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venir éclairer le monde. Dans Porphyre, le philosophe de Samos est un vrai magicien ; ses confidens même, Empédocle, Epiménide, Abaris, font des miracles comme lui. Dans Philostrate, l'imposteur de Tyane est annoncé par les oracles, naît d'un dieu trois ou quatre ans avant notre ère, guérit les malades, ressuscite les morts, prédit l'avenir, apaise les tempêtes, chasse les démons, entend une voix qui lui répète, Viens dans le ciel, meurt alors miraculeusement, et apparaît ensuite à ses disciples. Alexandre Sévère (1) l'honorait d'un culte domestique parmi les ames saintes, avec Orphée, Abraham, Moïse, et un plus grand prophète que Moïse. Eunape, dans la préface de ses Vies des Sophistes, va jusqu'à dire que Philostrate aurait dû intituler celle d'Apollonius, Voyage d'un dieu parmi les hommes. Porphyre écrivit dans la même intention ses quatre livres sur l'abstinence pythagorique, et sa vie de Plotin, où il raconte ses propres visions. Il est difficile de croire à la bonne foi de ce rhéteur, trop habile pour avoir été dupe. Il feignit un jour de vouloir se tuer après avoir entendu Plotin discourir sur la nature de l'âme : froid imitateur de cet homme (2) qui se jeta dans la mer après la lecture du Phédon. Il calcule, il raisonne, il n'a pas l'excuse de Plotin ; les subtilités et les mensonges lui convenaient mieux que les extases. Le tour de son esprit et le besoin de sa cause le portèrent à continuer le système des allégoristes. Son explication de la grotte des Nymphes, dans l'Odyssée, nous montre comment les interprétations emblématiques peuvent dénaturer les choses les plus simples. Il ne reste que des fragmens de ses quinze livres sur les Chrétiens, livres combattus par Eusèbe et détruits par Théodose.

(1) Lamprid. in ejus Vit. c. 29.

(2) Cléombrote d'Ambracie, Callimach. ap. Cic. Tuscul. I, 34.

Amélius, autre disciple de Plotin, et qui resta vingtquatre ans auprès de lui, a mérité une place importante dans l'histoire philosophique par son jugement sur les premières paroles de Saint Jean l'Evangéliste : « Tel est le Verbe, modèle incréé de toute créature, suivant l'opinion d'Héraclite, et dont les Barbares ont osé dire que, dans le principe et dans le premier chaos, il était en Dieu, Dieu lui-même ; que par lui tout a été fait; que dans lui résidait le monde, la vie, l'être; qu'il s'est abaissé jusqu'à la nature corporelle, qu'il s'est revêtu de chair, qu'il s'est fait homine; mais qu'alors même il avait montré la grandeur de sa véritable nature, et qu'ensuite, dépouillé de ce voile, il était redevenu Dieu, Dieu comme il était avant d'être descendu jusqu'au corps, jusqu'à la chair, jusqu'à l'homme (1). » Ce Verbe coéternel, ce Verbe égal au Père, qu'Amélius trouvait dans Héraclite, Saint Augustin le reconnaît dans Platon (2), dont la soudaine lumière dissipa pour lui les ténèbres du Manichéisme et prépara sa conversion. Un Platonicien disait, comme il le rapporte ailleurs (3), que les Chrétiens devraient écrire en lettres d'or ce début de leur Evangile, et l'exposer sur les autels de leurs temples. Les philosophes continuaient donc d'étudier nos livres sacrés; ils cherchaient la solution des doutes que leur inspirait

y

(1) Ap. Euseb. Præp. Ev. XI, 19; Theodoret. Therap. II, etc, Je conserve la lecon, ἐν τῇ τῆς ἀρχῆς τάξει τε καὶ ἀταξίᾳ, qu'on a voulu changer d'après Origène. Il est vrai que Bossuet, Sermon sur la Trinité, I. point, entend comme Origène ces mots, iv ¿px, in principio: «Le Verbe naît et demeure dans son principe. » Théodoret suit l'interprétation commune.

(2) « ................ re ipsâ, non iisdem quidem verbis, quidquid Joannes ipse Evangelii sui exordio de Verbi gloriâ, et quod Paulus de ejusdem æqualitate cum Patre docet. » Confess. VII, 9.

(3) De Civit. Dei, X, 29.

une religion profane. Et alors, les uns se rangeaient parmi les catéchumènes ; les autres se faisaient prophètes, voulaient fonder un culte, s'imaginaient qu'il était facile de tromper les hommes, trouvaient des disciples; Plotin trouvait un Egyptien pour faire avec lui des miracles, et Porphyre pour les raconter, sinon pour les croire.

