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et il assure qu'il y en a, et même quelque vertu à bien user de ces jeux, ce qui n'est point révoqué en doute et dans cet article il n'y a pas un seul mot de la comédie : mais il y parle en général des jeux nécessaires à la récréation de l'esprit, qu'il rapporte à une vertu qu'Aristote a nommée eutrapelia (1), par un terme qu'il nous faudra bientôt expliquer.

Au troisième article, la question qu'il examine est à savoir s'il peut y avoir de l'excès dans les divertissemens et dans les jeux : et il démontre qu'il peut y en avoir, sans dire encore un seul mot de la comédie au corps de l'article, en sorte qu'il n'y a là aucun embarras.

Ce qui fait la difficulté, c'est que saint Thomas, dans ce même article, se fait une objection, qui est la troisième en ordre, où, pour montrer qu'il ne peut y avoir d'excès dans les jeux, il propose l'art des baladins, histrionum, histrions, comme le traduisent quelques-uns de nos auteurs, qui ne trouvent point dans notre langue de terme assez propre pour exprimer ce mot latin; n'étant pas même certain qu'il faille entendre par-là des comédiens. Quoi qu'il en soit, saint Thomas s'objecte à lui-même, que dans cet art, quel qu'il soit et de quelque façon qu'on le tourne, on est dans l'excès du jeu, c'est-à-dire, du divertissement, puisqu'on y passe la vie, et néanmoins la profession n'en est pas blâmable. A quoi il répond, qu'en effet elle n'est pas blamable pourvu qu'elle garde les règles qu'il lui prescrit, (1) De Mor. lib. xv, cap. xiv.

XXIII.

Première et

qui sont de ne rien dire et ne rien faire d'illi» cite, ni rien qui ne convienne aux affaires et >> au temps » et voilà tout ce que l'on tire de ce saint docteur en faveur de la comédie.

Mais afin que la conclusion soit légitime, il seconde ré- faudroit en premier lieu qu'il fût bien certain, flexion sur la que sous le nom d'histrions, saint Thomas eût doctrine de entendu les comédiens : et cela, loin d'être cer

saint Tho

mas.

tain, est très-faux; puisque sous ce mot d'histrions il comprend manifestement un certain joueur, joculator, qui fut montré en esprit à saint Paphnuce, comme un homme qui l'égaloit en vertu. Or, constamment ce n'étoit pas un comédien, mais un simple «< joueur de flûte qui » gagnoit sa vie à cet exercice dans un village, in » vico » comme il paroît par l'endroit de la vie de ce saint solitaire qui est cité par saint Thomas (1). Il n'y a donc rien, dans ce passage, qui favorise les comédiens au contraire, on peut remarquer que Dieu voulant faire voir à un grand saint que dans les occupations les plus vulgaires il s'élevoit des ames cachées, d'un rare mérite, il ne choisit pas des comédiens, dont le nombre étoit alors si grand dans l'empire, mais un homme qui gagnoit sa vie à jouer d'un instrument innocent: qui encore se trouva si humble, qu'il se croyoit le dernier de tous les pécheurs, à cause, dit-il, que de la vie des voleurs il avoit passé à cet état honteux, fœdum artificium; comme il l'appeloit: non qu'il y eût rien de vicieux, mais parce que la flûte étoit parmi les

(1) Vit. Patr. Ruf. in Paphn. cap. xvi. Hist. Laus, c. LXIII.

anciens un des instrumens les plus méprisés : à quoi il faut ajouter, qu'il quitta ce vil exercice aussitôt qu'il eut reçu les instructions de saint Paphnuce et c'est à quoi se réduit cette preuve si décisive, qu'on prétend tirer de saint Thomas à l'avantage de la comédie.

