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« les rappeler. Pendant trois cent cinq ans, de 1484 à 1789, époque « mémorable où furent posés en principe des droits et des libertés qui «ne doivent pas périr, en dépit des circonstances mauvaises et des << entreprises de certains hommes qui passeront, les états ne furent «< réunis que six fois1. Si, au contraire, leur périodicité eût pu s'établir, <«< la nation serait probablement entrée dans une voie constitutionnelle, «assez semblable à celle où marchait l'Angleterre, et de grands mal«heurs auraient pu lui être épargnés. Mais, au lieu de demander timide«ment cette grande innovation, il eût fallu la décréter au nom de la <<< nation; montrer une grande énergie, une volonté ferme et une unité <«< de vues qui manquèrent aux états de 1484. Le temps du gouverne«ment représentatif n'était pas près de venir pour la France. Le pou<«< voir, une fois délivré de cette assemblée, tint peu de compte de ses << remontrances et des vœux exprimés dans ses cahiers. Le long des«potisme de Louis XI avait assoupli à ce point les caractères, que la « nation, faute d'être unie par le lien d'un intérêt commun, paraissait «< destinée à plier désormais sous une volonté arbitraire, jusqu'à ce « qu'une révolution vînt renverser violemment la vieille monarchie «française, et substituer un ordre nouveau à l'ancien. » (T. I, p. 111.)

J'ai dit le partage de pouvoir qui s'était fait sous la médiation des états. Anne de Beaujeu retenait la garde du roi; le duc d'Orléans avait obtenu la présidence du conseil. Il semble qu'il ait eu la meilleure part; mais il n'en était rien. Anne de Beaujeu dominait au conseil, grâce à la pluralité des membres nommés par son influence; et elle pouvait toujours y supprimer la présidence du duc d'Orléans, en y envoyant le jeune roi présider. Bientôt la rivalité reparut le duc d'Or. léans quitta un rôle qui ne lui promettait plus rien pour en tenter un autre. Anne avait fait sacrer Charles VIII: c'était derrière l'autorité royale revêtue de son plein caractère, qu'elle abritait sa propre autorité. C'est contre l'autorité royale que le duc d'Orléans recommença la lutte. Il se forme une nouvelle ligue du bien public (on l'a nommée d'un nom plus juste la guerre folle). Le duc d'Orléans rallie autour de lui tous les mécontents. Il invoque les ordonnances des états, et, sous le masque de l'intérêt général, il ne poursuit que des satisfactions particulières il y sacrifiera jusqu'aux plus grands intérêts nationaux.

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D'abord c'est une simple ligue de seigneurs; mais elle a pour appui le duc de Bretagne et fonde ses espérances sur l'archiduc d'Autriche

En 1506, à Tours; en 1560, à Orléans; en 1576 puis en 1588, à Blois; en 1593 puis en 1614, à Paris.

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Maximilien. Le prince, avant de commencer la guerre, cherche à entraîner le Parlement, l'Université. Anne fait mieux : elle tente de l'enlever lui-même. Il échappe et veut recourir aux armes, mais rien n'est prêt. Anne le déconcerte par la rapidité de ses mesures. Il est forcé d'accepter un accommodement (1485).

L'affaire est reprise bientôt d'une manière plus sérieuse. Ce n'est plus seulement un mouvement intérieur : le duc a conclu une alliance formelle avec Maximilien et avec Richard III, usurpateur du trône d'Angleterre. Mais Anne suscite Henri VII contre Richard III, comme Louis XI avait opposé Henri VI et Warwick à Édouard IV; et cette fois avec plus de succès. Richard est tué à Bosworth (22 août 1485), et le duc d'Orléans est encore forcé à la soumission avant que Maximilien ait eu le temps de se mettre en campagne (fin de 1485).

Maximilien entre enfin en campagne (1486). Il veut déchirer le traité d'Arras, reconquérir l'Artois. Le duc d'Orléans, qui tant de fois s'est laissé battre avant que ses alliés fussent en état de le secourir, peut se relever cette fois avec plus de sécurité; la guerre est commencée, il n'a qu'à suivre une guerre, il est vrai, qui a pour objet de détacher de la France les meilleures acquisitions de Louis XI! et l'on voit se liguer sous ce drapeau tous les princes : non-seulement Orléans, le premier instigateur de l'entreprise, mais Bretagne, Bourbon et Angoulême, et avec eux Lorraine, Albret et Navarre. Pour débuter, ils essayent d'enlever le roi. Anne ne se laisse pas effrayer par ce concert. Elle commence par envoyer le roi dans le midi; et elle ne s'était pas trompée sur les dispositions de cette contrée: Charles VIII reçoit dans Bordeaux un grand accueil. Puis elle songe à frapper la ligue. La Bretagne en était comme le boulevard et la place d'armes Anne n'y pénètre d'abord que par un chemin détourné en favorisant ceux des Bretons qui voient de mauvais œil le crédit de Louis d'Orléans auprès de leur duc. L'année suivante elle intervient plus directement, en premier lieu, par des voies judiciaires, en assignant le duc de Bretagne ainsi que le duc d'Orléans devant le Parlement; puis, comme ce procédé, loin d'isoler le duc ne faisait que lui ramener tous les Bretons par le sentiment de leur autonomie méconnue, elle recourt à la force; Fougères est emportée, et le duc d'Orléans battu et pris à la journée de Saint-Aubin du Cormier (26 juillet 1488); ce qui amena le duc de Bretagne à se soumettre. (Traité de Sablé, 20 août 1488.)

