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SCÈNE VII.

M. JOURDAIN.

Ils n'ont rien que les grands seigneurs à me reprocher; et moi, je ne vois rien de si beau que de hanter les grands seigneurs; il n'y a qu'honneur et civilité avec eux; et je voudrais qu'il m'en eût coûté deux doigts de la main, et être né comte ou marquis.

ACTE IV.

SCÈNE PREMIÈRE.

M. JOURDAIN; COVIELLE, déguisé.

Cov. Monsieur, je ne sais pas si j'ai l'honneur d'être connu de vous.

M. Jour. Non, monsieur.

Cov. (étendant la main à un pied de terre.) Je vous ai vu que vous n'étiez pas plus grand que cela.

M. Jour. Moi ?

Cov. Oui. Vous étiez le plus bel enfant du monde, et toutes les dames vous prenaient dans leurs bras pour vous baiser.

M. Jour. Pour me baiser ?

Cov. Oui. J'étais grand ami de feu monsieur votre père.
M. Jour. De feu monsieur mon père ?

Cov. Oui. C'était un fort honnête gentilhomme.

M. Jour. Comment dites-vous ?

Cov. Je dis que c'était un fort honnête gentilhomme.
M. Jour. Mon père ?

Cov. Oui.

M. Jour. Vous l'avez fort connu ?

Cov. Assurément.

M. Jour. Et vous l'avez connu pour gentilhomme ?
Cov. Sans doute.

M. Jour. Je ne sais donc pas comment le monde est fait
Cov. Comment ?

M. Jour. Il y a de sottes gens qui me veulent dire qu'il ■ été marchand.

Cov. Lui, marchand? c'est pure médisance, il ne l'a jamais été. Tout ce qu'il faisait, c'est qu'il était fort obligeant, fort officieux ; et comme il se connaissait fort bien en

étoffes, il en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui, et en donnait à ses amis pour de l'argent.

M. Jour. Je suis ravi de vous connaître, afin que vous rendiez ce témoignage-là que mon père était gentilhomme. Cov. Je le soutiendrai devant tout le monde.

M. Jour. Vous m'obligerez. Quel sujet vous amène ? Cov. Depuis avoir connu feu monsieur votre père, honnête gentilhomme, comme je vous ai dit, j'ai voyagé par tout le monde.

M. Jour. Par tout le monde ?

Cov. Oui. Je ne suis revenu de tous mes longs voyages que depuis quatre jours; et, par l'intérêt que je prends à tout ce qui vous touche, je viens vous annoncer la meilleure nouvelle du monde.

M. Jour. Quelle ?

Cov. Vous savez que le fils du grand Turc est ici ?

M. Jour. Moi? non.

Cov. Comment! il a un train tout-à-fait magnifique; tout le monde le va voir, et il a été reçu en ce pays comme un seigneur d'importance.

M. Jour. Par ma foi, je ne savais pas cela.

Cov. Ce qu'il y a d'avantageux pour vous, c'est qu'il est amoureux de votre fille.

M. Jour. Le fils du grand Turc ?

Cov. Oui; et il veut être votre gendre.

M. Jour. Mon gendre, le fils du grand Ture?

Cov. Le fils du grand Turc votre gendre. Comme je le fus voir, et que j'entends parfaitement sa langue, il s'entretint avec moi; et après quelques autres discours, il me dit: N'as-tu point vu une jeune belle personne, qui est la fille de M. Jourdain, gentilhomme parisien?

M. Jour. Le fils du grand Ture dit cela de moi ?

Cov. Oui. Comme je lui eus répondu que je vous connaissais particulièrement, et que j'avais vu votre fille : Ah! me dit-il, Ah! que je suis amoureux d'elle!

M. Jour. Vous faites bien de me dire cela.

Cov. Enfin, pour achever mon ambassade, il vient vous demander votre fille en mariage; et pour avoir un beau-pèro qui soit digne de lui, il veut vous faire mamariouchi, ce qui est une certaine grande dignité de son pays.

M. Jour. Mamamouchi ?

Cov. Oui, mamamouchi: c'est-à-dire, en notre langue, paladin. Paladin, ce sont de ces anciens...Paladin enfin

Il n'y a rien de plus noble que cela dans le monde; et vous irez de pair avec les plus grands seigneurs de la terre.

M. Jour. Le fils du grand Turc m'honore beaucoup; et je vous prie de me mener chez lui pour lui en faire mes remercîments.

Cov. Comment! le voilà qui va venir ici.

M. Jour. Il va venir ici ?

Cov. Oui; et il amène toutes choses pour la cérémonie de votre dignité.

M. Jour. Voilà qui est bien prompt.

Cov. Son amour ne peut souffrir aucun retardement.

M. Jour. Tout ce qui m'embarrasse ici, c'est que ma fille est une opiniâtre, qui s'est allée mettre dans la tête un certain Cléonte; et elle jure de n'épouser personne que celui-là.

Cov. Elle changera de sentiment, quand elle verra le fils du grand Turc; et puis il se rencontre ici une aventure merveilleuse, c'est que le fils du grand Turc ressemble à ce Cléonte, à peu de chose près. Je viens de le voir, on me l'a montré; et l'amour qu'elle a pour l'un pourra passer aisément à l'autre, et. . .Je l'entends venir; le voilà.

SCÈNE II.

CLÉONTE, habillé en Turc; LUCILE, M. JOURDAIN, DORANTE, COVIELLE.