Mais que penser d'un philosophe comme Iamblique le Célé-Syrien, disciple de Porphyre, qui emploie toute une section de sa lettre sur les Mystères à décrire les divers genres d'apparitions ou épiphanies, depuis celles des dieux et des archanges jusqu'à celles des héros et des âmes; qui craint assez peu l'accusation de charlatanisme pour y établir en principe que, dans les extases, le corps peut se grossir, s'allonger, s'élever dans les airs (1), et qui lui-même fut ainsi ravi à plus dix coudées, suivant Je témoignage de ses esclaves? Eunape, dans la vie de ce thaumaturge, raconte le fait et n'y croit pas; mais il raconte bien d'autres prodiges que le nouveau prophète avait sans doute fait répandre, ou par ses esclaves, ou par ses compagnons de mensonge, comme Edésius, Sopatre et Théodore. On dit que Zoroastre, Orphée, Hermès, cités à tout moment par ces faux sages, avaient aussi trompé les hommes; mais Socrate et Platon les avaient instruits.

Iamblique, dont il reste cependant quelques ouvrages plus utiles que ses révélations théurgiques, termine la liste des Néo-Platoniciens qui précédèrent la translation de l'empire à Byzance. Si l'on veut y joindre Chalcidius, qu'on fait, sans preuve, diacre ou archidiacre de Carthage ou de Carthagène, et qu'on place au commencement du quatrième siècle pour le placer quelque part, il faudra bien l'y admettre, puisque nous avons en latin,

(1) Η μετέωρον ἐν τῷ αέρι φερόμενον, De Myster. Egypt. III, 15.

sous ce nom, une traduction souvent ridicule, et un commentaire obscur du Timée.

Constantin déclara vers ce temps le Christianisme la religion de l'Empire. Le concile de Nicée, en 525, condamna quelques dogmes platoniques, qui se montrèrent encore dans l'Eglise, mais plus timidement et par intervalles. Bientôt les Néo-Platoniciens, devenus Mages, Théosophes, Illuminés, furent chassés de leurs écoles: ils méritaient de l'être.

Leurs erreurs et leurs fraudes n'étaient venues que de l'envie et du besoin de se soutenir par des armes plus qu'humaines contre une puissance toute divine; mais le sang des martyrs fut plus éloquent que le souvenir de la vertu et du génie de Socrate, et le Platonisme céda enfin, non pas à une secte, à une école, à une philosophie rivale, mais à Dieu même.

CHAP. IV. De Constantin à Justinien.

ES

Les défenseurs errans de la doctrine Académique ou plutôt Alexandrine, les admirateurs de Porphyre, les disciples d'Iamblique, après avoir caché leurs leçons et leurs mystères pendant le règne de Constantin, qui se vengeait sur eux des persécutions, reparurent et dominèrent sous Julien. Plusieurs avaient été ses maîtres, Edésius de Cappadoce, Chrysanthe de Sardes, Eusèbe de Mynde, Maxime d'Ephèse, sophistes dont Eunape a écrit les miracles. Eunape était le compatriote et le plus cher disciple de Chrysanthe; il lui accorde le don de prophé

tie, avec la tolérance, le désintéressement, la douceur, et tant d'autres qualités, que son histoire pouvait se passer de la fiction. Thémistius, favori de Julien, nommé deux fois gouverneur de Constantinople, chargé de plusieurs missions, honoré par sept empereurs, prêta surtout aux Eclectiques l'autorité de son crédit et celle de ses vertus. Quoiqu'il ne fût que philosophe, le grand Théodose le choisit pour instruire Arcadius son fils, et Saint Grégoire de Nazianze alla s'asseoir dans son école auprès du sophiste Libanius.

Dans cette lutte toujours renaissante de l'ancienne et de la nouvelle religion de l'Empire, Julien lui-même, par haine pour Constantin, fut un puissant auxiliaire des faux dieux; mais comme sa raison se refusait à défendre ouvertement l'absurdité du polythéisme, il fut Platonicien. Son Eloge de la Mère des dieux, son hymne au Soleil, roi du monde, quelques endroits de ses autres écrits, portent ce caractère de mysticité un peu ténébreuse, qui était un des prestiges de Plotin et de son école.

Mais tandis que l'Eglise produisait ses plus grands hommes, nés du sein même des outrages, et dont plusieurs, comme Arnobe, Lactance, et surtout l'admirable auteur de la Cité de Dieu, connaissaient bien le Platonisme; la secte Alexandrine n'eut long-temps pour soutiens que des hommes sans génie, parmi lesquels on distingue à peine Sallustius, auteur du traité des Dieux et du monde, allégoriste ingénieux et subtil, et Synésius de Cyrène, disciple de la célèbre Hypatie, cruellement immolée par ses rivaux, dont la cause n'avait pas besoin du meurtre d'une femme. Synésius, rarement orthodoxe dans ses Lettres et dans ses Hymnes, accepta l'évêché de Ptolémaïs près de Cyrène, mais à condition

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