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SPECTACLES DE PARIS.

THEATRE DU VAUDEVILLE.

L'Intrigue Inpromptu, ou Il n'y a plus d'Enfants.

Il n'y a plus d'enfants, cela est vrai; mais c'est bien dommage; c'est un grand malheur. Oui, il n'y a plus d'enfants! Les enfants se moquent de leurs peres, de leurs oncles, de leurs maîtres: grands raisonneurs avant d'avoir l'usage de la raison, grands docteurs avant d'avoir rien appris, grands libertins avant l'âge de la corruption, ils ont tous les vices de la société dont ils ne sont point encore membres. L'enfance a perdu son caractere et ses qualités aimables; la licence, l'orgueil et l'audace ont remplacé la douceur, la timidité, l'innocence: on est venu à bout de retrancher l'enfance de la vie; c'est avoir retranché le printemps de l'année. Il n'y a plus que deux saisons pour l'homme; il entre dans la vie par l'été, et son automne est un hiver. Nous avons tout bouleversé; nous voulons le fruit avant la fleur. Nos mœurs mettent les enfants en serre chaude: tout est précoce, prématuré, hâtif; tout avorte, tout périt; rien ne vient à terme : de petits prodiges à douze ans, ne sont plus que des sots à trente. Il n'y a plus d'enfants, voilà pourquoi il n'y a plus d'hommes sous le rapport des arts et des lettres; il n'y a plus d'enfants, voilà pourquoi il ne se forme plus ni auteurs, ni chanteurs: énervés avant le temps de produire, dans la saison du talent ils n'ont plus ni force, ni sentiment, ni chaleur; déjà vieux et glacés par le défaut d'âme, ils sont encore enfants du côté de l'esprit et du jugement.'

VOL. XXVII.

3 K

Par quel étrange renversement de toutes les idées saines, des chansonniers du Vaudeville ont-ils imaginé de nous faire admirer un mal qu'il faudrait plutôt déplorer? Ils nous présentent comme un objet intéressant, un petit étourdi, un écolier de quinze ans qui fait le Caton, et s'érige en mentor de celui auquel il doit l'obéissance. Ce bambin, sous prétexte de reconnaissance envers son précepteur, oublie le respect qu'il doit à son oncle; on fait de cet oncle un fou, un imbécile, et de l'enfant un sage: tout cela est contre nature; c'est le monde à rebours. Je ne fais pas l'injure aux auteurs de croire qu'ils n'ont pas aperçu le vice de leur sujet; mais ils ont voulu flatter l'idolâtrie pour les enfants aujourd'hui si fort à la mode, et cette flatterie n'est pas une mauvaise spéculation pour le succès. Si tous les parents qui se laissent borner par leurs enfants vont voir ce Vaudeville, il attirera beaucoup de monde: la faiblesse et la sottise des peres et des oncles, formeront un grand parti pour la piece; mais ce n'en est pas moins, sous le rapport de l'art, du goût et de l'ordre social, une conception fausse et bien peu sensée, une espiéglerie qui ne peut faire rire que des enfants et des écoliers.

J'ai vu jouer au Théâtre Français une trèsmauvaise comédie de Fabre d'Eglantine, intitulée les Précepteurs: elle est d'une extravagance si forte, qu'on n'ose plus la produire au public. C'est dans cette piece, justement oubliée, que nos auteurs semblent avoir puisé l'idée principale qui est la base de leur Vaudeville. On voit dans les Précepteurs un petit polisson très-mal élevé qui aime beaucoup son précepteur, parce que son précepteur est un nigaud qui se prête à toutes ses fantaisies. La mere jugeant à propos de congédier ce ridicule précepteur, qui croit que toute l'éducation consiste à courir dans la neige, l'enfant prend contre sa mere le parti de son précepteur; il s'enfuit de la maison paternelle

comme un petit vagabond, se réfugie auprès de son mentor, déterminé à ne point le quitter qu'il n'ait forcé sa mere à le reprendre.

Le Vaudeville nouveau nous offre un jeune fou, qui voyant son gouverneur prêt à sortir de la maison, imagine pour l'y retenir un moyen des plus burlesques; il ne s'agit pas moins que la conversion de son oncle, que ce jeune missionnaire entreprend avcc un zele extraordinaire. L'oncle, nommé d'Hermilly, est un homme riche, un militaire distingué; son âge est déjà mûr, mais sans aucun signe de caducité. Il lui prend envie de se marier, et il jette les yeux sur Isaure, fille de M. Dorville, gouverneur de son neveu Jules. Dorville, homme sans fortune, devrait être flatté de ce choix ; mais sa fille est amoureuse d'un certain Melval : c'en est assez pour qu'il refuse un parti aussi considérable. Ce Dorville est dans les grands principes de la liberté du cœur des filles; il sacrifie même à cette chimere romanesque, son état, ses espérances, l'utile protection d'un général tel que d'Hermilly, et il s'apprête à quitter fierement la maison, pour n'être pas tenté de faire la fortune de sa fille et la sienne. On sent bien qu'on ne voit cela que dans les romans et au théâtre, et qu'il n'en va pas ainsi dans le monde. Mais nous ne sommes pas au bout des visions romanesques.

