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SAPHO A PHAON.

Quoi! tu ne reviens point! et par un long silence
Tu peux aigrir les maux causés par ton absence!...
Dois-je encor te revoir? Hélas! si malgré toi

Un obstacle puissant te retient loin de moi,
Que tamain, cher Phaon, daigne du moins m'apprendre
Si l'amant le plus cher est encor le plus tendre...
Dois-tu de ton aspect long-tems priver mes yeux?
Vingt fois l'astre éclatant qui brille dans les cieux
A sur les Lesbiens répandu sa lumière,
Vingt fois il a dans l'onde achevé sa carrière
Depuis l'instant fatal, signalé par mes pleurs,
Où mon cœur fut percé des plus vives douleurs,
Cet instant où je vis tes voiles fugitives
Peut-être pour jamais t'éloigner de ces rives!
Hélas! avant le jour où, d'un œil enchanteur,
Tu troublas, cher Phaon, le calme de mon cœur,

Où je flattai le tien d'une douce espérance,
Mes jours paisiblement coulaient dans l'innocence;
Mes yeux, pendant la nuit fermés par le sommeil,
Ne s'ouvraient point alors pour pleurer au réveil;
Et
par ses sons brillans ma lyre enchanteresse
Entraînait sur mes pas les peuples de la Grèce.

Tu parus : à l'instant je sentis malgré moi
Mon ame s'émouvoir et s'enchaîner à toi:
Sur mes sens agités je n'avais plus d'empire,
Je soupirais.... ma main s'arrêtait sur ma lyre;
Mon esprit s'égarait dans des discours confus,
Et mon cœur enflammé ne se connaissait plus.
Dans ce cruel état que j'éprouvai d'alarmes!
Trois fois sans se fermer mes yeux baignés de larmes
Ont revu du soleil la fuite et le retour.

Je reconnais alors l'impitoyable Amour:
Je veux lui résister; mais, espérance vaine!
Tous mes efforts ne font que resserrer la chaîne;
Le feu le plus ardent s'allume dans mon cœur,
S'irrite par degrés et se change en fureur.
Près de ces lieux charmans, de ces bords où la vue
Admire en s'égarant une immense étendue,
Où la plaine des mers et la voûte des cieux
Semblent dans le lointain se confondre à nos yeux,
Non loin de cette rive est un lit de verdure

Qu'ombrage un orme épais, qu'arrose une onde pure:

Ce fut là que ton cœur, embrasé par l'amour,
A Sapho qui t'aimait demanda du retour;

:

Ce fut là, cher Phaon, qu'au gré de ta tendresse Je fis en rougissant l'aveu de ma faiblesse. Comment aurais-je pu résister à tes feux? Tout ce que tu disais était peint dans tes yeux: L'amour d'un doux éclat faisait briller ses charmes, Et tes yeux attendris se remplissaient de larmes. Qu'à la tendre Sapho tu parus enchanteur! Oui, je crus voir un dieu qui séduisait mon cœur. Que dis-je? de tes traits, moi-même enorgueillie, En voyant ta beauté je me crus embellie. Hélas! j'aurais voulu dans des instans si chers Te cacher dans mon sein aux yeux de l'univers. Un jour en soupirant, je m'en souviens encore, Je te dis cher amant, tu m'aimes, je t'adore ; Mais, hélas! un soupçon vient troubler mon plaisir... « Quelle crainte, dis-tu, Sapho, vient te saisir? « Quand mon cœur sent pour toi la flamme la plus pure << Pourrais-tu soupçonner ma bouche d'imposture? « Ah, Sapho! ne crains rien; tu verras chaque jour << Par le feu des plaisirs s'accroître mon amour. « Oui, qu'à ce même instant la mort la plus cruelle << Couvre plutôt mes yeux d'une nuit éternelle, << Si, de notre union brisant les nœuds charmans, « Je dois nn jour changer et rompre mes sermens. » Qu'aisément quand on aime on croit ce qu'on desire! L'Amour seul, ai-je dit, est le dien qui l'inspire,

Le soupçon s'envola de mon cœur amoureux;
Je n'opposai plus rien, et Phaon fut heureux.

Rappelle-toi ce jour si cher à ma tendresse,
Ces momens où, plongés dans la plus douce ivresse,
Nous étions l'un et l'autre au comble du bonheur;
Où, serré dans mes bras, tu mourais sur mon cœur:
Ma bouche, cher amant, respirait sur la tienne;
Ton ame avec transport s'élançait dans la mienne,
Et nos feux, toujours vifs et toujours renaissans,
Semblaient pour les plaisirs multiplier nos sens.
O rapides instans! ô jours remplis de charmes!
Deviez-vous être, hélas! suivis de tant de larmes!

Quoi! tout est donc changé!... Funeste souvenir,
Pour jamais de mon cœur ne puis-je te bannir?
La fidèle Cidno, par l'amitié conduite,
D'un air pâle et défait vient m'annoncer ta fuite.
Je doute quelque tems de mon triste destin;
Je crains de m'éclaircir, et, d'un pas incertain,
Sur la rive en tremblant je me traîne éperdue:
Quel spectacle, grands dieux! vient s'offrir à ma vue!
Ton vaisseau sur les mers s'enfuit au gré des vents!
Le souffle de la mort glace aussitôt mes sens;

Je tombe, et sur ces bords je demeure expirante.
Je r'ouvre à peine au jour ma paupière mourante:
Arrête! m'écrié-je, arrête!... Mais en vain;
Ton vaisseau fuit toujours, et disparaît soudain.

De mes cris effrayans je remplis le rivage:
Je ne me connais plus; dans l'excès de ma rage
Je déchire mon sein, j'arrache mes cheveux;
J'appelle enfin la Mort : mais, repoussant mes vœux,
Vingt fois au même instant la déesse barbare
Ouvre et ferme à mes yeux les portes du Ténare.

Depuis ce triste jour, ce funeste moment,
Que le tems à mon gré s'écoule lentement!

Que sanstoices beaux lieux ont pour moi peu de charmes!
Je ne me plais, hélas! qu'à répandre des larmes.
Sur les ailes des vents quand tout fuit avec toi,

Quel plaisir, cher Phaon, peut être encor pour moi?
Pour orner les présens que m'a faits la nature
Ma main n'emprunte plus l'éclat de la parure.
Moi me parer! pour qui? si tes feux sont éteints,
Eh! que m'importe à moi le reste des humains?

Tandis qu'aux noirs chagrins ton amante est en proie,
Que tu dois essuyer les pleurs où je me noie,
Phaon, tu vis content et tu braves mes maux.
Quels droits ai-je en effet de troubler ton repos?
Dois-tu, brûlant toujours pour une infortunée,
A ses tristes destins voir ton ame enchaînée?
S'enflammer, se quitter, se tromper tour à tour,
Ce n'est qu'un jeu frivole applaudi par l'Amour.
Les sermens ne sont plus qu'une fragile chaîne
Qu'on forme sans plaisir et qu'on brise sans peine.

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