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Amélius , autre disciple de Plotin , et qui resta vingtquatre ans auprès de lui, a mérité une place importante dans l'histoire philosophique par son jugement sur les premières paroles de Saint Jean l'Evangéliste : « Tel est le Verbe, modèle incréé de toute créature, suivant l'opinion d'Héraclite, et dont les Barbares ont osé dire que, dans le principe et dans le premier chaos, il était en Dieu , Dieu lui-même; que par lui tout a été fait; que dans lui résidait le monde, la vie, l'être ; qu'il s'est abaissé jusqu'à la nature corporelle, qu'il s'est revêtu de chair, qu'il s'est fait homine ; mais qu'alors même il avait montré la grandeur de sa véritable nature , et qu'ensuite, dépouillé de ce voile, il était redevenu Dieu, Dieu comme il était avant d'être descendu jusqu'au corps, jusqu'à la chair, jusqu'à l'homme (1). » Ce Verbe coéternel, ce Verbe égal au Père, qu'Amélius trouvait dans Heraclite, Saint Augustin le reconnaît dans Platon (2), dont la soudaine lumière dissipa pour lui les ténèbres du Manichéisme et prépara sa conversion. Un Platonicien disait, comme il le rapporte ailleurs (3), que les Chrétiens devraient écrire en lettres d'or ce début de leur Evangile, et l'exposer sur les autels de leurs temples. Les philosophes continuaient donc d’étudier nos livres sacrés ; ils у

cherchaient la solution des doutes que leur inspirait

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(1) Ap. Euseb. Præp. Ev. XI, 19; Theodoret. Therap. II, etc, Je conserve la lecon, έν τή της αρχής τάξει τε και αταξία , qu'on a voulu changer d'après Origène. Il est vrai que Bossuet, Sermon sur la Trinité, l''. point, entend comme Origène ces mots , év epxen, in principio: «Le Verbe nait et demeure dans son principe. » Théodoret suit l'interprétation commune.

(2) «. re ipsâ , non iisdem quidem verbis, quidquid Joannes ipse Evangelii sui exordio de Verbi gloriâ , et quod Paulus de ejusdem æqualitate cum Patre docet. » Confess. VII, 9.

(3) De Civit. Dei , X, 29.

une religion profane. Et alors, les uns se rangeaient parmi les catéchumènes ; les autres se faisaient prophètes, voulaient fonder un culte, s'imaginaient qu'il était facile de tromper les hommes, trouvaient des disciples; Plotin trouvait un Egyptien pour faire avec lui des miracles, et Porphyre pour les raconter, sinon pour les croire.

, Mais que penser d'un philosophe comme lamblique le Célé-Syrien, disciple de Porphyre, qui emploie touté une section de sa lettre sur les Mystères à décrire les divers genres d'apparitions ou épiphanies, depuis celles des dieux et des archanges jusqu'à celles des héros et des âmes ; qui craint assez peu l'accusation de charlatanisme pour y établir en principe que, dans les extases, le corps peut se grossir, s'allonger, s'élever dans les airs (1), et qui lui-même sut ainsi ravi à plus dix coudées , suivant Je témoignage de ses esclaves ? Eunape, dans la vie de ce thaumaturge , raconte le fait et n'y croit pas ; mais il raconte bien d'autres prodiges que le nouveau prophète avait sans doute fait répandre, ou par ses esclaves, ou par ses compagnons de mensonge, comme Edésius, Sopatre et Théodore. On dit que Zoroastre, Orphée, Hermès, cités à tout moment par ces faux sages, avaient aussi trompé les hommes; mais Socrate et Platon les avaient instruits.

Tamblique, dont il reste cependant quelques ouvrages plus utiles que ses révélations théurgiques, termine la liste des Néo-Platoniciens qui précédèrent la translation de l'empire à Byzance. Si l'on veut y joindre Chalcidius, qu'on fait, sans preuve, diacre ou archidiacre de Carthage ou de Carthagène, et qu'on place au commencement du quatrième siècle pour le placer quelque part, il faudra bien l'y admettre, puisque nous avons en latin,

( “Η μετέωρον εν τώ αίρι φερόμενον, De Myster. Egypt. ΙΙΙ, 15.

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sous ce nom, une traduction souvent ridicule, et un commentaire obscur du Timée.

Constantin déclara vers ce temps le Christianisme la religion de l'Empire. Le concile de Nicée, en 325, condamna quelques dogmes platoniques, qui se montrèrent encore dans l'Eglise , mais plus timidement et par intervalles. Bientôt les Néo-Platoniciens, devenus Mages, Théosophes, Illuminés , furent chassés de leurs écoles : ils méritaient de l'être.

