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Marseillaise et aux cris de Vive la liberté ! vers le Pays latin, pour aller se réunir aux étudiants. A la tête de cette forte colonne se trouvaient des élèves de l'École Polytechnique ('), mêlés à des étudiants en droit et en médecine. Rien n'était plus inoffensif que ces jeunes gens; aussi marchaient-ils avec la plus grande confiance. Mais arrivés à la hauteur de l'Entrepôt, non loin de la rue des Fossés-Saint-Bernard, ils furent accueillis par une fusillade d'autant plus atroce, qu'elle eut lieu sans sommations aucunes. Dix personnes furent atteintes par les balles des municipaux de ce poste: trois d'entre ces victimes de la fureur aveugle des instruments de la police furent portées à la Pitié, dans un état qui laissait peu d'espoir pour leur vie.

On comprend dès lors que des faits pareils aient empêché le rétablissement du calme et de la paix, surtout dans les quartiers qui en furent les témoins; aussi vit-on s'élever sur un grand nombre de barricades, et à côté du drapeau tricolore, le drapeau rouge, annonçant la loi martiale du peuple contre la royauté.

(') Le 22 février, les élèves de l'Ecole Polytechnique furent consignés de la manière la plus sévère; on les priva même de leurs habits, afin qu'ils ne pussent pas s'échapper. Ce fut donc vainement que les élèves des autres Écoles et le peuple se portèrent, plusieurs fois dans cette journée, sur la place de l'Ecole pour les exciter à paraître dans la rue. Mais, le lendemain, quelques-uns d'entre ces jeunes gens trouvèrent moyen de tromper leurs surveillants, et se jetèrent bravement dans les rangs du peuple.

Spectacle offert par la ville de Paris le 23 au soir. Le peuple ne veut pas qu'on l'endorme avec des changements de cabinet. Attitude des journaux patriotes dans cette soirée.-Conditions posées par la Réfor me.-Mécontentement des jeunes démocrates. Pétition proposée par le Comité électoral de Paris. Il rappelle les grands principes à l'égard de l'armée et de la garde nationale. - Evénements de la rue Bourg-l'Abbé. Ses péripéties. — Les républicains sauvent les municipaux de la juste colère du peuple. — Situation des quartiers du centre. — Difficultés de peindre la physionomie de Paris dans cette soirée. — Ses divers aspects. Apparence du calme dans les quartiers de l'ouest. — Promenade d'une colonne de peuple partie de la Bastille. Cris qu'elle fait entendre. Elle s'arrête à la porte du National. Expédition faite par le peuple pour faire illuminer la Chancellerie. -Les enfants et les lampions. La grande colonne arrive devant l'hôtel des Capucines. Scène de carnage, de désolation et de terreur. — Cinquante-deux victimes d'une seule décharge! — Convoi funèbre qui parcourt les rues. — Cris de vengeance qui retentissent partout.—Commotion générale.— Dispositions du pcuple pour la journée du lendemain. Le locsin sonne une partie de la nuit. — Le peuple s'en prend à la royauté même. — Conseils que les journaux donnent à la garde nationale. Ce qui eût suffi hier ne suffira plus demain.

Le spectacle qu'offrait la ville de Paris, dans la soirée du 23 février, ne peut se décrire, tant il avait d'aspects divers. Du côté de la Chaussée-d'Antin, sur les boulevards, au Palais-Royal, dans la rue Saint-Honoré et le faubourg du Roule, à la Madeleine, à la Bourse, on laissait éclater la joie la plus vive. Dans tous ces quartiers, excepté au Carrousel, qui était toujours fermé, on s'évertuait à crier Vive la réforme! à bas Guizot. La population de ces lieux témoignait sa satisfaction par des promenades aux flambeaux, qui avaient lieu aux chants de la Marseillaise. Enfin les fenêtres s'illuminaient comme par enchantement.

Les quartiers Saint-Denis, Saint-Martin et du Temple, au ontraire; les faubourgs Saint-Antoine, Saint-Jacques et Saint

Marceau présentaient un autre aspect: le peuple y élevait de nouvelles barricades, gardait militairement celles défendues dans la journée, cherchait partout des armes, incendiait les corps-de-garde tombés en son pouvoir ou abandonnés par les municipaux, travaillait activement à faire des cartouches, à fondre des balles, et préparait des ambulances où les femmes s'empressaient de porter du linge et de la charpie; et tout cela se faisait aux cris de A bas le système!

