la teur Lejeune de Verviers, chargé par le préfet de rédiger le catalogue des plantes du département de l'Ourthe, pour statistique préfectorale, ayant appris qu'à Malmédy, ville de ce département, était une dame qui cultivait la botanique avec ardeur, voulut faire sa connaissance. Il la pria de recueillir et de dessécher pour lui les plantes de ses montagnes et lui indiqua les livres qu'elle devait se procurer. A l'aide de ces ouvrages, elle acquit bientôt une connaissance parfaite des plantes des environs de Malmédy et put en enrichir la flore de Spa; car, aussi modeste que savante, elle ne cherchait pas à livrer son nom à la publicité. Toutes les plantes indiquées dans la flore de Spa, comme habitant Malmédy, sont dues aux recherches de Melle Libert. En 1810, le célèbre De Candolle entreprit son excursion scientifique dans notre pays et. il voulut faire la connaissance de Me Libert. Le docteur Lejeune l'accompagna à Malmédy et de là ils firent avec elle plusieurs herborisations à Rhenastein et vers d'autres points. Frappé du mérite exceptionnel de Mlle Libert, De Candolle, dans son rapport inséré aux Mémoires de la Société d'agriculture du département de la Seine (Paris, 1811, p. 219), s'exprime dans ces termes : « M. Lejeune a été puissamment » secondé par Me Libert, de Malmédy, qui, dans un sé jour si éloigné de toute instruction, s'est livrée à l'étude » de l'histoire naturelle de son pays avec un zèle et un >> talent d'autant plus dignes d'éloges, que ses succès n'ont >> aucunement altéré la modestie et la naïveté de son » esprit. » Ce témoignage d'un des plus grands botanistes de notre époque montre ce qu'était déjà Mlle Libert en 1810. C'est dans les herborisations dont nous venons de parler que De Candolle, frappé des richesses cryptogamiques des environs de Malmédy et de leur analogie avec celles du Jura, engagea la savante demoiselle à s'adonner à l'étude de la cryptogamie qu'elle avait jusque-là négligée. Ce voyage détermina sa vocation et ses succès. Livrée avec passion à l'étude des végétaux inférieurs, il fallait voir avec quelle ardeur elle herborisait. Elle s'était fait faire de grandes bottes et un costume de paysanne ardennaise, pour ne point attirer l'attention, et, dans ce costume vulgaire, aucun temps ne l'arrêtait pour parcourir les bois, gravir les rochers, herboriser dans les immenses marais des fanges, à deux mille pieds au-dessus du niveau de la mer, infatigable à la recherche des raretés végétales, et ne rentrant jamais sans une ample récolte d'objets à déterminer. Déjà, en 1811, lors de la publication de la première partie de la flore de Spa, le docteur Lejeune annonçait que sa savante compatriote s'occupait avec activité de la cryptogamie de cette flore. En effet, le chapitre contenant les fougères, publié dans le second volume de la flore de Spa, est l'ouvrage de Me Libert. C'est sa première publication. En poursuivant ses recherches, son œil perçant lui fit découvrir des Hépatiques presque microscopiques, d'un port tout particulier, et dont la capsule lui présenta des caractères entièrement différents des Jongermannes avec lesquelles on les avait confondues. Elle n'hésita pas à en constituer un genre qu'elle dédia à son savant ami et maître, sous le nom de Lejeunia. A cette époque, Bory de S'-Vincent, réfugié en Belgique, étant venu à Malmédy, lui demanda ce petit Mémoire qui fut publié, en 1820, dans le sixième volume des Annales générales des sciences physiques, éditées par Bory de S'-Vincent, Drapier et Van Mons. Non-seulement le genre Lejeunia a été admis par tous les botanistes, mais il a servi de base à la tribu des Lejeuniacées, de la famille des Jongermanniacées. Peu après, en 1826, Me Libert publia dans les Annales de la Société linnéenne de Paris, dont elle était associée libre, deux nouvelles notices, l'une sur le genre Inoconia (1) créé par elle dans la famille des Byssinées, caractérisé par ses filaments continus et non cloisonnés; l'autre sur le genre Asteroma. Enfin, en 1829, parut, dans les Annales des sciences naturelles, sa description d'un nouveau genre de champignons nommé par elle Desmazierella. C'est alors que la savante botaniste commença la publication de son grand ouvrage sur la cryptogamie de l'Ardenne, dont quatre volumes ont successivement vu le jour. Nous n'énumérerons pas toutes les observations nouvelles que renferme ce bel ouvrage; disons seulement qu'on ne peut assez admirer la sagacité et l'esprit d'observation de l'auteur, et qu'il est vivement à regretter qu'un aussi précieux