Ce résultat était considérable, et la mort du duc de Bretagne, qui suivit de près (2 septembre), offrait des perspectives plus vastes encore. La France victorieuse n'avait devant elle que deux jeunes filles dont

le droit héréditaire avait même été naguère mis en doute par un parti, au profit du roi1. Pour le moment, Charles VIII ne réclama que la garde noble des deux princesses; défense était faite à l'aînée de prendre le titre de duchesse avant le règlement de la contestation. Mais, comme la Bretagne se révoltait devant cette nouvelle atteinte à son indépendance, il eut encore recours à la force et envahit le pays. Cette invasion amena des complications nouvelles. Les progrès de la France alarment l'Angleterre et l'Espagne : elles se liguent; mais ce qui fait le nœud de cette ligue va devenir la cause d'un différend entre les deux alliés. La vraie manière de soustraire la Bretagne à la France, c'était de marier la duchesse, et les prétendants ne manquaient pas. Il y avait le duc d'Albret, il y avait Maximilien et beaucoup d'autres: Albret soutenu par les Anglais, Maximilien par les Castillans. Anglais et Castillans viennent en Bretagne pour appuyer leurs candidats, et s'y trouvent si bien qu'ils paraissent oublier leur rôle. Le plus court moyen d'y mettre un terme, c'était d'en finir avec les prétendants: entre le vieux Albret et Maximilien, le choix d'Anne ne pouvait pas être douteux; elle choisit le plus jeune, le plus puissant aussi, le plus capable de la protéger; mais celui dont le choix était le plus funeste à la France. Le prince, qui par un premier mariage occupait les Pays-Bas, allait s'établir en Bretagne et menacer la France tout à la fois par le nord et par l'ouest; et la chose n'était plus seulement en projet le mariage fut célébré par procuration (1489). Le mal était sans remède, si Maximilien, occupé alors contre Ladislas, roi de Bohême, eût été plus fidèle à la maxime de sa maison :

Bella gerant alii; tu, felix Austria, nube.

Laisse aux autres la guerre; épouse, heureuse Autriche!

Il se contenta cette fois de la procuration : au lieu d'épouser, il fit la guerre. Mais, tandis qu'il guerroie en Hongrie, et que les Castillans assiégent Grenade, la main qu'Albret voulait avoir, que Maximilien croyait tenir, leur échappe en même temps. Le duc d'Orléans, tiré de prison par Charles VIII (1491), se rapprochait d'Anne de Beaujeu et prêtait son concours à la vraie et patriotique conclusion de l'affaire de Bretagne; et ce fut Dunois même, naguère l'agent de toutes les intrigues ourdies en Bretagne contre la France, qui fut employé à ménager

l'accord.

'Traité de Montargis, 22 octobre 1484. (Voyez t. I, p. 126, 127.)

On convint de remettre à une commission de vingt-quatre membres, douze nommés de chaque côté, le différend de la Bretagne et de la France. Le pays devait être évacué par les étrangers et remis provisoirement aux ducs d'Orléans et de Bourbon. Dans le cas où les prétentions d'Anne au duché seraient rejetées, elle avait permission de se retirer auprès de Maximilien : c'était, il est vrai, une question de savoir si Maximilien serait bien satisfait de recevoir la femme sans le duché. Les princes d'Autriche ne se mariaient pas sans dot; sans dot convenait mal à la maxime que nous avons vue. Mais, au fond, cette stipulation n'était pas sérieuse et n'avait pour objet que de donner le change aux étrangers. Anne n'avait nulle envie de chercher un refuge auprès de Maximilien. On était sûr déjà que les vingt-quatre commissaires seraient d'accord et les deux parties satisfaites. La base parfaitement entendue de la transaction, c'était le mariage de la duchesse de Bretagne avec le roi de France, chose grave et délicate: car Charles VIII, depuis le traité d'Arras, était fiancé à Marguerite, fille de Maximilien, comme Anne l'était à Maximilien; et la jeune Marguerite était, depuis le traité d'Arras, élevée à la cour de France, traitée comme la future épouse du roi on ne l'appelait plus que la petite reine. Et puis, en la renvoyant, n'était-on pas tenu de rendre l'Artois et la Franche-Comté qu'elle avait apportés en dot? Mais la Bretagne avait un rôle si considérable dans notre histoire, que la réunir semblait être l'intérêt dominant. La Bretagne était une partie essentielle de la France : les autres provinces, des parties étrangères dont l'occupation touchait moins la constitution nationale du royaume que son accroissement. On n'hésita donc pas; et Anne de Beaujeu, en sacrifiant, en cette circonstance, les dernières acquisitions de Louis XI, crut demeurer plus sûrement fidèle à son esprit.

