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ce qu'ils appellent grandeur et richesse, et que les autres les voient sans envie : car tu sais qu'il n'y a dans ces vanités ni de quoi envier, ni de quoi s'enorgueillir.

Puissent tous les hommes se souvenir qu'ils sont frères! qu'ils aient en horreur la tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration le brigandage qui ravit par la force le fruit du travail et de l'industrie paisible! Si les guerres sont inévitables, ne nous haïssons pas, ne nous déchirons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et employons l'instant de notre existence à bénir également en mille langages divers, depuis Siam jusqu'à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.

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TRÈS HUMBLE REMONTRANCE AUX INQUISITEURS D'ESPAGNE
ET DE PORTUGAL 1.

Une juive de dix-huit ans, brûlée à Lisbonne au dernier autodafé, donna occasion à ce petit ouvrage; et je crois que c'est le plus inutile qui ait jamais été écrit. Quand il s'agit de prouver des choses si claires, on est sûr de ne pas convaincre.

L'auteur déclare que, quoiqu'il soit juif, il respecte la religion chrétienne, et qu'il l'aime assez pour ôter aux princes qui ne seront pas chrétiens un prétexte plausible pour la persécuter.

1. Il y eut à Lisbonne, en 1745, un autodafé qui fut tristement célèbre en Europe. Le supplice du feu fut aboli en Portugal par le ministre Pombal.

« Vous vous plaignez, dit-il aux inquisiteurs, de ce que l'empereur du Japon fait brûler à petit feu tous les chrétiens qui sont dans ses États; mais il vous répondra Nous vous traitons, vous qui ne croyez pas comme nous, comme vous traitez vous-mêmes ceux qui ne croient pas comme vous; vous ne pouvez vous plaindre que de votre faiblesse, qui vous empêche de nous exterminer, et qui fait que nous vous exterminons.

«Mais il faut avouer que vous êtes bien plus cruels que cet empereur. Vous nous faites mourir, nous qui ne croyons que ce que vous croyez, parce que nous ne croyons pas tout ce que vous croyez. Nous suivons une religion que vous savez vous-mêmes avoir été autrefois chérie de Dieu; nous pensons que Dieu l'aime encore, et vous pensez qu'il ne l'aime plus; et parce que vous jugez ainsi, vous faites passer par le fer et par le feu ceux qui sont dans cette erreur si pardonnable, de croire que Dieu aime encore ce qu'il a aimé1.

« Si vous êtes cruels à notre égard, vous l'ètes bien plus à l'égard de nos enfants: vous les faites brûler, parce qu'ils suivent les inspirations que leur ont données ceux que la loi naturelle et les lois de tous les peuples leur apprennent à respecter comme des dieux 2.

« Vous vous privez de l'avantage que vous a donné sur les mahométans la manière dont leur religion s'est établie. Quand ils se vantent du nombre de leurs fidèles, vous leur dites que la force les leur a acquis, et qu'ils ont étendu leur religion par le fer: pourquoi donc établissez-vous la vôtre par le feu?

1. C'est la source de l'aveuglement des juifs, de ne pas sentir que l'économie de l'Evangile est dans l'ordre des desseins de Dieu, et qu'ainsi elle est une suite de son immutabilité même. (Note de l'auteur.)

2. Leurs pères.

« Quand vous voulez nous faire venir à vous, nous vous objectons une source dont vous vous faites gloire de descendre1. Vous nous répondez que votre religion est nouvelle, mais qu'elle est divine; et vous le prouvez parce qu'elle s'est accrue par la persécution des païens et par le sang de vos martyrs: mais aujourd'hui vous prenez le rôle des Dioclétien, et vous nous faites prendre le vôtre.

« Nous vous conjurons, non pas par le Dieu puissant que nous servons vous et nous, mais par le Christ que vous nous dites avoir pris la condition humaine pour vous proposer des exemples que vous puissiez suivre; nous vous conjurons d'agir avec nous comme il agirait lui-même s'il était encore sur la terre. Vous voulez que nous soyons chrétiens, et vous ne voulez pas l'ètre 2.

