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GASTON.

Montfort, d'un vieux guerrier pardonnez la franchise, L'intérêt de l'État peut-être l'autorise...

Pour marcher sans escorte, on doit se faire aimer.

MONTFORT.

Eh bien, suis-je un tyran? m'oserait-on blâmer?
Où tendent ces discours?

GASTON.

Votre longue indulgence

A de nos chevaliers enhardi la licence.

Sous l'abri d'un grand nom sûr de l'impunité,

A d'horribles excès leur orgueil s'est porté.

C'est trop fermer l'oreille aux plaintes des victimes. On blâme la faveur dont vous couvrez leurs crimes.

MONTFORT.

Des crimes! sous quel jour montrez-vous des erreurs? Ne pardonnez-vous rien à de jeunes vainqueurs? Tant de gloire à mes yeux rend l'orgueil excusable, Je vois trop de héros pour chercher un coupable!

GASTON.

Des exemples pieux, des leçons de Louis,
Les souvenirs pour vous sont-ils évanouis?
Ou parmi ses vertus votre ame ardente et fière
Ne sut-elle admirer que la valeur guerrière?
Ah! si vous l'avez vu de ses royales mains.

Forcer devant Tunis les rangs des Africains,
Combien plus redoutable à sa jeune noblesse
De ses sujets contre elle il soutint la faiblesse!
Les plaintes des hameaux s'élevaient jusqu'à lui.
Pour écouter les pleurs du pauvre sans appui,
D'un chêne encor fameux l'ombrage tutélaire
Semblait à sa justice un digne sanctuaire,
Et l'amour de son peuple, heureux de l'entourer,
Le plus sublime encens qu'un roi pût respirer.
Tels étaient ses plaisirs ; cependant la naissance
D'un droit presque divin consacrait sa puissance;
Et nous, que la fortune a seule couronnés,
Sur un trône conquis, d'écueils environnés,
Nous croyons la justice une vertu vulgaire;

Il nous semble plus grand, surtout plus téméraire,
Quand un empire entier cherche en nous son recours,
De braver ses douleurs que d'en tarir le cours.

Gaston!

MONTFORT.

GASTON.

Tous ces rivaux dont l'imprudente ivresse, En partageant vos goûts, les flatte et les caresse, Aux frivoles amours sans frein abandonnés, Essayant sur le luth des chants efféminés...

MONTFORT.

Un tel délassement nuit-il à leur courage?
Je plains l'austérité d'une vertu sauvage,
Sans pitié pour les arts, ornemens de la paix,
Et dont l'éclat tranquille ennoblit ses bienfaits.
Ne peut-on aux exploits qui donnent la victoire
Unir le soin plus doux d'en célébrer la gloire ?
Cet espoir les excite et plaît à leur fierté,
Il enflamme la mienne; oui, la postérité
Dira que les enfans des bords de la Durance
Ont offert les premiers cette heureuse alliance,
Et saura respecter aux mains de ces guerriers
Un luth que leur vaillance a couvert de lauriers.

GASTON.

Pendant ces jeux trompeurs qu'un vain délire anime,
La Sicile murmure et sent trop qu'on l'opprime.
Des pontifes divins le pouvoir respecté

Plie en se débattant sous notre autorité,
Prompte à nous censurer, leur adroite éloquence
Ressaisit par degrés sa première influence.
D'un fanatisme ardent le peuple est possédé.
Par les grands soutenu, par leurs conseils guidé,
Il s'essaie à braver un sceptre qui lui pèse.
Il s'agite sans but, il s'irrite, il s'apaise :
Cet esprit inquiet, ces vagues mouvemens

Sont les avant-coureurs de grands évènemens :
Du nom de Procida souvent il nous menace;
De ce fier citoyen je redoute l'audace.

Ne peut-il nous tromper par un retour prochain?
On dit qu'il a juré de venger Conradin ;

On dit...

MONTFORT.

Dans tous les temps la rumeur populaire Excita mes mépris bien plus que ma colère. Irai-je, recueillant ces discours mensongers, Quand tout semble tranquille inventer des dangers, Suivre de mers en mers un sujet qui s'exile Pour exhaler sans crainte une haine inutile? Lui, qu'il ébranle un joug par le temps saffermi! Vain projet ! Lorédan n'est-il pas mon ami? J'aime à me reposer sur sa reconnaissance. Je le plains, si jamais, trompant ma confiance, Il tente... A ce penser puis-je encor m'arrêter? Un faux bruit répandu doit peu m'inquiéter; Et si nous concevons de plus justes alarmes, Nous sommes tous Français, et nous avons des armes !

GASTON.

Eh! que sert la valeur contre la trahison?

Comment se garantir des poignards, du poison,
Des complots meurtriers tramés dans le silence?

Plus docile aux avis de mon expérience.....

MONTFORT, apercevant la princesse.

Il suffit, cher Gaston; de ces grands intérêts,
Par un devoir pressant mes esprits sont distraits.
Sommes-nous descendus à ce point de détresse,

Qu'il faille

pour

l'État craindre et veiller sans cesse ?

Plus tard, libres de soins, demain, dans quelques jours, Nous pourrons à loisir poursuivre ce discours.

SCÈNE III.

MONTFORT, AMÉLIE, ELFRIDE.

AMÉLIE.

Retournons sur nos pas... A peine je respire,
Elfride... Il n'est plus temps! ciel! que vais-je lui dire?

MONTFORT.

Combien je dois bénir le bonheur qui me suit!
Ah! madame! vers moi quel dessein vous conduit?
Mais pourquoi me flatter d'une fausse espérance?
Sans doute au hasard seul je dois votre présence,
Et c'est trop présumer de croire que vos yeux,
Qui m'évitent partout, me cherchent dans ces lieux.

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