M. Jour. Venez, ma fille, approchez-vous, et venez donner la main à monsieur, qui vous fait l'honneur de vous demander en mariage.

Luc. Comment, mon père ! comme vous voilà fait! Estce une comédie que vous jouez ?

M. Jour. Non, non, ce n'est pas une comédie; c'est une affaire fort sérieuse, et la plus pleine d'honneur pour vous qui se puisse souhaiter. (montrant Cléonte.) Voilà le mari que je vous donne.

Luc. A moi, mon père ?

M. Jour. Oui, à vous. Allons, touchez-lui dans la main, et rendez grâce au ciel de votre bonheur.

Luc. Je ne veux point me marier.

M. Jour. Je le veux, moi, qui suis votre père.

Luc. Je n'en ferai rien.

M. Jour. Ah! que de bruit! Allons, vous dis-je; ça, votre main.

Luc. Non, mon père, je vous l'ai dit: il n'est point de pouvoir qui me puisse obliger à prendre un autre mari que Cléonte; et je me résoudrai plutôt à toutes les extrémités que de...(reconnaissant Cléonte.) Il est vrai que vous êtes mon père, je vous dois entière obéissance; et c'est à vous à disposer de moi selon vos volontés.

M. Jour. Ah! je suis ravi de vous voir si promptement revenue dans votre devoir; et voilà qui me plaît d'avoir une ille obéissante

SCÈNE III.

MADAME JOURDAIN, CLÉONTE, M. JOURDAIN, LUCILE,
DORANTE, COVielle.

Mad. Jour. Comment donc ! qu'est-ce que c'est que ceci ? On dit que vous voulez donner votre fille en mariage à un Turc.

M. Jour. Voulez-vous vous taire, impertinente? Vous venez toujours mêler vos extravagances à toutes choses, et il n'y a pas moyen de vous apprendre à être raisonnable.

Mad. Jour. C'est vous qu'il n'y a pas moyen de rendre sage, et vous allez de folie en folie. Quel est votre dessein? et que voulez-vous faire avec cet assemblage ?

M. Jour. Je veux marier notre fille avec le fils du grand Turc.

Mad. Jour. Avec le fils du grand Turc?

M. Jour. Oui. (montrant Covielle.) Faites-lui faire vos compliments par le truchement que voilà.

Mad. Jour. Je n'ai que faire du truchement; et je lui dirai bien moi-même, à son nez, qu'il n'aura point ma fille. M. Jour. Voulez-vous vous taire, encore une fois ?

Dor. Comment! madame Jourdain, vous vous opposez à un bonheur comme celui-là? Vous refusez son altesse turque pour gendre?

Mad. Jour. Monsieur, mêlez-vous de vos affaires.

Dor. C'est l'amitié que j'ai pour vous qui me fait intéresser dans vos avantages.

père.

Mad. Jour. Je me passerai bien de votre amitié.

Dor. Voilà votre fille qui consent aux volontés de son

Mad. Jour. Ma fille consent à épouser un Turc?

Dor. Sans doute.

Mad. Jour. Elle peut oublier Cléonte ?

Dor. Que ne fait-on pas pour être grande dame ?

Mad. Jour. Je l'étranglerais de mes mains, si elle avait fait un coup comme celui-lå.

M. Jour. Voilà bien du caquet. Je vous dis que ce mariage-là se fera.

Mad. Jour. Je vous dis, moi, qu'il ne se fera point.
M. Jour. Ah! que de bruit!

Luc. Ma mère...

Mad. Jour. Allez, vous êtes une coquine.

M. Jour. (à madame Jourdain.) Quoi! vous la querellez de ce qu'elle m'obéit ?

Mad. Jour. Oui. Elle est à moi aussi bien qu'à vous.
Cov. (à madame Jourdain.) Madame...

Mad. Jour. Que me voulez-vous conter, vous ?

Cov. Un mot.

Mad. Jour. Je n'ai que faire de votre mot.

Cov. (à M. Jourdain.) Monsieur, si elle veut écouter une parole en particulier, je vous promets de la faire consentir à ce que vous voulez.

Mad. Jour. Je n'y consentirai point.

Cov. Écoutez-moi, seulement.

Mad. Jour. Non.

M. Jour. (à madame Jourdain.) Écoutez-le.
Mad. Jour. Non, je ne veux pas l'écouter.

M. Jour. Il vous dira...

Mad. Jour. Je ne veux point qu'il me dise rien.

M. Jour. Voilà une grande obstination de femme! Cela vous ferait-il mal de l'entendre ?

Cov. Ne faites que m'écouter, vous ferez après ce qu'il vous plaira.

Mad. Jour. Hé bien, quoi ?

Cov. (bas, à madame Jourdain.) Il y a une heure, madame, que nous vous faisons signe. Ne voyez-vous pas bien que tout ceci n'est fait que pour nous ajuster aux visions de votre mari, que nous l'abusons sous ce déguisement, et que 'est Cléonte lui-même qui est le fils du grand Turc?

Mad. Jour. (bas, à Covielle.) Ah! ah!

Cov. (bas, à madame Jourdain.) Et moi, Covielle, qui suis le truchement ?

Mad. Jour. (bas, à Covielle.) Ah! comme cela, je mo rends.

Cov. (bas, à madame Jourdain.) Ne faites pas semblant de rien.*

* Do not appear to know anything about it

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