étaient venus pour applaudir le prélat, auraient accueilli froidement un discours semblable à ceux que nous n'entendons que trop souvent, et dans lesquels des déclamateurs emportés violent toutes les convenances, font de la parole un glaive, de la tribune une source de discordes, oublient, en présence même du trône, les leçons de modération qui en descendent. M. de Quélen dont on peut dire que la fortune l'a conduit par la main jusqu'à la haute dignité qu'il occupe dans l'Église, a eu le bonheur ou plutôt la sagesse de ne point tomber dans ces déplorables excès. Opposé aux projets des ministres, il a pris pour modèle les exemples du prince qui ne prononce que des paroles de paix, et s'est montré sujet fidèle au moment même où il venait de faire éclater une honorable indépendance d'opinion; ou plutôt recevant

et

de plus haut encore ses inspirations, il a pris sans y penser le ton qui convenait au ministre d'une religion qui enseigne à calmer les passions et à persuader les cœurs. Ainsi nul anathème n'est sorti de sa bouche contre le siècle, il n'a point fait le procès à la philosophie et au peuple français. Aucune passion politique, aucun esprit de parti n'ont éclaté dans son discours. De même on ne l'a point entendu rabaisser les sciences devant des savans, méconnaître les charmes de la poésie devant des poëtes, déclamer contre le théâtre devant des auteurs dramatiques, ou traiter de vanités mondaines les pompeuses merveilles des arts devant des peintres et des sculpteurs.

Si la critique devait examiner avec sévérité le discours, de M. de Quélen, elle pourrait y trouver de la monotonie, l'abus des mêmes figures, la longueur démesurée des périodes; elle pourrait encore remarquer que ce discours paraissait achevé à tout le monde, lorsque l'orateur a surpris l'assemblée par une addition inattendue, qui ne pouvait que fatiguer et refroidir l'attention. Les justes proportions manquaient aussi dans l'éloge de M. de Beausset; sans doute, les exemples de cet évêque, doué d'un esprit conciliateur et tolérant, méritaient d'être célébrés par l'orateur, et proposés comme des modèles aux pasteurs de tous les rangs; sans doute, l'évêque d'Aix avait des talens et des vertus; mais il ya loin de-là au panégyrique qui en ferait, dans une exagération plus qu'académique, un homme plus étonnant que Fénélon, et même que Bossuet, en lui donnant une réunion de qualités que ces deux grands hommes n'avaient point obtenues de la na

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ture ou de l'éducation. D'autres auraient pu mieux composer, mieux écrire que M. l'archevêque de Paris; mais il n'est guère possible d'égaler le vif sentiment qu'il paraît avoir de toutes les convenances. Il n'y a pas une faute, sous ce rapport, dans son discours; il mérite l'approbation pour les choses qui n'y sont pas et pour celles qu'il renferme. Bien peu d'orateurs de nos jours ont mérité ce double éloge: presque tous font des philippiques.

Par une réserve de bon goût, et qui annonce un tact délicat, l'orateur a laissé à l'interprète de l'Académie le soin de caractériser les deux ouvrages du cardinal de Beausset sur Fénélon et sur Bossuet. Avec cette retenue, M. de Quélen nous a épargné la fatigue des répétitions trop fréquentes dans les réceptions académiques; en même temps il a évité l'écueil d'une comparaison avec un écrivain de profession, et l'inconvénient de prendre un parti entre les deux célèbres athlètes, dont l'un doué de tant de charmes, de séductions, d'éloquence du cœur, et défendu par une abnégation sublime de tout l'orgueil humain, nous paraît l'opprimé, tandis que l'autre présent à nos regards, avec la hauteur de son génie et la véhémence de son caractère, nous semble être l'oppresseur.

Si M. l'archevêque de Paris n'a point traité en maître le beau sujet de l'union de la religion avec les sciences, les lettres et les arts, qu'il avait pris pour texte, il a su du moins en faire jaillir des traits délicats telle est l'allusion au chef-d'œuvre de M. Gros, allusion que l'assemblée a saisie avec transport; l'orateur a dit, en parlant de l'influence toute

puissante de la religion: Il lui suffit d'une simple bergère pour immortaliser un peintre. On a paru desirer quelque chose de moins direct, un détour ingénieux dans l'application du sujet au Génie du christianisme, mais l'assemblée entière a couvert d'applaudissemens un mot de l'orateur sur ce monument d'une gloire que toutes les faveurs de la fortune ne sauraient éclipser, que toutes ses rigueurs ne pourraient affaiblir; voilà le seul trait qui rappelait que M. de Quélen a figuré dans les rangs de l'opposition, et l'orateur a conservé ici les avantages de sa situation avec une mesure qui annonce un excellent esprit, un homme pénétré de ce qu'il se doit à lui-même et aux autres; pour tout dire, en peu de paroles, sur M. de Quélen, son discours me paraît un bonne action.

Plus exercé à l'art d'écrire, plus habile dans l'escrime littéraire, M. Auger a caractérisé d'une manière habile les deux ouvrages de M. de Beausset, et le mérite d'un écrivain qui, naturellement attiré vers Fénélon par d'heureuses conformités d'humeur, de caractère et de talent, s'est senti assez de candeur pour tracer avec fidélité le portrait de Bossuet, l'adversaire, disons plus, l'ennemi de l'archevêque de Cambrai. L'interprète de l'Académie a fait preuve de talent dans le parallèle de ces deux génies: il les a jugés avec discernement; mais il aurait pu trouver des traits plus profonds, des considérations plus élevées dans une étude assidue de leurs ouvrages. Fénélon et Bossuet demandent à être lus tout entiers: ce n'est qu'après être devenu familier avec toutes leurs productions, que l'on peut connaître et apprécier les trésors de génie, les richesses de langage, les leçons de littérature, de morale appliquée à

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