Le neveu Jules, qui n'est encore qu'un enfant, car on l'est et on doit l'être à cet âge, est fort méoontent du départ de Dorville, très-scandalisé de l'amour de son oncle, qui le prive d'un gouverneur qu'il aime. En bon logicien, pour détruire l'effet il *veut détruire la cause; mais ce qui n'est pas aussi bien raisonné, c'est que pour guérir l'amour de son oncle il essaie de lui persuader qu'il est son rival, et son rival préféré: comme si la rivalité d'un tel morveux pouvait alarmer un homme raisonnable! Le neveu fait toutes les singeries d'un amoureux: il se fait surprendre par son oncle aux genoux de la belle; il lui montre une lettre passionnée qu'il suppose lui être adressée par Isaure. Avant de commencerson service d'amant, il croit devoir se faire enseigner l'exercice d'amour par un vieil intendant et une vieille gouvernante, qui se font devant lui une déclaration d'amour: comme si un espiegle capable de former une telle entreprise n'en savait pas assez pour faire une déclaration; comme s'il avait même besoin d'en faire, puisque cet amour n'est qu'un jeu! Quels maîtres en amour que des vieillards! La scene n'est qu'une farce bien exécutée par Joly et Madame Bodin, et l'on en rit parce qu'elle est vraiment ri

sible.

Le général n'est pas dupe du stratagême de son neveu: il voit bien que l'enfant n'est là que pour cacher un homme fait, et dérober à sa connaissance une véritable intrigue. Loin de se fächer de la hardiesse et de l'impertinence de ce petit garçon, qui veut lui donner des leçons de sagesse, il admire son bon cœur, sa reconnaissance pour son gouverneur: c'est un oncle de comédie; c'est tout dire, il faut cependant convenir qu'il abuse de la permission accordée aux oncles de comédie d'être bêtes; car il récompensé l'insolence de son neveu par le don d'une Lieutenance; le refus de Dorville, par le don d'une ferme; et l'aversion d'Isaure pour lui, par une dot de cent mille francs. Voilà du merveilleux, difficile même à trouver dans les romans; car les amoureux de roman sont rarement aussi généreux envers les parents qui les rebutent, les maîtresses qui les dédaignent, et les moralistes officieux qui traversent leur passion.

Il y a si long-temps que les oncles sont en possession de gourmander leurs neveux sur leurs folles amours! il fallait bien enfin qu'il nous vînt un neveu qui gourmandât les folles amours de son oncle. Voilà de l'invention, voilà ce qui s'appelle du neuf! Mettre au théâtre l'opposé de la nature, c'est le secret d'être original; nos auteurs n'en ont point d'autre. Leurs belles imaginations me rappellent le mot de Sganarelle à Géronte, qui lui reproche de mettre le foie du côté ganche, et le cœur du côté `droit. C'était bon, dit-il, autrefois; mais nous avons réformé tout cela. Nos poëtes modernes ont réformé l'art dramatique, à peu près comme Sganarelle réformait l'anatomie.

Ce Vaudeville original, où un neveu fait l'éducation de son oncle, sera un singulier encouragement pour tous les enfants, qui d'après cela vont se croire de grands personnages. Jules leur donne l'exemple de se mêler de la conduite de leurs parents, et de ne pas leur épargner les remontrances pour les remettre dans la bonne voie. Les peres, les oncles, les tuteurs, les maitres, n'ont qu'à se préparer à être raillés, mystifiés, chapitrés sur leurs déportements par leurs fils, leurs neveux, leurs pupiles et leurs éleves: ce sera une mascarade tout-à-fait bouffonne. Nous avons une comédie de carnaval intitulée les Valets maîtres de la maison; eh bien ! nous aurons dans ce Vaudeville nouveau une autre parade dont le titre le plus convenable serait: le Neveu oncle, ou Ecolier maître.

Cette folie a cependant été applaudie plus qu'un bon ouvrage; les auteurs ont été demandés, et ils ont eu la modestie de se faire nommer: ce sont MM. Dieulafoi et Gersain. Ils ont obtenu des succès plus flatteurs que celui-là, et leur mérite est fort au-dessus de cette bagatelle, qui ne peut assurément rien ajouter à leur gloire.

Les couplets m'ont paru, pour la plupart, maniérés et d'une tournure malheureuse: plusieurs cependant ont réussi; et en général, dans cette piece, folie, affectation, bouffonnerie, tout va l'un portant l'autre. C'est le refrain de quelques couplets où l'on a voulu trouver du sel; pour moi, je ne vois

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