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roi qui monte, en ce moment sur ce trône d'un jour, s'amuse à décorer un écrivain pour des injures récentes que cet écrivain aura dites au roi qui s'en va. Ceci était dans la justice et dans l'esprit net et droit de M. Duviquet; il haïssait l'excès en toute chose, et le jour où se montrèrent sur la scène, enfin réalisées à force de volonté et de talent, les doctrines de l'école nouvelle, il comprit que l'heure de la retraite avait sonné pour lui.

Tircis, il se fait temps de prendre ta retraite.

Bien avant que le roi Louis-Philippe, au grand chagrin de ceux qui l'aimaient et qui l'honoraient le plus, eût prononcé son fameux juste milieu, M. Duviquet l'avait trouvé le juste milieu. Voici encore deux pièces oubliées de Fontan; je les retrouve au beau milieu de deux feuilletons oubliés; oubli, néant, poussiere et vanité des vanités de l'esprit ! La première de ces pièces était empruntée au célebre roman de Lewis, le Moine, et voici con ment nous nous sommes tirés de notre tâche ingrate, Fontan et moi.

LE MOINE.

« Quand le Moine parut en Angleterre, ce livre fit une profonde sensation. C'était un livre sorti de la foule, véritable débauche d'un jeune esprit que le succès va trouver, sans qu'il y songe. Ces voluptueuses peintures d'une passion plus qu'humaine, cet audacieux tableau d'un artifice plus que féminin, produisirent un tel scandale au beau milieu de la puritaine Angleterre, qu'il fut question de traduire l'auteur en justice, comme corrupteur de la morale publique. Lord Byron faisait grand cas du roman de Lewis.

Je sais bien que c'est encore là une des imitations perpétuelles du chef-d'œuvre de Goëthe. Quoi que vous fassiez maintenant avec les puissances infernales, vous arriverez toujours au Faust de Goethe, entrainé par une tentation supérieure, et puni par une passion invincible, de cet orgueil même qui a perdu Satan. Ici, cependant, le plagiat avoué, restent à Lewis ces rares ressources d'intérêt et de pitié; reste Mathilde, cette élégante et souple création, aimante, chaste, et si corrompue et pleine

d'audace; une façon de Sganarelle en jupon que le diable s'est donnée; reste Antonia la simple fille, Espagnole aux yeux noirs, aux craintives superstitions, aussi vraie que Marguerite, la naïve Allemande; restent surtout ces visions fantastiques, ces cachots sombres où l'on se perd, ces tombes muettes, ces Franciscains qui chantent, ces filles de Sainte-Claire qui glissent comme des ombres sous les arceaux de l'église; et reste le diable: il se montre à nous tout d'abord sous la figure d'un beau jeune homme couronné de fleurs, bientôt il ne prend plus la peine de se déguiser, et le voilà sous l'apparence d'un vieux bouc; surtout, et c'est là tout le livre de Lewis, ce qui fait du Moine un livre original, c'est la bonne foi de ses terreurs. Le plus beau récit de voleurs dans une forêt, c'est Lewis qui l'a trouvé. L'histoire de la nonne sanglante est devenue populaire comme une ballade. Lewis est l'un des premiers qui se soient servis du Juif errant; puis, comme il était poëte, comme il avait un grand besoin de faire des vers, il a glissé des vers charmants dans son livre; il les a introduits dans son récit, à la dérobée, et comme un vol fait à son libraire; si bien que dans le Moine, on trouvait tout, imitation, originalité, poésie, contes de bonnes femmes, descriptions presque orientales dans un temps où l'Orient devenait à la mode; les hommes de goût, à la lecture du Moine, reconnurent un grand écrivain; le vulgaire des lecteurs dévora ce roman et rendit grâces à l'écrivain qui lui rendait la sombre couleur, les mystérieuses fictions et les pages terribles de son amie Anne Radcliff.

