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Asie. Les Scythes, que ce prince menoit à la guerre, ont plutôt fait des courses que des conquêtes. Ce ne fut que par rencontre, et en poussant les Cimmériens, qu'ils entrèrent dans la Médie, battirent les Mèdes, et leur enlevèrent cette partie de l'Asie où ils avoient établi leur domination. Ces nouveaux conquérans n'y régnèrent que vingt-huit ans. Leur impiété, leur avarice, et leur brutalité la leur fit perdre; et Cyaxare fils de Phraorte, sur lequel ils l'avoient conquise, les en chassa. Ce fut plutôt par adresse que par force. Réduit à un coin de son royaume que les vainqueurs avoient négligé, ou que peut-être ils n'avoient pu forcer, il attendit avec patience que ces conquérans brutaux eussent excité la haine publique, et se défissent eux-mêmes par le désordre de leur gouvernement.

Nous trouvons encore dans Strabon (1), qui l'a tiré du même Megasthène, un Tearcon roi d'Ethiopie : ce doit être le Tharáca de l'Ecriture (2), dont les armes furent redoutées du temps de Sennachérib roi d'Assyrie. Ce prince pénétra jusqu'aux Colonnes d'Hercule, apparemment le long de la côte d'Afrique, et passa jusqu'en Europe. Mais que dirois-je d'un homme dont nous ne voyons dans les historiens que quatre ou cinq mots, et dont la domination n'a aucune suite ?.

Les Ethiopiens, dont il étoit roi, étoient, selon Hérodote (3), les mieux faits de tous les hommes, et de la plus belle taille. Leur esprit étoit vif et ferme; mais ils prenoient peu de soin de le cul

(1) Lib. xv, init. (2) IV. Reg. XIX. 9. Is. xxxvII. 9. · (3) Herod. lib. I, cap. 20.

tiver, mettant leur confiance dans leurs corps robustes et dans leurs bras nerveux. Leurs rois étoient électifs, et ils mettoient sur le trône le plus grand et le plus fort. On peut juger de leur humeur par une action que nous raconte Hérodote. Lorsque Cambyse leur envoya, pour les surprendre, des ambassadeurs et des présens tels que les Perses les donnoient, de la pourpre, des bracelets d'or, et des compositions de parfums, ils se moquèrent de ses présens où ils ne voyoient rien d'utile à la vie, aussi bien que de ses ambassadeurs qu'ils prirent pour ce qu'ils étoient, c'est-à-dire pour des espions. Mais leur roi voulut aussi faire un présent à sa mode au roi de Perse; et prenant en main un arc qu'un Perse eût à peine soutenu, loin de le pouvoir tirer, il le banda en présence des ambassadeurs, et leur dit : « Voici le conseil que le roi d'Ethiopie donne » au roi de Perse. Quand les Perses se pourront >> servir aussi aisément que je viens de faire d'un >> arc de cette grandeur et de cette force, qu'ils >> viennent attaquer les Ethiopiens, et qu'ils amènent plus de troupes que n'en a Cambyse. En atten»dant, qu'ils rendent grâces aux dieux, qui n'ont » pas mis dans le cœur des Ethiopiens le désir de » s'étendre hors de leur pays ». Cela dit, il débanda l'arc, et le donna aux ambassadeurs. On ne peut dire quel eût été l'événement de la guerre. Cambyse, irrité de cette réponse, s'avança vers l'Ethiopie comme un insensé, sans ordre, sans convois, sans discipline; et vit périr son armée, faute de vivres, au milieu des sables, avant que d'approcher l'ennemi.

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Ces peuples d'Ethiopie n'étoient pourtant pas si justes qu'ils s'en vantoient, ni si renfermés dans leur pays. Leurs voisins les Egyptiens avoient souvent éprouvé leurs forces. Il n'y a rien de suivi dans les conseils de ces nations sauvages et mal cultivées : si la nature y commence souvent de beaux sentimens, elle ne les achève jamais. Aussi n'y voyons-nous que peu de choses à apprendre et à imiter. N'en parlons pas davantage, et venons aux peuples policés.