Leurs erreurs et leurs fraudes n'étaient venues que de l'envie et du besoin de se soutenir par des armes plus qu'humaines contre une puissance toute divine ; mais le sang des martyrs fut plus éloquent que le souvenir de la vertu et du génie de Socrate , et le Platonisme céda enfin,

à une secte , à une école, à une philosophie rivale, mais à Dieu même.

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CHAP. IV. De Constantin à Justinien.

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Les défenseurs errans de la doctrine Académique ou plutôt Alexandrine, les admirateurs de Porphyre, les disciples d'Iamblique , après avoir caché leurs leçons et leurs mystères pendant le règne de Constantin, qui se vengeait sur eux des persécutions, reparurent et dominèrent sous Julien. Plusieurs avaient été ses maîtres, Edésius de Cappadoce, Chrysanthe de Sardes, Eusébe de Mynde , Maxime d'Ephèse, sophistes dont Eunape a écrit les miracles. Eunape était le compatriote et le plus cher disciple de Chrysanthe ; il lui accorde le don de prophé

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tie, avec la tolérance, le désintéressement, la douceur, et tant d'autres qualités, que son histoire pouvait se pasa ser de la fiction. Thémistius, favori de Julien, nommé deux fois gouverneur de Constantinople, chargé de plusieurs missions, honoré par sept empereurs, prêta surtout aux Eclectiques l'autorité de son crédit et celle de ses vertus. Quoiqu'il ne fût que philosophe, le grand Théodose le choisit pour instruire Arcadius son fils , et Saint Grégoire de Nazianze alla s'asseoir dans son école auprès du sophiste Libanius.

Dans celle lutte toujours renaissante de l'ancienne et de la nouvelle religion de l'Empire, Julien lui-même, par haine pour Constantin , fut un puissant auxiliaire des faux dieux; mais comme sa raison se refusait à défendre ouvertement l'absurdité du polythéisme, il fut Platonicien. Son Eloge de la Mère des dieux, son hymne au Soleil, roi du monde, quelques endroits de ses autres écrits, portent ce caractère de mysticité un peu ténébreuse, qui élait un des prestiges de Plotin et de son école.

Mais tandis que l'Eglise produisait ses plus grands hommes, nés du sein même des outrages, et dont plusieurs, comme Arnobe, Lactance, et surtout l'admirable auteur de la Cité de Dieu, connaissaient bien le Platonisme ; la secte Alexandrine n'eut long-temps pour soutiens que des hommes sans génie, parmi lesquels on distingue à peine Sallustius, autenr du traité des Dieux et du monde , allegoriste ingénieux et subtil, et Synésius de Cyrène, disciple de la célèbre Hypatie, cruellement immolée par ses rivaux, dont la cause n'avait pas besoin du meurtre d'une femme. Synésius, rarement orthodoxe dans ses Lettres et dans ses Hymnes , accepta l'évêché de Ptolémaïs près de Cyrène, mais à condition

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qu'il resterait Platonicien (1). Un autre Chrétien de ce siécle, Némésius, évêque d'Emésa en Phénicie, adopta aussi les dogmes Socratiques dans son excellent traité sur la Nature de l'homme , attribué autrefois à Grégoire de Nysse, frère de Saint Basile. Malgré les décrels des conciles, Théodoret, savant interprète de la foi, enrichit des idées sublimes du philosophe ses douze Discours contre le culte des idoles. La philosophie, ou la raison naturelle, passait alors dans les rangs de ces pontifes, qui, après avoir applaudi long-temps ses leçons éloquentes dans les gymnases d'Alexandrie, la servaient encore en attaquant par tout l'univers les derniers appuis , non de cette raison éternelle et sacrée, mais des vicilles superstitions.

Macrobe , appelé chrétien par les uns, païen par les autres, commentait, vers ce temps-là, le Songe de Scipion, où il retrouvait sans cesse le dixième livre de la République ; mais ce compilateur n'a pas toujours entendu ce qu'il transcrit.

Il y a aussi des traces de Christianisme dans Ammien Marcellin, Symmaque, Ausone, Claudien , disciples de la philosophie Alexandrine. Thémistius avait déjà donné l'exemple d'un tel mélange: il fallait bien qu'un homme, également favorisé par Constance et par Julien, ne fût ni tout-à-fait païen, ni sectateur de la religion nouvelle. Symmaque , sous Théodose , nous explique celte neulralité politique, si cominune alors, et non moins commune depuis. Il dit au jeune Valentinien, dans sa requête pour l'autel de la Victoire : « Il est juste de penser que nous

(1) Et marié, suivant Evagrius, Hist. Eccl. I, 15; Photius, Cod. 26; mais ce point difficile ulest pas de notre sujet. Assez d'autres l'ont discuté, Luc Holstén ius , Fleury, Tillemont, Lacroze, Brucker, Malleville , etc. PENSEÉS DE PLATON,

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