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Le zèle, l'intérêt, l'indulgence qu'inspirait un homme d'un si rare mérite, ne pouvaient trouver dans cette composition ni une étincelle de son génie, ni la fraîcheur du coloris, ni la plus faible image de la vie des passions; cependant il fut loué avec transport. L'exaltation des apologistes alla jusqu'au délire ; il parvint à attirer devant le tableau la foule des admirateurs sur parole; mais l'artiste n'obtint ni les suffrages du public, ni un des connaisseurs : ces derniers furent profondément affligés de voir Girodet courir évidemment à sa ruine, et nous menacer de son impuissance à reprendre le rang au-dessus duquel il avait promis de s'élever. Leur chagrin s'augmenta en contemplant la folie avec laquelle on s'appliquait à créer au peintre qui s'égarait, une fausse popularité, à l'étourdir par le bruit des salons sur la froideur du public. Que n'eussent-ils pas donné pour dessiller les yeux de Girodet, pour le prémunir contre des louanges plus dangereuses que si elles eussent été perfides? Le mal était fait, et désormais sans remède.

Les éloges augmentèrent et le talent diminua : nous avons eu cette année la double preuve de cette triste proportion. Que n'a-t-on pas tenté pour élever aux nues les portraits de Bonchamps et de Cathelineau! et cependant Girodet fut-il jamais moins digne de lui-même? et le Salon ne possède-t-il pas vingt portraits préférables à ces dernières et faibles productions de son pinceau? Que les hommes de bonnefoi comparent le maréchal Saint-Cyr de Vernet avec le Bonchamps, et qu'ils prononcent! Ah! sans doute, si la mort n'eût pas déjà habité dans son sein, s'il n'eût porté en lui le germe fatal de la destruc

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tion, jamais il n'aurait osé représenter comme un petit-maître, bien soigneux de sa personne, comme un joli garçon très-content de sa figure, comme un militaire musqué, le royaliste sublime dont le dernier cri fut le salut de quatre mille soldats républicains. Honneur à ce héros de l'humanité! indulgence au peintre mourant dont la nature défaillante a trahi le talent!

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En faisant toutes ces réflexions que je crois vraies, et que je rétracterais sans peine si l'on me démontrait mon erreur je n'ai aucune envie de rabaisser le talent de Girodet, ou de diminuer sa renommée. Malgré les reproches que j'ai osé leur faire, l'Endymion, Hippocrate, Atala et la Scène du déluge sont des titres de gloire que le temps ne détruirapas dans la mémoire des hommes. Libre de toute influence, je reconnais que Girodet fut vraiment un peintre, et l'un des sujets du plus juste orgueil pour David. Je rends une justice complète à ce peintre célèbre, et je crois être son interprète en protestant contre la passion ou l'erreur qui voudraient le mettre audessus de David. David est le peintre du siècle comme Homère est le prince des poëtes. Girodet aura une place auprès de David; il formera, avec ses émules, le cortège de ce grand artiste dans la postérité, qu'il se contente d'un si noble partage.

L'AMATEUR SANS PRÉTENTION.

VII.

32

NOUVEAUX CONTes a Henriette, par M. Abel
DUFRESNE (1).

M. Abel Dufresne m'a fait grand plaisir en m'envoyant son nouveau recueil de contes. Je ne rougis point d'avouer que j'aime le merveilleux. C'est d'ailleurs un goût assez général. Si l'on voulait y regarder de près, on reconnaîtrait que sans l'influence des fictions, la société aurait une forme toute différente de celle qu'elle présente aujourd'hui. Il vaut mieux s'adresser à l'imagination qu'à la raison des hommes ; delà, sans doute, viennent les contes de la politique qui sont beaucoup moins amusans que ceux de M. Abel Dufresne.

