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« Il arrive souvent, Madame, écrit-elle à madame de Maintenon, que lorsqu'on croit tout perdu, il survient des choses heureuses qui changent absolument la face des affaires.» « Je pense, dit-elle encore, que la fortune peut nous redevenir favorable; qu'il est de ses faveurs comme du trop de santé, c'est-à-dire qu'en n'est jamais si près d'être malade que lorsqu'on se porte trop bien, ni si proche d'être malheureux que quand on est comblé de bonheur. Je retourne la médaille, et j'attends des consolations qui adoucissent fort mes peines. Je voudrais, Madame, que vous en pussiez faire autant, et que votre tempérament fût votre meilleur ami, comme le mien est celui sur lequel je dois le plus compter; car je crois, à vous parler franchement, que je lui ai plus d'obligation qu'à la raison, et que je n'ai pas un grand mérite à avoir cette tranquillité, dont vous voulez, par une bonté extrême, m'en faire un qui m'attire vos louanges. »

Madame de Maintenon, en effet, qui, avec son bon esprit, se tourmentait et se lamentait toujours, lui faisait un perpétuel éloge de cette tranquillité naturelle qu'elle enviait, de ce courage mêlé d'aimable humeur, de cette douceur et de ce beau sang qui ne laissait rien d'apre et de chagrin en elle. « L'action vous sied bien, »> pouvait-elle à bon droit lui dire. C'est, en effet, un trait original et des plus distinctifs du caractère de madame des Ursins que d'avoir su être une personne aussi tranquille au fond, sous une forme aussi active et dans une destinée si agitée; et c'est à cela qu'elle dut, après une chute si rude à soixante-douze ans, de s'en être allée mourir en paix et de vieillesse à quatre-vingts. Mais il est encore bien d'autres traits à relever dans sa nature, et qui la mettent en parfait contraste avec son amie madame de Maintenon. On me permettra d'y insister.

Lundi, 23 février 1852.

LA PRINCESSE DES URSINS

LETTRES DE MADAME DE MAINTENON ET DE LA PRINCESSE DES URSINS (1).

(SUITE ET FIN.
IN.)

Lorsqu'on lit les lettres de madame des Ursins, en les entremêlant de celles de madame Maintenon qui y correspondent, le caractère de ces deux femmes s'y dessine avec un contraste qu'elles sont elles-mêmes les premières à sentir et à nous indiquer. Madame de Maintenon affecte de paraître moins qu'elle n'est, et aime à laisser deviner plus qu'elle ne montre; elle s'esquive, se dérobe en partie, se fait petite et modeste, allant jusqu'à dire qu'elle ignore comment il faut traiter avec les grands. Madame des Ursins se met en avant volontiers et s'engage de toute sa personne. On sent à tout moment qu'elle excède son cadre de surintendante de l'intérieur royal, et elle ne craint pas de paraître en sortir, de laisser voir quelque chose de l'autorité politique dont elle tient les ressorts. Elle veut être et paraître à la fois. Leur idéal d'avenir à toutes deux est différent et marque bien leur opposition de nature,

(1) 4 vol. in-8°, 1826.

bien que l'ambition peut-être ne soit pas moindre chez l'une que chez l'autre :

La plus humble des deux n'est pas celle qu'on pense.

Madame de Maintenon, rassasiée et fatiguée, n'aspire qu'à s'aller enfermer à Saint-Cyr, comme dans un asile impénétrable, ne se communiquant plus qu'à de jeunes filles timides et soumises; restant une grande partie du jour enveloppée de voiles et ensevelie sous ses rideaux. Le plus grand acte de reine qu'elle tient à faire, c'est de paraître avoir abdiqué. Madame des Ursins, toujours en train et en goût de représentation actuelle et de puissance, rêvera, pour sa retraite dernière, une position de souveraine dans un petit État indépendant où elle puisse, à ses heures de loisir, gouverner une bonne fois en son propre nom et se déployer en plein soleil : car ce fut là son pot-au-lait final et son vrai château en Espagne. De ces deux ambitions, l'une fait la modeste et est en réalité plus sage; l'autre paraît plus sincère : après tout, ce ne sont que deux manières différentes de jouer à la reine quand on ne l'est pas.