travail n'ait pas été poursuivi. Le monde savant fut étonné de voir une dame, éloignée de tous les grands centres d'étude et des grandes bibliothèques, produire une œuvre de cette importance, enrichissant la science de tant de découvertes nouvelles. Un grand nombre de sociétés savantes se firent une gloire de (1) Ce genre étant resté inconnu à tous les modernes, nous croyons utile d'en reproduire les caractères donnés par Melle Libert. INOCONIA. Fila decumbentia subramosa caespitosa continua rigidula, granulis demum per superficiem erumpentibus aspera. Ce genre a beaucoup de rapport avec le Trentepohlia de Martins, dont il diffère par ses filaments continus, sans aucune cloison ni étranglement. Filis cylindricis coeruleis Byssus, no 19, Mich., 1. MICHELII, Lib. Trov. gen. 212, t. 98, fol. 8. Habite près Malmédy fixée sur les mousses. Été et hiver. TOME IV. 29 l'associer à leurs travaux, et le roi Frédéric-Guillaume lui envoya successivement divers bijoux, objets de bien peu d'intérêt pour une telle âme, et la médaille en or pour le mérite. Tel était le respect qu'elle inspirait, qu'au congrès scientifique de Liége, en 1836, elle fut élue à l'unanimité présidente de la section des sciences naturelles où siégeaient les d'Omalius, les Schmerling, les Morren, et vice-présidente du congrès. Pour approfondir l'étude de la botanique, Me Libert entreprit celle de la langue latine, et bientôt, grâce à son étonnante aptitude, elle devint une latiniste de premier ordre. Virgile et Horace faisaient ses délices; Horace surtout ne la quittait pas, et elle aimait à en citer les vers. Elle cultivait aussi avec succès la poésie française, et nous avons vu d'elle de charmantes pièces de vers que sa modestie n'a point. voulu publier. Mais ces études littéraires la firent dévier de la botanique, d'ailleurs presque abandonnée alors dans nos contrées. Possédant cette science, qui n'avait plus rien à lui apprendre, elle se livra successivement à l'histoire et à l'archéologie, s'occupant principalement de consulter les auteurs qui avaient parlé du pays de Stavelot et de Malmédy. Au milieu de la tourmente révolutionnaire de 1848, lorsque le fracas des trônes renversés retentissait dans toute l'Europe, calme dans son cabinet, elle publia, dans les Bulletins de l'Académie royale de Bruxelles, un Mémoire plein de science et d'érudition sur le célèbre Wibald, abbé de Stavelot et de Malmédy, au douzième siècle. En 1852, parut son curieux Mémoire sur le monument d'Igel dont elle donne une explication ingénieuse entièrement neuve et originale. Enfin, elle s'occupait avec ardeur de la rédaction d'un dictionnaire wallon qu'elle a laissé en manuscrit. Tout en s'adonnant à ces travaux littéraires, elle n'oubliait cependant pas la botanique, objet de ses plus chères affections, et peu de temps avant sa mort, elle nous a adressé un Mémoire sur le genre Aschochyta, et nous promettait d'autres travaux. Ce qui caractérise Me Libert, c'est cet esprit d'investigation et ce jugement sain et éclairé qu'on observe dans ses écrits. Son coup d'œil rapide et sûr, mis au service d'une nature à la fois forte et active, et de la passion de l'étude, lui faisait saisir, avec une remarquable facilité, et en quelque sorte deviner, la solution des difficultés de la science. Dans ses rapports, la vivacité de son esprit, son affabilité et la bonté de son caractère, la simplicité de ses goûts et l'élévation de ses sentiments religieux, la rendaient chère à tous ceux qui avaient le bonheur de la connaître. La Belgique est surtout en droit de revendiquer cette femme extraordinaire, car, bien que devenue Prussienne par les traités de 1815, elle était restée Belge de cœur et d'affection. Il fallait la voir lorsque, s'animant dans nos entretiens, elle s'écriait en se frappant la main sur la poitrine : « Je suis Belge, moi; je suis née Belge et je mourrai Belge! » On conçoit, dès lors, pourquoi, dès sa fondation, la première personne à laquelle la Société royale de botanique de Belgique décerna le titre de membre associé, fut la célèbre botaniste de Malmédy. Sensible à cet hommage, Mile Libert se préparait à nous envoyer divers travaux, lorsque la mort vint la ravir à la science, à sa famille et à ses amis, le 14 janvier 1865, à l'âge de 82 ans et 9 mois, après trois jours de maladie. Plusieurs genres de plantes ont été dédiés à M1le Libert. Le premier, en 1822, nous avons créé le genre Libertia, pour les hémérocales du Japon. En 1824, dans la Revue de la flore de Spa, et dans les Mémoires de l'Académic |