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singulières de ses bontés pour moi. J'ai eu besoin d'être aussi sensible que je le suis à celles-ci, pour trouver quelque adoucissement dans vos censures. J'en ai néanmoins trouvé à penser que vous me preniez pour un autre, et que je n'ai point les sentimens que vous censurez. Et une marque de cela, c'est que laissant à part tout ce qui s'est dit jusqu'ici, je consens le plus agréablement du monde, à m'en tenir à ce que vous me faites l'honneur de m'offrir sur la fin; c'est-à-dire, « à soutenir seulement que » la satisfaction de Jésus-Christ apporte quelque » soulagement aux damnés, et même aux démons; » et que Dieu, pour l'amour de Jésus-Christ, punit » les damnés, et même les démons, au-dessous de >> leurs mérites; et qu'ils doivent cet adoucissement » aux mérites infinis de Jésus-Christ, auxquels Dieu » a plus d'égard que ne mérite leur ingratitude En voilà, Monseigneur, plus qu'il ne m'en faut, plus que je n'en voulois. Avec cela j'abandonne le mot de supplément dans tous les sens que vous désapprouvez, et qui aussi bien ne m'étoient jamais venus dans l'esprit; et je n'en veux jamais ouïr parler, très-persuadé surtout de cette maxime de saint Augustin, que « dès qu'on est d'accord sur les choses, il est inutile de disputer sur les mots »: Ubi de re constat, superflua est de verbo contentio (1).

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et

A l'égard des offres obligeantes que votre Grandeur veut bien me faire, je vous supplie très-humblement d'être bien persuadé que je les reçois avec tout le respect et le ressentiment que je dois. J'avois

(1) Cont. Academ. lib. 11, cap. x1, n. 25: tom. 1, col. 272.

mis la Réfutation de Spinosa au nombre des vieux registres qu'on ne veut plus regarder. Si néanmoins, Monseigneur, vous la jugez utile à la religion, vous en êtes le maître, comme de tout ce qui est à ma disposition; et vous pouvez mieux que personne lever l'obstacle qui l'a jusqu'ici retenue, c'est-à-dire, ou délivrer M. Pirot d'un fort léger scrupule, ou faire passer la réfutation par un autre canal que le sien. J'abandonne le tout à la disposition de votre Grandeur, étant moi-même avec un parfait dévouement et un égal respect, etc.

LETTRE CXLVII.

A DOM FRANÇOIS LA MI.

Bossuet tâche d'adoucir la censure qu'il avoit faite, dans son écrit, des sentimens de ce Père.

LES censures que vous dites que je vous ai faites, mon révérend Père, n'étoient pas si sérieuses que vous le pensiez par rapport à vous. Pour la doctrine, il n'y aura plus de difficulté après que vous vous êtes réduit à la proposition que je vous accorde sans difficulté. Mais il faut, s'il vous plaît, que vous avouiez de bonne foi que votre démonstration portoit à faux, et que pour réduire votre théologie à des termes tout-à-fait irrépréhensibles, il faut, ce me semble, avec ce mot de supplément ôter celui de satisfaction; parce qu'il peut y avoir un trèsmauvais sens à dire que Jésus-Christ ait satisfait pour les démons. Je verrai, quand je serai à Paris,

ce qu'on pourra faire de l'ouvrage contre Spinosa, que je crois en effet être utile.

A Versailles, ce 26 janvier 1688,

LETTRE CXLVIII.

DE DOM FRANÇOIS LAMI.

Il s'engage à envoyer à Bossuet de nouveaux éclaircissemens sur la Démonstration; par rapport aux difficultés que le prélat y avoit

trouvées.

Voici de nouveaux éclaircissemens (1) à la Démonstration, par rapport aux nuages que vous y avez trouvés. Comme je ne me suis d'abord embarqué à les faire que pour ma justification, et, si je l'ose dire, pour ma propre satisfaction, et que je n'ai songé que tard à les envoyer à votre Grandeur, vous trouverez rarement que je m'y donne l'honneur de vous adresser la parole; et je crains même que mes manières ne vous y paroissent un peu trop libres. Cela auroit peut-être dû m'obliger à les recommencer pour leur donner un autre tɔur: mais j'ai pensé que vous m'avez ordonné tout fraî'chement d'éviter les tours et les insinuations dans ces sortes d'écrits, et d'en user avec une liberté philosophique. Je vous les envoie donc tels qu'ils m'ont d'abord échappés; persuadé qu'au travers de cette liberté, vous vous souviendrez toujours de la profonde vénération que j'ai pour votre Grandeur.

(1) Ces éclaircissemens sont à la suite de cette lettre, avec l'écrit de Bossuet.

Vous verrez au reste, Monseigneur, dans ces éclaircissemens, que je suis fort éloigné d'être attaché au mot de supplément, et plus éloigné encore de dire que Jésus-Christ ait satisfait en faveur des démons de mes jours cela ne m'est tombé dans l'esprit. Plus je pense à cette petite contestation, plus il me paroît qu'on a besoin de s'entr'éclaircir dans les disputes. Il y arrive presque toujours que tous les deux partis ont raison et tort à divers égards. Ils ont raison, à ne regarder le sujet de la dispute que du côté qu'ils l'envisagent: mais ils ont tort de se condamner mutuellement; parce qu'ils approuveroient à leur tour ce qu'ils condamnent dans leur adversaire, s'ils voyoient ce qu'il voit, et s'ils envisageoient la chose par le côté qu'il la regarde.

Le malentendu vient donc, la plupart du temps, de ce qu'on s'imagine ne voir tous deux que le même côté : car dans cette supposition, il faudroit bien que l'un des deux se trompât; puisque l'un nie ce que l'autre affirme. Ainsi celui qui voit étant fort sûr de ce qu'il voit, et ne pouvant pas même se tromper, à ne juger que de ce qu'il voit, condamne hardiment son adversaire, persuadé que cet adversaire ne regarde la chose que du côté qu'il la voit lui-même. Mais on devroit se faire mutuellement la justice de croire qu'on regarde la chose différemment, puisqu'on en juge diversement; et tout l'usage des disputes ne devroit tendre qu'à s'étudier l'un l'autre, qu'à se tâter, pour ainsi dire, et qu'à observer par quel endroit celui à qui on a affaire, envisage le sujet de la contestation. C'est une

réflexion, Monseigneur, que m'a fait faire le progrès de notre contestation, ce que vous m'accordez et ce que vous me disputez: car enfin ce dernier n'est presque plus réduit qu'à des termes et à des expressions. Mais comme je vous en ai déjà fait un sacrifice, j'espère que rien ne me séparera jamais de votre Grandeur, et surtout du profond respect avec lequel je suis, etc.

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