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divisée, agitée ou non agitée, elle n'en eft n moins matiere, ni moins corporelle, ni plus capable de penfer; étant impoffible de s'imaginer, qu'il y ait aucun rapport du mouvement ou de la figure de la matiere fubtile ou groffiere, avec la penfée, & qu'une matiere qui ne penfoit pas lorfqu'elle étoit en repos comme la terre, ou dans un mouvement moderé comme l'eau, puiffe parvenir à fe connoître foi-même, fi on vient à la remuer davantage, & à lui donner trois ou quatre bouillons de plus.

On pourroit étendre cela beaucoup davantage; mais c'eft affez pour faire entendre toutes les autres idées confufes, qui ont prefque toutes quelques caufes femblables à ce que de dire.

noùs venons

L'unique remede à cet inconvenient, eft de nous défaire des préjugés de notre enfance, & de ne croire rien de ce qui eft du reffort de notre raifon, par ce que nous en avons jugé autrefois; mais par ce que nous en jugeons maintenant. Et ainfi nous nous reduirons à nos idées naturelles, & pour les confuses, nous n'en retiendrons que ce qu'elles ont de clair, comme qu'il y a quelque chofe dans le feu qui eft caufe que je fens de la chaleur, que toutes les chofes qu'on appelle pefantes font pouffées en bas par quelque caufe; ne déterminant rien de ce qui peut être dans le feu qui me caufe ce fentiment, ou de la cause qui fait tomber une pierre en bas, que je n'aye des raifons claires qui m'en donnent la connoiffance.

CHAPITRE X.

Quelques exemples de ces i lées confuses & obscu res, tirées de la Morale.

Na rapporté dans le chapitre précedent divers exemples de ces idées confules, que l'on peut auffi appeller fauffes, pour la raifon que nous avons dite; mais parcequ'ils font tous pris de la Phyfique, il ne fera pas inutile d'y en joindre quelques autres tirées de la Morale, les fauffes idées que l'on fe forme à l'égard des biens & des maux étant infiniment plus dangereufes.

Qu'un homme ait une idée fauffe ou veritable, claire ou obfcure, de la pefanteur, des qualités fenfibles & des actions des fens, il n'en eft ni plus heureux, ni plus malheureux; s'il en eft un peu plus ou moins favant, il n'en eft ni plus hommede-bien, ni plus méchant. Quelque opinion que nous ayons de toutes ces chofes, elles ne changeront pas pour nous: Leur être eft indépendant de notre fcience, & la conduite de notre vie eft indépendante de la connoiffance de leur être : Ainfi il eft permis à tout le monde de s'en remetce que nous en connoîtrons dans l'autre vie & de fe repofer generalement de l'ordre du monde fur la bonté & fur la fageffe de celui qui le gouverne.

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Mais perfonne ne fe peut difpenfer de former des jugemens fur les chofes bonnes & mauvaifes, puifque c'eft par ces jugemens qu'on doit conduire fa vie, regler fes actions, & fe rendre heureux ou malheureux éternellement ; & comme les fauffes idées que l'on a de toutes ces chofes

font les fources des mauvais jugemens que l'on en fait, il feroit infiniment plus important de s'appliquer à les connoître & à les coriger que non pas à reformer celles que la précipitation. de nos jugemens, ou les préjugés de notre

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eufance nous font concevoir des chofes de la nature, qui ne font l'objet que d'une fpeculation

fterile.

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Pour les découvrir toutes il faudroit faire une morale toute entiere; mais on n'a deffein ici que de propofer quelques exemples de la maniere dont on les forme en alliant enfemble diverses idées qui ne font pas jointes dans la verité, dont on compofe ici de vains fantômes après lefquels les hommes courent, & dont ils fe repaiffent miferablement toute leur vie.

L'homme trouve en foi l'idée du bonheur& du malheur, & cette idée n'eft point fauffe ni confufe, tant qu'elle demeure generale: il a auffi des idées de petiteffe, de grandeur, de baffeffe, d'excellence; il defire le bonheur, il fuitle malheur, il admire l'excellence, il méprise la baffeffe.

