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fortunes de ce pays', si Bossuet parut s'appliquer surtout, dans ce discours, à persuader à son auditoire la patience dans les privations, la résignation dans les maux, ces pensées, en un temps si fâcheux, n'étaient-elles pas opportunes autant que chrétiennes? Quelques particularités le feront, du reste, mieux sentir encore.

L'horrible martyre de saint Gorgon, sous Dioclétien, les raffinements de barbarie qui rendirent son supplice si atroce, c'est ce que Bossuet tout d'abord a dû peindre; après quoi l'admirable patience, la sérénité inaltérable du saint parmi les tortures, conduisant l'orateur à parler de la résignation que doivent montrer les chrétiens au milieu de maux bien légers sans doute au prix des indicibles douleurs subies en patience par le saint dont il a entrepris le panégyrique, « Quand nous sommes affligés (dit-il), prenant nos afflictions de la main de Dieu, avec humilité, ne nous montrons-nous pas les témoins de la Providence et ses martyrs? » Et la détresse de Metz, ses infortunes, ses périls se venant offrir, ici, à sa pensée,« Nous vivons (continue-t-il ) dans un temps et dans une ville où nous avons sujet de mériter cet honneur. Il y a près de vingt ans qu'elle porte presque tout le fardeau de la guerre. Sa situation trop importante semble ne lui avoir servi que pour l'exposer en proie à tous ceux qui l'avoisinent. Diripuerunt eam omnes transeuntes per viam 2. » C'était peindre au vrai les insultes, les rançons, les scènes de meurtre, de pillage dont le pays messin, depuis si longtemps, n'avait cessé de souffrir. Dans les annales de Metz s'offriront en foule, à qui voudra les interroger, les récits détaillés de ces calamités, irrécusables preuves de ce que l'orateur vient de

■ Voyez une des notes ci-après

* Psalm. LXXXVIIE, 42.

Disette

dire. « Mai, (continue-t-il), comme si ce n'était pas asscz de tant de misères, Dieu, cette année, ayant trompé l'espérance de nos moissons, a frappé la terre de stérilité........ La terre, par son commandement, nous refuse le fruit de nos travaux.. Ah! MM. humilions-nous sous sa puissante main, de peur qu'après avoir tout perdu nous ne perdions encore le fruit de l'affliction que nos calamités nous causent..! Nous voyons assez de personnes qui plaignent les malheurs du temps! Mais qui sont ceux qui travaillent sérieusement à faire cesser la vraie cause de tous ces maux? Le ciel ne nous a fait encore que les premières menaces; et déjà le pauvre tâche d'amasser de quoi vivre par des tromperies, se défiant de la Providence, pendant que le riche prépare ses greniers pour engloutir la nourriture du pauvre, qu'il lui fera acheter bien cher en son extrême indigence. Les plus sages pensent à pourvoir à la nécessité du pays.... S'il est vrai que Dieu soit irrité contre nous, comme il nous le fait paraitre par les fléaux qu'il nous envoie, pensons-nous pouvoir arrêter le torrent de sa colère par de vaines précautions'? » Une disette! circonstance notable, qui devra fixer décisivement à l'année 1658 ce discours de l'archidiacre de Metz. Dans Metz avaient eu lieu, dès juin, des processions solennelles « pour apaiser l'ire de Dieu, et obtenir la cessation de l'intempérie de l'air et de la malignité du temps 2. » La récolte, cette année-là, fut déplorable, si même elle ne fut pas nulle tout à fait. Les blés alors, presque partout, manquèrent; et, au lieu que les prix, en 1656 et 1657, années de grande abondance, avaient été modérés et doux, leur excès

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Bossuet, panégyrique de saint Gorgon, t. XVI, 376.

* Regest capituli ecclesiæ metensis, jun. 1658.

frappe, en 1658, après une récolte si malheureuse, et en 1659 encore, jusqu'au temps des moissons '.

L'attente de la paix, attente ancienne déjà, mais frustrée toujours, était chose trop présente à tous les esprits, et dont Bossuet se préoccupait trop vivement lui-même pour qu'il pût n'en parler pas dans ce discours; le plein pouvoir autographe, donné, le 1er juin 1656, au marquis de Lionne, envoyé dès lors en Espagne, n'ayant eu, jusqu'ici, aucunes suites encore 2. « Cette paix, que nous attendons, il y a si longtemps (s'écria l'orateur), il semble, à tout moment, que Dieu nous la veuille donner; et si elle a été retardée, n'attribuons ce délai à aucune raison humaine; cette paix, qu'il nous prépare, semble être prête à descendre vers nous; on dirait qu'il dispose