Si l'on parlait au peuple du changement de cabinet, il répondait : « On veut nous endormir avec un ministère aussi mauvais que celui qui tombe dans le sang: nous ne sommes pas encore disposés à quitter nos fusils et nos barricades : nous ne dormirons pas plus cette nuit que nous ne l'avons fait hier. »> Et lorsqu'on disait à ces hommes si irrités, que les trois quarts de Paris resplendissaient d'illuminations en signe de réjouissance, on les voyait lever les épaules, en signe de pitié. Ces gens-là sont bien pressés d'allumer leurs lampions, disaientils en parlant des bourgeois; il n'y a encore rien de fini.

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« Mais où voulez-vous donc en venir? » - « A chasser LouisPhilippe il a trop fait souffrir le peuple, et trop longtemps humilié la France! >>-« Et après ? -« Après? nous aurons la sainte République (1)! »

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Ainsi, le peuple, c'est-à-dire les hommes de cœur, d'action et d'intelligence qui versaient leur sang sur les barricades, à côté d'une jeunesse ardente et dévouée, se montraient bien plus résolus, bien plus exigeants que les journaux démocra

(') Les personnes disposées à supposer que ces dialogues ne sont pas exactement t littéralement vrais, n'auraient jamais été à même d'apprécier le bon sens de beaucoup de classes d'hommes du peuple, d'ouvriers. L'instruction de ces classes a fait d'immenses progrès depuis que les éditeurs des bons livres les vendent par fractions, par livraisons. Sur dix mille souscripteurs à un ouvrage historique, grave, instructif, on peut assurer que les ouvriers y concourent pour neuf mille. Aussi quelle différence dans le raisonnement des ouvriers, comparé à celui des marchands, trafiquants et bourgeois !

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e dans le sang! Il faut qu'il entraîne de système dont il était l'expression. ...veut être libre: il l'a prouvé; il a été comme en 1830. Il est toujours digne

...ue le changement d'un Guizot, remplacé Thiers, puisse le satisfaire?

, a se trompe.

..cus le droit de parler en son nom, car nous as abandonné, ni trompé, nous nous faisons Les réclamations.

que la masse des citoyens vous demande au

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berté des citoyens arrêtés depuis hier; accusation des ministres ;

te de réunion consacré de fait par un banquet pour

orme électorale, assise sur des bases populaires;
tion des lois de septembre;

enciement de la garde municipale.
Listie générale. >

ses, on ne pouvait se montrer plus modéré que ne le s journaux démocratiques de la capitale, au moment is croyaient que le parti national avait obtenu gain de Il était facile de remarquer que le rédacteur de la Ré

forme s'était même abstenu de comprendre le dix août 1792 dans l'énumération des époques où le peuple français s'était montré intelligent et grand. Ce manifeste, destiné à ne paraître que le lendemain, ne contenait aucun mot qui indiquât une révolution, ou qui menaçât le gouvernement de Louis-Philippe. Aussi nous a-t-il été assuré que les jeunes gens qui remplissaient la cour et les bureaux de la Réforme se montrérent très-mécontents des conditions, la plupart puériles, que les démocrates de ce journal faisaient à la royauté constitutionnelle, au nom du peuple.

Un autre document, émané de vingt-quatre membres du Comité électoral démocratique de Paris et présenté à la signature de tous les citoyens, parut encore ce soir-là. Il avait pour objet de rappeler au gouvernement que la ville des arts, de la science, de l'industrie, de la civilisation, ne saurait être le champ de bataille rêvé par le courage des soldats français. On trouvait dans cette déclaration, signée par des hommes marquants du parti national, d'excellents principes puisés dans les Constitutions démocratiques de notre première révolution.

« Considérant que l'application de l'armée à la compression << des troubles civils est attentatoire à la dignité d'un peuple ‹ libre et à la moralité de l'armée elle-même », disait-on dans cette pétition;

« Qu'il y a là renversement de l'ordre véritable et négation << permanente de la liberté;

Que le recours à la force seule est un crime contre le << droit;

« Qu'il est injuste et barbare de forcer des hommes de « cœur à choisir entre les devoirs du militaire et ceux du citoyen;

«Que la garde nationale a été instituée précisément pour garantir le repos de la cité, et sauvegarder les libertés pu<< bliques ;

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TOME I.

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