«Mais, si vous ne voulez pas être chrétiens, soyez au moins des hommes traitez-nous comme vous feriez, si, n'ayant que ces faibles lueurs de justice que la nature nous donne, vous n'aviez point une religion pour vous conduire, et une révélation pour vous éclairer.

« Si le ciel vous a assez aimés pour vous faire voir la vérité, il vous a fait une grande grâce: mais est-ce aux enfants qui ont eu l'héritage de leur père de haïr ceux qui ne l'ont pas eu?

«Que si vous avez cette vérité, ne nous la cachez pas par la manière dont vous nous la proposez. Le caractère de la vérité, c'est son triomphe sur les cœurs et les esprits, et non pas cette impuissance que vous avouez, lorsque vous voulez la faire recevoir par des supplices.

«Si vous êtes raisonnables, vous ne devez pas nous faire mourir, parce que nous ne voulons pas vous

1. Abraham et Jacob.

2. La douceur étant la vertu chrétienne.

tromper. Si votre Christ est le fils de Dieu, nous espérons qu'il nous récompensera de n'avoir pas voulu profaner ses mystères; et nous croyons que le Dieu que nous servons vous et nous, ne nous punira pas de ce que nous avons souffert la mort pour une religion qu'il nous a autrefois donnée, parce que nous croyons qu'il nous l'a encore donnée.

« Vous vivez dans un siècle où la lumière naturelle est plus vive qu'elle n'a jamais été, où la philosophie a éclairé les esprits, où la morale de votre Évangile a été plus connue, où les droits respectifs des hommes les uns sur les autres, l'empire qu'une conscience a sur une autre conscience, sont mieux établis. Si donc vous ne revenez pas de vos anciens préjugés, qui, si vous n'y prenez garde, sont vos passions, il faut avouer que vous êtes incorrigibles, incapables de toute lumière et de toute instruction; et une nation est bien malheureuse, qui donne de l'autorité à des hommes tels que

vous.

« Voulez-vous que nous vous disions naïvement notre pensée? Vous nous regardez plutôt comme vos ennemis que comme les ennemis de votre religion car, si vous aimiez votre religion, vous ne lá laisseriez pas corrompre par une ignorance grossière.

« Il faut que nous vous avertissions d'une chose : c'est que, si quelqu'un dans la postérité ose jamais dire que dans le siècle où nous vivons les peuples d'Europe étaient policés, on vous citera pour prouver qu'ils étaient barbares; et l'idée que l'on aura de vous sera telle, qu'elle flétrira votre siècle, et portera la haine sur tous vos contemporains. >>

MONTESQUIEU.

L'Esprit des lois, 1. XXV, ch. xu.

14. Tolérance, IV.

Qu'est-ce que la religion, Sire? C'est l'assemblage des · devoirs de l'homme envers Dieu devoirs de culte à rendre à cet Être suprême, devoirs de justice et de bienfaisance à l'égard des autres hommes; devoirs, ou connus par les simples lumières de la raison qui composent ce qu'on appelle la religion naturelle, ou que la Divinité elle-même a enseignés aux hommes par une révélation surnaturelle, et qui forment la religion révélée.

Tous les hommes ne s'accordent point à reconnaître la révélation, et ceux qui en reconnaissent une ne s'accordent pas non plus sur celle qu'ils admettent.

Je conçois que des hommes qui croient toutes les religions également fausses, qui les regardent comme des inventions de la politique pour gouverner les peuples avec plus de facilité, peuvent ne se faire aucun scrupule de contraindre ceux qui dépendent d'eux à suivre la religion qu'ils croient avoir intérêt de leur prescrire.... Mais s'il y a une religion vraie, si Dieu doit demander compte à chacun de celle qu'il aura crue et pratiquée; si une éternité de supplices doit être le partage de celui qui aura rejeté la véritable religion; comment a-t-on pu imaginer qu'aucune puissance sur la terre ait droit d'ordonner à un homme de suivre une autre religion que celle qu'il croit vraie en son âme et concience?

S'il y a une religion vraie, il faut la suivre et la professer malgré toutes les puissances de la terre, malgré les édits des empereurs et des rois, malgré les jugements des proconsuls et le glaive des bourreaux. C'est

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