En 1658, le blé fut vendu 16 liv. 9 sous l'hectolitre; en 1659, il coûta 19 liv. 4 sous. En 1657, il n'avait coûté que 12 liv. 9 sous. (Dictionnaire du commerce et des marchandises; Paris Guillaumin, 1841, in-8o, t. I, p. 1063. Du Pré de Saint-Maur, Essai sur les monnaies, ou Réflexions sur le rapport entre l'argent et les denrées ; 1746, in-4o, p. 172. Metz eut beaucoup à souffrir de cette disette et aussi de la guerre. Le 15 juin 1658, avait eu lieu, dans cette ville, par commandement du chapitre, une procession solennelle, pour apaiser l'ire de Dieu, et obtenir la cessation de l'intempérie de l'air et de la malignité du temps. (Registres du chapitre de la cathédrale de Metz, 15 juin 1658.) Le 11 décembre suivant, comme le chapitre allait procéder à l'élection d'un évêque, le grand doyen d'Haraucourt, dans une allocution aux chanoines électeurs, leur dit : Eligendus est qui, in miserrimis hisce temporibus, quibus continuis bellorum injuriis vexamur et fatigamur, nos in aliquo sublevare, et bona Ecclesiæ restaurare possit. » (Regest. capituli ecclesiæ metensis, 11 decembris 1658.) L'année 1656 fut une année d'abondance pour toute la France. ( Lettres de Gui Patin, août 1656. ) Le pays messin fut favorisé entre les autres. En cette année 1656, on eut [dans le pays messin ] une grande abondance de blé et de vin, » (Chronique mss. du ministre Ancillon.) (Bibliothèque de la ville de Metz.) Bossuet ne put donc en 1656, le g septembre, prononcer à Metz ce panégyrique de saint Gergon, où il gémit sur la disette.

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› Histoire du cardinal Mazarin, par Aubery; 1751, in-12, t. IV, 257.

toutes choses à son établissement; arrachons-la-lui par la ferveur de nos prières. » L'année 1658 sera ici encore aisée à reconnaître. Ces paroles, en effet, auraient-elles pu convenir à l'année précédente, où furent fréquents, plus que jamais, les combats entre l'Espagne et la France? Bossuet, d'une autre part, n'aura garde de parler ainsi le 9 septembre 1659, après que deux trêves auront été signées, l'une en mai, de deux mois; l'autre en juin, illimitée, doux gages d'une paix qui allait être bientôt conclue. En 1659, d'ailleurs, en septembre, Bossuet était à Paris; au lieu qu'en l'année 1658 (qu'il passa tout entière à Metz) on en était, au mois de septembre (surtout après la bataille des Dunes (4 juin), la réduction de Dunkerque, les prises de Bergues, Saint-Vinox, de Furnes, de Dixmude, d'Oudenarde, de Menin, d’Ypres, de Gravelines), on en était, disons-nous, en ce qui regarde la paix, à une attente inquiète, et très-perplexe encore, qui, au mois de décembre seulement, se changea en espérance, par la soudaine arrivée d'Antonio Pimentel, venu alors à Lyon, en grand secret, pour offrir tout ensemble l'infante et la paix 2.

Bossuet donc, en septembre 1658, en peine toujours

1 De Flassan, Histoire générale et raisonnée de la diplomatie française ; 1809, in-8°, t. III, 222. - Gazette de France, 17 mai, 5 juillet 1659 et jours suivants. Le 15 mai 1659, fut publiée, dans Metz, à tous les carrefours, la lettre du roi annonçant un armistice entre la France et l'’Espagne. (Chronique mss, d'Ancillon, ministre de l'église prot. de Metz, ) Recueil des édits enregistrés au parlement de Metz [publié par Emmery], in-4o, t. III, 39.

2 Antonio Pimentel arriva à Lyon, secrètement, le 28 novembre 1658. (Mémoires de madame de Motteville, collection Petitot, 2o série, t. XXXIX, 444 et suiv. — Mémoires de Montglat, même collection, même série, t. LI, 73. Gui Patin, lettre du 24 décembre 1658. chives curieuses de l'Histoire de France, 2o série, t. VIII, 241. Flassan, Histoire de la diplomatie, t. III, 222.

Ar-
De

sur ce point, ne pouvait que déplorer les maux, et en appeler, à grands cris, le remède; demandant qu'on le méritât par d'abondants secours à tant de gens que la disette avait laissés sans ressource. «< Ayons (disait-il ), ayons compassion de nos pauvres frères, que la misère du temps réduira, peut-être, à d'étranges extrémités. Ainsi puissions-nous recevoir abondamment les faveurs du ciel, et mériter que Dieu rende le premier lustre à cette ville, autrefois si florissante, qu'il rétablisse les campagnes désolées. Qu'il fasse revivre, partout, aux environs, le repos et la douceur d'une paix bien affermie. »> Touché des souffrances de Metz, il plaint cette ville, qui, depuis près de vingt ans, porte presque tout le fardeau de la guerre '. »

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Ce jour-là même, peu d'instants avant que Bossuet montât dans la chaire, était survenu dans l'église de SaintGorgon un grand personnage venu là tout exprès pour entendre le renommé prédicateur. Nos raisons, si décisives, pour fixer à l'année 1658 le discours dont il s'agit, suffiraient, elles seules, pour empêcher de croire, avec les éditeurs des œuvres de Bossuet et avec d'autres écrivains qui les ont suivis 2, que ce fut Charles de Schonberg; puisque ce maréchal était descendu, depuis plus de deux ans, dans la tombe3. Que d'ailleurs, dans le compliment adressé par Bossuet, dès son exorde, à l'illustre survenant, il n'y ait rien qui se puisse rapporter à ce maréchal, ou même à tout autre homme de guerre, les lecteurs en vont pouvoir juger tout à l'heure. L'orateur, après avoir exposé sommairement son sujet, voudra, avant

Bossuet, Panégyrique de saint Gorgon, t. XVI, 376.

2 Études sur les sermons de Bossuet, par l'abbé Vaillant; 1851, in-8°.

3 Schonberg était mort le 5 juin 1656. (Gazette de France.)

A qui s'aallocution

dresse

du Panégy

riste.

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