Ce jeune écrivain a lu dans Fénélon qu'il fallait examiner avec un soin extrême les ouvrages qu'on met entre les mains des enfans, parce que les premières impressions sont ineffaçables, et qu'une fausse direction donnée à l'esprit ou à la conscience peut entraîner de funestes résultats. Cette idée est juste; toute la destinée de l'homme est dans ses premières impressions. Les parens, les instituteurs devraient se pénétrer de cette idée; mais on n'a pas le temps d'y réfléchir; on s'abandonne au hasard ; on livre à la curiosité du jeune âge des livres qu'on ne connaît pas; et souvent le

(1) A Paris, chez Urbain Canel, libraire, place St.-André-desArts, n. 30. 1 vol. in-18, orné de 3 vignettes déssinées par Devéria. Prix : 4 fr.

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germe d'une vie malheureuse est dans une lecture imprudente.

Il paraît chaque année un nombre prodigieux de livres destinés à l'enfance et à la jeunesse. C'est une preuve qu'on attache aujourd'hui plus de prix à l'instruction, qu'on ne le faisait à une autre époque, et qu'on soigne davantage les premières années de la génération qui s'élève. C'est déjà un grand point; mais cela ne suffit pas; il faut apporter du discernement dans le choix des livres ; ils ne sont pour la plupart que des objets de spéculation; souvent tout le mérite de ces sortes d'ouvrages est dans leur titre; on fait des compilations où tout est jeté à la hâte, et sans examen ; c'est une espèce de manufacture littéraire où les produits s'échappent d'une simple mécanique; ce n'est point de la valeur positive, c'est de la quantité qu'il s'agit. Ce genre d'industrie prospère, parce qu'elle répond à un besoin gén éral; mais elle exige des perfectionnemens.

On fabrique pour l'enfance beaucoup de livres d'ins-truction; on met à sa portée l'histoire, la géographie, les sciences naturelles, tout cela est bien; mais on néglige trop la partie morale, c'est la conséquence d'une fausse idée. On confond assez généralement l'instruction avec l'éducation; aussi, n'est-il pas rare de voir des prodiges de sept à huit ans, assez instruits pour vous montrer sur la carte un fleuve ou une capitale, pour distinguer les rois de la première et de la seconde race, et réciter sans faute la fable du Corbeau et du Renard, dont l'humeur difficile et turbulente, le caractère despotique, annoncent les plus mauvais penchans. Les bons parens sont en extase devant ces petits docteurs qui deviennent pour la plupart de fort mauvais sujets.

C'est sans doute pour obvier à ces inconvéniens que M. Abel Dufresne a composé ses contes où respire la morale la plus douce et qui renferment d'excellentes leçons. Tout y est en action; les récits sont pleins d'intérêt, et l'instruction sort naturellement du sujet pour se graver dans le cœur. Les enfans y apprendront à se défendre de la colère, à céder sans peine à la nécessité, à connaître les avantages de l'application et à éviter l'ennui qui souvent les tourmente, malgré tous. les efforts qu'on fait pour leur procurer des amusemens. Cette dernière idée est très-bien développée dans le conte qui a pour titre : « La fée Réséda. »

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Qu'as-tu donc, Ernestine? disait M. de Vallière à sa fille âgée de sept ans et demi. Je n'ai rien, papa. - Cependant, je te vois soupirer, tu ne sais comment te tenir; tu changes de siége à toute minute; tu vas cacher ta tête sur les coussins des bergères, comme tu faisais à quatre ans quand tu avais du chagrin. Quelque chose te fait-il de la peine ? conte-moi cela; tu sais que mon bonheur est de te voir heureuse. Je n'ai pas de chagrin, mon papa; mais c'est que je m'ennuie. Je le vois bien, ma

-

fille, tu es là à ne rien faire.—Mais, papa, que

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vous que je fasse ?

-Je suis lasse de tous mes joujoux.

Joue,

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amuse-toi. Prends ton livre

et lis. Cela ne m'amuse pas; je ne puis comprendre les histoires, parce que je ne lis pas couramment.-Écris une page. Le beau plaisir ; c'est bien assez quand vient ma leçon d'écriture. Eh bien! prends ton aiguille et travaille. Je ne sais pas coudre. C'est ta faute; ta maman a voulu te l'apprendre.

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Ce n'est pas amusant d'apprendre; si l'on savait tout

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