Mais la corruption du peché, qui le fépare de Dieu, en qui feulit pouvoit trouver fon veritable bonheur, & à qui feul par confequent il en devoit attacher l'idée, la lui fait joindre à une infinité de chofes dans l'amour defquelles il s'eft précipité pour y chercher la felicité qu'il avoit perdue; & c'eft par là qu'il s'eft formé une in-. finité d'idées fauffes & obfcures, en fe représentanttous les objets de fon amour, comme étant capables de le rendre heureux, & ceux qui l'en privent, comme le rendant miferable. Il a de même perdu par le peché la veritable grandeur & la veritable excellence, & ainfi il est contraint pour s'ai-

mer, de fe repréfenter à foi-même autre qu'il n'est en effet; de fe cacher fes miferes & fa pauvreté, & d'enfermer dans fon idée un grand nombre de chofes qui en font entierement feparées, afin de la groffir & de l'agrandir : & voici la fuite ordinaire de ces fauffes idées.

La premiere & la principale pente de la con cupifcence eft vers le plaifir des fens qui naît de certains objets exterieurs; & comme l'ame s'apperçoit que ce plaifir qu'elle aime lui vient de ces chofes, elle y joint incontinent l'idée de bien & celles de mal à ce qui l'en prive: Enfuite voyant que les richeffes & la puiffance humaine font les moyens ordinaires de fe rendre maître de ces objets de la concupifcence, elle commence à les regarder comme de grands biens, & par confe quent elle juge heureux les richeffes & les grands qui les poffedent, & malheureux les pauvres qui font privés.

Or comme il y a une certaine excellence dans le bonheur, elle ne fépare jamais ces deux idées, & elle regarde toûjours comme grands tous ceux qu'elle confidere comme heureux, & comme petits ceux qu'elle eftime pauvres & malheureux. Et c'est la raison du mépris que l'on fait des pauvres; & de l'eftime que l'on fait des riches. Ces jugemens font fi injuftes & faux, que faint Thomas croit que c'eft ce regard d'eftime & d'admiration pour les riches, qui eft condamné fi féverement par l'Apôtre faint Jacque, lorfqu'il défend * de donner un fiege plus élevé aux riches qu'aux pauvres dans les affemblées Ecclefiaftiques: Car ce paffage ne pouvant s'entendreà la lettre d'une défenfe de rendre certains devoirs exterieurs plutôt aux riches qu'aux pauvres ; puifque l'ordre du monde, que la religion ne trouble Chapitre 2. verses 34

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point fouffre ces préferences, & que les Saints mêmes les ont pratiquées, il femble qu'on le doive entendre de cette préference interieure, qui fait regarder les pauvres comme fous les pieds des rïches, & les riches comme étant infiniment éle vés au deffus des pauvres.

Mais quoique ces idées & les jugemens qui en naiffent foient faux & déraisonnables, ils font neanmoins communs à tous les hommes, qui ne les ont pas corrigés, parcequ'ils font produits par la concupifcence dont ils font tous infectés: Et il arrive de-là, que l'on ne forme pas feulement ces idées des riches, mais que l'on fait que les autres ont pour eux les mêmes mouvemens d'eftime & d'admiration: de forte que l'on confidere leur état non feulement environné de toute la pompe & de toutes les commodités qui y font jointes; mais auffi de tous ces jugemens avantageux que l'on forme des riches, & que noît par les difcours ordinaires des hommes & par la propre experience. fa

l'on con

C'eft proprement ce fantôme composé de tous les admirateurs des riches & des grands que l'on conçoit environner leur trône, & les regarder avec des fentimens interieurs de crainte, de refpect & d'abaiffement, qui fait l'idole des ambitieux pour lequel ils travaillent toute leur vie, & s'expofent à tant de dangers.

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Et pour montrer que c'eft ce qu'ils recherchent & qu'ils adorent, il ne faut que confide rer; que s'il n'y avoit au monde qu'un homme qui pensât, & que tout le refte de ceux qui auroient la figure humaine ne fuffent que des ftatues automates, & que de plus, ce feul homme raisonnable fachant parfaitement que toutes ces ftatues qui lui reffembleroient exterieure ment, feroient entierement privées de raison &

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