Le caractère et la vocation politique de madame des Ursins se montre bien en ce qu'elle est curieuse et avide de connaître les personnages distingués du monde, les gens capables, et de les apprécier en eux-mêmes pour en tirer ensuite quelque usage par rapport aux choses de l'État. Madame de Maintenon au contraire, une fois son cercle fait, n'en sort pas; elle s'y enferme et s'y resserre le plus qu'elle peut, et ne craint rien tant que de faire de nouvelles connaissances: chez elle, c'est à la fois tactique, méthode industrieuse pour échapper aux ennuyeux, aux importuns, et pour ne voir que ceux qu'elle préfère; et c'est preuve aussi d'une nature exclusive, qui ne prend plus aux choses et qui a sa fatigue

intérieure. Madame de Maintenon, dans sa manière de vivre, pratique dès ici-bas le dogme du petit nombre des élus. Madame des Ursins le lui reproche; elle a des peines infinies à obtenir d'elle de donner accès une fois ou deux aux personnages éminents qui passent à la Cour de France et qu'elle lui recommande. Le duc et la duchesse d'Albe, l'Electeur de Bavière, le prince de Vaudemont, il faut pour que madame de Maintenon consente à les voir, à les recevoir (et encore elle n'y consent pas toujours), il faut des efforts, des prières, presque des menaces de la part de madame des Ursins. Ainsi, à propos du prince de Vaudemont, ancien gouverneur de Milan et homme de mérite, qui a fort réussi à Versailles :

« Serait-ce un grand malheur, écrit madame des Ursins, quand vous voudriez par vous-même le connaître à fond, en l'entretenant sur toutes sortes de matières différentes, et lui demandant comment il pense sur les sujets? Il n'y a rien que j'aime tant que de faire raisonner les personnes qui font une figure distinguée dans le monde, et qui ont eu occasion, par de longues expériences, de remarquer les fautes de la plupart des hommes, aussi bien que leurs bonnes qualités : on peut tirer une grande utilité de ces connaissances. Je ne sais que trop votre inclination à la retraite, et plût à Dieu que vous voulussiez vous séquestrer un peu moins du commerce des hommes ! »>

Puis, quand madame de Maintenon écrit qu'elle n'a vu le prince de Vaudemont qu'une fois et qu'elle en a été charmée comme les autres, madame des Ursins réplique en insistant :

« Pourquoi ne le voyez-vous pas souvent? Est-ce que vous voulez vous priver d'avoir commerce avec une personne d'esprit et de mérite, et qui peut vous entretenir sur toutes sortes de matières? C'est pousser le scrupule ou l'indifférence des choses de la terre un peu trop loin. »>

Ce qui arrive là au sujet du prince de Vaudemont se renouvelle sans cesse. Madame de Maintenon est inac

cessible; elle garde dans sa grandeur des habitudes de vie étroite et particulière: c'est comme un reste de prude dans une personne de si parfait agrément. Madame des Ursins, entière et franche dans son rôle, accueille tout ce qui se présente sur ce théâtre du grand monde et de la Cour, et y fait son discernement pour pénétrer jusqu'à madame de Maintenon, il faut être déjà du sanctuaire.

Rien dans madame des Ursins ne sent la coterie ni la secte, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'ait pas ses préventions et ses inimitiés; mais, en général, elle se détermine comme les politiques par des raisons d'utilité et en vue des affaires. Sur ce que madame de Maintenon lui avait mandé que les Jésuites et les Jansénistes s'étaient tour à tour entremis pour contrarier le choix qu'on voulait faire de deux ambassadeurs à Rome :

«De quoi se mêlent, s'écrie-t-elle, ceux qu'on appelle Jansénistes, et le parti contraire, d'empêcher qu'on envoie à Rome des personnes qui soient ou ne soient pas dans leurs opinions? Parle-t-on encore de tout cela où vous êtes, Madame? Ils devraient, ce me semble, laisser leurs disputes jusqu'à ce que la paix générale fût faite, et ensuite recommencer leurs guerres civiles, s'arracher leurs bonnets de la tête, s'ils en avaient envie; mais présentement nous avons des choses plus sérieuses; et, pour moi, j'ai si fort regardé ces deux partis avec indifférence, que je n'ai pas voulu presque en entendre parler, et je cherche toujours mes confesseurs exempts de haine ou d'amitié pour eux. J'en ai trouvé un ici qui est un saint religieux... »

Je crois que madame des Ursins s'inquiétait un peu moins de ses confesseurs que madame de Maintenon ne faisait des siens. Mais, dans ces querelles où celle-ci était si attentive et si initiée, comme on sent chez l'autre une personne qui prend naturellement le dessus, et qui mène le tout, haut la main! C'est ainsi encore qu'elle dira, à propos des cabales de Cour et de direction de conscience qui trouvaient moyen de s'immiscer

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