Les Egyptiens sont les premiers où l'on ait su les règles du gouvernement. Cette nation grave et sérieuse connut d'abord la vraie fin de la politique, qui est de rendre la vie commode et les peuples heureux. La température toujours uniforme du pays y faisoit les esprits solides et constans. Comme la vertu est le fondement de toute la société, ils l'ont soigneusement cultivée. Leur principale vertu a été la reconnoissance. La gloire qu'on leur a donnée, d'être les plus reconnoissans de tous les hommes, fait voir qu'ils étoient aussi les plus sociables (1). Les bienfaits sont le lien de la concorde publique et particulière. Qui reconnoît les grâces, aime à en faire; et en bannissant l'ingratitude, le plaisir de faire du bien demeure si pur, qu'il n'y a plus moyen de n'y être pas sensible. Leurs lois étoient simples, pleines d'équité, et propres à unir entre eux les citoyens. Celui qui pouvant sauver un homme attaqué, ne le faisoit pas, étoit puni de mort aussi rigoureusement que l'assassin (2). Que si on ne pouvoit secourir le malheureux, il falloit du moins dénoncer

(1) Diod. lib. 1, sect. 2, n. 22 et seq. — (2) Ibid. n. 27.

l'auteur de la violence; et il y avoit des peines établies contre ceux qui manquoient à ce devoir. Ainsi les citoyens étoient à la garde les uns des autres, et tout le corps de l'Etat étoit uni contre les méchans. Il n'étoit pas permis d'être inutile à l'Etat : la loi assignoit à chacun son emploi, qui se perpétuoit de père en fils (1). On ne pouvoit ni en avoir deux, ni changer de profession; mais aussi toutes les professions étoient honorées. Il falloit qu'il y eût des emplois et des personnes plus considérables, comme il faut qu'il y ait des yeux dans le corps. Leur éclat ne fait pas mépriser les pieds, ni les parties les plus basses. Ainsi, parmi les Egyptiens, les prêtres et les soldats avoient des marques d'honneur particulières mais tous les métiers, jusqu'aux moindres, étoient en estime; et on ne croyoit pas pouvoir sans crime mépriser les citoyens, dont les travaux, quels qu'ils fussent, contribuoient au bien public. Par ce moyen tous les arts venoient à leur perfection: l'honneur qui les nourrit s'y mêloit partout on faisoit mieux ce qu'on avoit toujours vu faire, et à quoi on s'étoit uniquement exercé dès son enfance.

Mais il y avoit une occupation qui devoit être commune; c'étoit l'étude des lois et de la sagesse. L'ignorance de la religion et de la police du pays n'étoit excusée en aucun état. Au reste, chaque profession avoit son canton qui lui étoit assigné. Il n'en arrivoit aucune incommodité dans un pays dont la largeur n'étoit pas grande; et (1) Diod. lib. 1, sect. 2, n. 25.

dans un si bel ordre, les fainéans ne savoient où se cacher.

Parmi de si bonnes lois, ce qu'il y avoit de meilleur, c'est que tout le monde étoit nourri dans l'esprit de les observer. Une coutume nouvelle étoit un prodige en Egypte (1): tout s'y faisoit toujours de même; et l'exactitude qu'on y avoit à garder les petites choses, maintenoit les grandes. Aussi n'y eut-il jamais de peuple qui ait conservé plus longtemps ses usages et ses lois. L'ordre des jugemens servoit à entretenir cet esprit. Trente juges étoient tirés des principales villes pour composer la compagnie qui jugeoit tout le royaume (2). On étoit accoutumé à ne voir dans ces places que les plus honnêtes gens du pays et les plus graves. Le prince leur assignoit certains revenus, afin qu'affranchis des embarras domestiques, ils pussent donner tout leur temps à faire observer les lois. Ils ne tiroient rien des procès, et on ne s'étoit pas encore avisé de faire un métier de la justice. Pour éviter les surprises, les affaires étoient traitées par écrit dans cette assemblée. On y craignoit la fausse éloquence, qui éblouit les esprits et émeut les passions. La vérité ne pouvoit être expliquée d'une manière trop sèche. Le président du sénat portoit un collier d'or et de pierres précieuses, d'où pendoit une figure sans yeux, qu'on appeloit la Vérité. Quand il la prenoit, c'étoit le signal pour commencer la séance (3). II l'appliquoit au parti qui devoit gagner sa cause, et

(1) Herod. lib. 11, c. 91. Diod. lib. 1, sect. 2, n. 22. Plat. de Leg. lib. II. (2) Diod. lib. 1, sect. 2, n. 26. (3) Ibid.

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