C'est avec le roman de Lewis que M. Fontan a fait son drame. Comme il voyait toute l'histoire moderne, perdue et indignement gâtée (1831) par les faiseurs, depuis Napoléon jusqu'à ce vertueux Robespierre et cet honnête Danton, M. Fontan se dit en lui-même que le monde historique était fermé au drame pour cent ans au moins; que les passions bourgeoises avaient besoin d'être de nouveau limitées et définies; il chercha un autre monde, et naturellement il trouva l'Enfer et Satan, comme fit Milton après les guerres civiles de sa patrie. Ainsi, nous avons l'Enfer, l'Enfer tout entier, un peuple de démons en habits de marquis et de duchesses; seulement, il fallait donner la foi au spectateur; or, imposer aujourd'hui à la foule, une croyance, c'est aussi difficile, pour le moins, que de la faire rire ou pleurer.

M. Fontan a pris le bon parti pour faire croire à son diable; il y a cru tout le premier. Il a fait, à ce propos de ce sujet terrible et compliqué dans les deux drames de Goëthe et de Lewis, un drame tout simple et tout bourgeois. Dans son drame, l'existence du Diable est une chose aussi simple que l'existence du voisin Chrysale ou du bon M. Orgon; dans son drame, pas d'évocation, pas de magie, et pas de cercle de feu, rien qui sorte des habitudes de la vie commune. Quand on a besoin du Diable, on l'appelle, et pendant que vous vous apprêtez à le voir sortir d'une trappe, entouré de flammes rouges ou bleues, le Diable entre tout simplement par la porte, et il dit: Me voilà. Alors Ambrosio, qui va perdre sa maîtresse, veut conclure lui-même son marché; le Diable, marchand subtil, jusqu'à être faussaire, change le contrat, il écrit dix jours au lieu d'écrire dix années. Quelques-uns ont désapprouvé la supercherie de Satan comme n'étant pas digne d'un honnête Diable; je suis loin de penser comme eux; tout comme M. Fontan, je crois à son Diable, et comme il n'arrive là que pour tromper ce digne moine, je lui permets de le tromper sur les termes du contrat; cela est de bonne guerre, Lewis lui-même n'a pas fait autrement.

Le traité conclu au second acte marche et reçoit son exécution. Le moine, emporté par sa passion, jette le froc, déchire sa robe, relève ses cheveux sur son front et se pare des broderies d'un gentilhomme; bientôt il habite un noble palais sur les bords du Guadalquivir. Je vous ai bien dit que l'action était simple; malheureusement, elle est souvent trop simple. Ambrosio conclut un marché; le Diable l'exécute de bonne grâce; Ambrosio fait de même. Quand il a son palais et son chapeau ducal, il veut aussi avoir Antonia, et pour cela il va la chercher; il y va tout seul, en gondole, sans aucune espèce de diable pour le protéger. Dans Faust, Méphistophélès est toujours là. Méphistopheles est la création d'un homme qui ne croit pas entièrement au Diable, et qui a besoin, pour y croire, de l'avoir toujours sous les yeux.

Une fois échappé de son couvent, Ambrosio court chez Antonia. Ici l'auteur a cru devoir refaire le cinquième acte d'Otello. Antonia en robe blanche est dans sa chambre, elle chante une fort jolie romance de M. Adam, puis elle se met au lit et s'endort. Alors entre le moine; il va pour enlever celle qu'il aime,

quand tout à coup le frère d'Antonia vient au secours de sa sœur. Ici encore M. Fontan fait tuer le frère d'Antonia, comme dans Goëthe le frère de Marguerite est tué par Faust. Ceci est un accident superflu dans le Moine. Ambrosio est tout seul, il n'a personne pour relever l'épée de son adversaire; il tue froidement cet honnête frère et il emporte Antonia dans ses bras. Cet acte là ne me convient pas, il n'est pas vrai, et qui plus est, il est maladroit. J'aurais beaucoup mieux aimé le cinquième acte, dont l'idée est originale et propre à l'auteur. Au cinquième acte, Ambrosio habite un palais enchanté; c'est jour de fête : on danse, on chante, on boit, on se livre à tous les plaisirs du festin. Le plus singulier de la chose, c'est que tous ces hommes, toutes ces femmes, ducs et duchesses, sont autant de diables déguisés; il s'exhale de cet acte une odeur de soufre et de brûlé. Pour Ambrosio, comme il est tout entier à l'idée qu'il a dix années devant lui, il se livre en fou aux voluptés présentes; la scène est bien faite; la seconde partie n'y répond pas.