Le 15 novembre 1491, Charles VIII vint à Rennes et visita la jeune duchesse; trois jours après se faisaient les fiançailles, et le mois suivant, 16 décembre, le mariage à Langeais. Les stipulations du contrat (13 décembre) donnaient à cette alliance son véritable caractère. Le duché devait appartenir au dernier vivant; et, si c'était la duchesse qui survivait, elle ne pouvait se remarier qu'à l'héritier du trône : ainsi les personnes étaient comme mises à l'écart ou rejetées au second plan; le trait dominant de ce mariage, c'était moins l'union de la duchesse au roi de la duché au royaume1. que

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Plusieurs historiens qui ont rapporté cet acte, dit M. de Cherrier, et Léonard lui-même, dans son grand Recueil des traités de paix, y ont ajouté l'article suivant.

Quand ce mariage s'accomplit, Charles VIII venait de s'émanciper; mais Anne de Beaujeu avait si bien su lui relâcher peu à peu les rênes, que cette émancipation n'avait pas été une rupture: la voix de la sœur était toujours entendue, son influence encore acceptée; de telle sorte que cet acte, qui marque le commencement du règne personnel du prince, peut être regardé comme le couronnement de l'administration de sa sœur. Une pareille chose ne pouvait point se passer sans contestation. Maximilien avait reçu un double affront; on lui avait du même coup repris sa femme et renvoyé sa fille; et le moins qu'il pût réclamer, c'était la dot. Cela pourtant aurait bien pu faire quelque difficulté. Le traité d'Arras n'avait pas seulement été violé par Charles VIII, il l'avait été, avant Charles VIII, par Maximilien; et sur l'Artois, sinon sur la Franche-Comté, terre d'Empire, la France pouvait, à l'extinction de la race mâle de Bourgogne, élever des prétentions plus ou moins discutables. Louis XI, s'il avait fait le mariage breton, n'aurait pas défait le mariage flamand, sans tenter quelque arrangement qui eût pu retenir les deux provinces, ou l'une au moins, à la France'. Mais ici Louis XI n'eût plus même sa fille pour le continuer. Charles VIII avait en vue d'autres acquisitions: il songeait à l'Italie; et c'est dès ce moment qu'on peut établir une ligne de démarcation tranchée dans son règne. C'est ici que nous plaçons la véritable fin de la première partie du livre de M. de Cherrier.

Cette analyse a eu pour objet de signaler l'intérêt qui s'attache à cette période; et M. de Cherrier l'a traitée avec tout le soin qu'elle mérite. Il a même voulu, pour la faire mieux juger, reprendre les choses de beaucoup plus haut il commence à la délivrance du royaume et aux réformes opérées par Charles VII, et présente en raccourci le règne de Louis XI. Mais, quoique tout cela ne tienne que la moitié du premier volume, c'est-à-dire le quart de l'ouvrage pour les trois quarts du règne,

qu'ils ont pris sur une copie certifiée par Lelong, maître des requêtes, laquelle est déposée au trésor des chartes:

Au cas qu'il y aurait des enfants procréés desdits seigneur et dame, et ladite «dame survivrait ledit seigneur, icelle dame jouira et possédera entièrement lesdits pays et duché de Bretagne, comme à elle appartenant. »

Le fait est que les deux expéditions authentiques, revêtues du sceau et de la signature des deux notaires, ne contiennent point cet article. (T. 1, p. 45.) ·

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Louis XI avait inséré dans le traité d'Arras cette clause: «< Sauf que, s'il aveenoit que lesdits comtés échussent en d'autres mains que mon dit sieur le Dauphin, le roy pourroit les retenir jusqu'à ce qu'il soit appointé aux droits prétendus par le roy es villes et châtellenies de Lille, Douay et Orchies.» (Dumont, Corps diplomatique, t. III, part. 11, p. 107.)

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