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Les auteurs qui ont écrit sur l'argot s'accordent pour lui donner comme origine le jargon du xve siècle et pour berceau la cour des Miracles.

Ceci demande quelques explications.

Mais d'abord disons que le jargon ou argot, avec la signification de langage secret, a existé dans tous les temps et dans tous les pays. Toujours les classes vivant en dehors de la société, soit au-dessus, soit audessous d'elle, ont ressenti le besoin d'avoir un jargon spécial, mystérieux et conventionnel, susceptible de n'être compris que par les initiés. En Egypte, les prêtres avaient un langage secret, jargon sacré dont la clé n'était jamais connue des profanes. A Rome, la basse plèbe, les ruffians, les proxénètes, les affranchis et les esclaves parlaient un jargon qui a formé une bonne partie du bas latin et de l'italien du moyen

âge. Les sordida verba que l'on trouve dans les grammairiens latins, sont, à n'eu pas douter, des mots de ce jargon. Tous les peuples d'Europe et d'Asie ont eu et ont encore leur jargon ou argot, depuis les tribus nomades, bohémiens et tziganes, jusqu'aux parias et aux Thugs de l'Inde. Il existe en Angleterre sous le nom de slang, ou cant, en Allemagne, sous le nom de rothwelsch, les Espagnols l'appellent xérigonza, les Portugais calao, les Ilollandais, bargoens, les Bohémiens hantyrka, les Indiens balaïbalan, les Chinois hiantchang.

Il existe aussi en Amérique où il a été importé par les tziganes ou zingari.

En France, on ne trouve, dans les textes, trace de jargon antérieurement au xve siècle, et l'on en conclut qu'il date de cette époque. En outre, comme M. Vitu le fait remarquer justement dans son Discours sur le Jargon du xve siècle, les bandes organisées pour le vol et la mendicité n'existaient pas dans les siècles précédents. Les Français, serfs pour la plupart, avaient la nourriture assurée par le fait même de leur servage. Le seigneur, en effet, était obligé par la loi d'assurer la subsistance de l'homme qui dépendait de lui. Il devait, dit un capitulaire de Charlemagne, nourrir son 'pauvre des fruits de son bénéfice ou de ses revenus et ne pas

lui permettre d'aller mendier ailleurs; tout homme trouvé en état de mendicité devait être forcé de travailler et il était défendu de lui faire l'aumône. S'il ne voulait pas travailler on le pendait.

De sorte que le vol et la mendicité, qui sont les conséquences d'une absence de ressources nécessaires à l'existence, ne pouvaient exister alors, comme ils existèrent plus tard, à l'état d'institution. Le brigandage restait le privilège des barons qui, du haut des tourelles de leurs châteaux, surveillaient les routes pour piller les voyageurs. Nous ne voulons pas dire, ccpendant, qu'il n'y avait pas de mendiants, de voleurs et d'assassins en France avant le xv° siècle. Il y en eut dans tous les temps et dans toutes les sociétés, dans notre pays comme ailleurs, mais ils étaient isolés, ils ne se rencontraient que par exception et probablement jamais à l'état de bandes. D'ailleurs, rien n'autorise à dire qu'ils avaient un langage qui leur fût particulier.

Si, donc, les bandes on associations de truands et de voleurs n'existaient pas, le jargon qui aurait pu leur servir pour converser entre eux sans être compris de la foule n'existait pas davantage. Même les barons pillards n'avaient nullement besoin de langage secret, car, renfermés dans les

murailles de leurs castels forts, ils ne se mêlaient jamais au peuple.

Mais vint la guerre de Cent ans, et M. Vitu avec d'autres historiens, place ici la naissance des classes dangereuses ou si l'on aime mieux, leur formation à l'état de corps organisés. Cette guerre contre les Anglais, qui dura cent-seize années, ruina le pays d'une façon complète et désorganisa la société. Les paysans, pillés sans cesse par la soldatesque, réduits à la plus extrême misère, manquant de pain, manquant d'aide et de protection, se firent voleurs et brigands.

Ils s'adjoignirent les soldats maraudeurs ou déserteurs, les criminels échappés à la justice, les ouvriers paresseux ou sans ouvrage, les charlatans, les ménétriers, les baladins, les jongleurs, les déclassés, les écoliers et les clercs chassés de l'Université et de l'Eglise, toute la clique, en un mot. Des bandes s'organisèrent. Vivant en dehors de la société, continuellement en guerre avec elle, les hommes qui les composaient sentirent vite la nécessité de se donner des lois, une organisation et des chefs, et de posséder un langage à leur seul usage afin de pouvoir s'entretenir entre eux sans être entendus des profanes.

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Parmi les nombreuses corporations, juran

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