Le dixième jour vient de finir; l'heure fatale sonne; le Diable paraît. C'est en ce moment que l'auteur s'est trompé à force de traiter Satan comme une personne naturelle. En effet Satan arrive; au lieu d'emporter Ambrosio dans le gouffre, comme cela a été convenu depuis les premiers mystères, jusqu'à Don Juan, l'auteur, toujours persuadé que Satan, dans sa pièce, n'est qu'un gentilhomme comme un au re, a imaginé de lui mettre à la main l'épée d'un gentilhomme. En effet, le Diable provoque Ambrosio en duel. Ambrosio se plaint de l'inexécution du contrat; le Diable lui répond Il fallait mieux lire; en garde, Ambrosio ! Ici le duel commence, duel inégal dans lequel le pauvre moine est battu à chaque passe. Bien plus, Frédéric Lemaitre, qui a joué le rôle avec toute la puissance des moyens tragiques, a reçu un grand coup de fleuret au-dessous de l'œil, ce qui a rendu le dénouement doublement mauvais; aussi le dénouement a-t-il été vertement sifflé. Nul doute que l'auteur ne trouve quelque chose de plus diabolique, et alors peu importe le sifflet du premier jour.

Ceci est encore une décadence, non pas de l'artiste, mais de l'art. Il y a longtemps que je connais M. Fontan. C'est un écrivain énergique et passionné, qui se livre à son inspiration, qui travaille peu et qui se sauve souvent à force de naïveté. Un pareil homme

ne recule devant aucune hardiesse de pensée ou de parole; son premier début fut une tragédie en vers dans laquelle toutes les passions populaires jouaient leur rôle; on se souvient de PerkinsWarbeck, essai encore informe, étincelant de grandes beautés. Depu's Perkins, l'auteur exilé, chassé indignement de la Belgique dans un temps d'hiver, traversant à pied tout le pays jusqu'au Rhin, trouve encore le moyen, pauvre et en guenilles, de composer dans de méchantes auberges, deux comédies pleines de grâce et de fraîcheur : André le chansonnier et surtout Gillette, deux ouvrages écrits en souriant, consolations de son cruel exil, exil si cruel qu'il vint se réfugier dans les prisons de France.

Quand il fut transféré à ce bagne de second ordre, Poissy, j'allai voir Fontan; il y a un an de cela; c'était au mois de mai, je trouvai Fontan au milieu des voleurs, sous la livrée et l'habit des voleurs; il était riant: après les premiers embrassements il se mit à me lire un chant nuptial qu'il venait de faire pour les noces de sa sœur; puis il me montra le plan d'une tragédie, Jeanne la folle, un grand ouvrage en vers, un de ces ouvrages qui pour être accomplis, veulent du repos et du bonheur; cette tragédie fut achevée à Poissy, et elle réussit au théâtre de l'Odéon, qui avait accueilli le proscrit.

Aujourd'hui M Fontan est libre, délivré par une révolution, la plus glorieuse délivrance pour un condamné politique. M. Fontan a la croix d'honneur, il est heureux, et cependant le voilà tout à coup qui change les habitudes de sa pensée; plus de gais vaudevilles, plus de drames touchants, plus de grandes tragédies, largement dessinées et largement écrites: Fontan prisonnier avait plus de gaieté et de courage que M. Fontan, vainqueur de S. M. le roi Charles X. Aujourd'hui le voilà qui met en scène le maréchal Brune et les sanglantes réactions du Midi, le voilà qui fait un drame avec la mort du maréchal Ney et qui brûle ce drame, parce qu'il a compris que la paix publique pouvait en être troublée. Enfin, pour comble de malheur, il a recours aux puissances infernales, il les évoque, il en fait des êtres réels, il s'en occupe avec une sollicitude toute paternelle, si bien qu'on prendrait les ouvrages de l'homme libre pour les ouvrages de sa captivité et de son exil, et les ouvrages faits dans son bagne, entre deux voleurs, pour les compositions de ses jours de bonheur. Explique, qui

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