Secondement, lorsqu'il parle dans cet endroit du plaisir que ces histrions donnoient au peuple en paroles et en actions, il ne sort point de l'idée des discours facétieux accompagnés de gestes plaisans ce qui est encore bien éloigné de la comédie. On n'en voit guère en effet, et peutêtre point, dans le temps de ce saint docteur. Dans son livre sur les Sentences, il parle luimême des «< jeux du théâtre comme de jeux qui >> furent autrefois ludi qui in theatris ageban» tur(1) » et dans cet endroit, non plus que dans tous les autres où il traite des jeux de son temps, les théâtres ne sont pas seulement nommés. Je ne les ai non plus trouvés dans saint Bonaventure son contemporain. Tant de décrets de l'Eglise et le cri universel des saints Pères les avoit décrédités, et peut-être renversés entièrement. Ils se relevèrent quelque temps après sous une autre forme, dont il ne s'agit pas ici : mais comme l'on ne voit pas que saint Thomas en ait fait aucune mention, l'on peut croire qu'ils n'étoient pas beaucoup en vigueur de son temps, où l'on ne voit guère que des récits ridicules d'histoires pieuses, ou en tout cas certains jongleurs, joculatores, qui divertissoient le peuple,

(1) In 4. dist. XV1, q. IV, art. 2. c.

XXIV.

Troisième

réflexion sur

mas: passage

tre les bouffonneries.

et qu'on prétend à la fin que saint Louis abolit, par la peine qu'il y a toujours à contenir de telles gens dans les règles de l'honnêteté.

Quoi qu'il en soit, en troisième lieu, il ne faut pas croire que saint Thomas ait été capable d'apla doctrine prouver les bouffonneries dans la bouche des de saint Tho chrétiens, puisque, parmi les conditions sous de ce saint lesquelles il permet les réjouissances, il exige docteur con- entre autres choses, « que la gravité n'y soit pas » entièrement relâchée; ne gravitas animæ tota» liter resolvatur (1) ». Il faudroit donc, pour tirer de saint Thomas quelque avantage, faire voir par ce saint docteur, que cette condition convienne aux bouffonneries poussées à l'extrémité dans nos théâtres, où l'on en est comme enivré; et prouver que quelque reste de gravité s'y conserve encore parmi ces excès. Mais saint Thomas est bien éloigné d'une doctrine si absurde, puisqu'au contraire dans son commentaire sur ces paroles de saint Paul: «< Qu'on » n'entende point parmi vous de saleté, turpi» tudo; de paroles folles, stultiloquium; de bouf>>fonneries, scurrilitas (2) il explique ainsi ces trois mots : «< L'apôtre, dit-il (3), exclut trois » vices, tria vitia excludit: la saleté, turpitudi» nem : qui se trouve, in tactibus turpibus et am» plexibus et osculis libidinosis », car c'est ainsi qu'il l'explique : « les folles paroles, stultilo» quium: c'est-à-dire, continue-t-il, celles qui » provoquent au mal, verba provocantia ad

(1) 2. 2. 9. CLXVIII, a. 2. c. — (2) Eph. v. 4. (3) Comm. in Ep. ad Eph. cap. v, lect. 2.

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» malum : et enfin les bouffonneries, scurrilita» tem: c'est-à-dire, poursuit saint Thomas, les paroles de plaisanterie, par lesquelles on veut plaire aux autres » et contre lesquelles il allègue ces paroles de Jésus-Christ en saint Matthieu (1): « On rendra compte à Dieu de toute parole oiseuse : id est verbum joculatorium » per quod volunt inde placere aliis: De omni » verbo otioso, etc. »

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Il compte donc manifestement ces trois choses parmi les vices, tria vitia, et reconnoît un vice ou une malice particulière dans les paroles, par lesquelles on veut plaire aux autres et les faire rire, distincte de celle des paroles qui portent au mal; ce qui bannit manifestement la bouffonnerie, ou, pour parler plus précisément, la plaisanterie, du milieu des chrétiens, comme une action légère, indécente, en tout cas oisive, selon saint Thomas, et indigne de la gravité des mœurs chrétiennes.

le

Quatrième,

sage expres de saint Tho

En quatrième lieu, quand il seroit vrai, ce XXV. qui n'est pas, que saint Thomas, à l'endroit que cinquième et l'on produit de sa Somme (2), ait voulu parler de sixième ré la comédie; soit qu'elle ait été ou n'ait pas été flexion: pasen vogue de son temps, il est constant que divertissement qu'il approuve doit être revêtu mas, et conde trois qualités, dont « la première et la prin»cipale est qu'on ne recherche point cette dé- mens. » lectation dans des actions ou des paroles mal>> honnêtes ou nuisibles: la seconde, que la » gravité n'y soit pas entièrement relâchée : la

(1) Matth. XII. 36. — (2) 2. 2. q. CLXVIII, art. 2. c.

ciliation de ses senti

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