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» troisième, qu'elle convienne à la personne, » au temps et au lieu ». Pour donc prouver quelque chose, et pour satisfaire à la première condition, d'abord il faudroit montrer, ou qu'il ne soit pas nuisible d'exciter les passions les plus dangereuses, ce qui est absurde; ou qu'elles ne soient pas excitées par les délectables représentations qu'on en fait dans les comédies, ce qui répugne à l'expérience et à la fin même de ces représentations, comme on a vu : ou enfin que saint Thomas ait été assez peu habile pour ne sentir pas qu'il n'y a rien de plus contagieux pour exciter les passions, particulièrement celle de l'amour, que les discours passionnés : ce qui seroit la dernière des absurdités, et la plus aisée à convaincre par les paroles de ce saint, si la chose pouvoit recevoir le moindre doute. Voilà pour ce qui regarde la première condition. Nous avons parlé de la seconde, qui regarde les bouffonneries, et la troisième paroîtra quand nous traiterons des circonstances du temps par rapport aux fêtes et au carême.

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Cela posé, nous ferons encore une cinquième réflexion sur ces paroles de saint Thomas dans la troisième objection de l'article troisième. « Si les >> histrions poussoient le jeu et le divertissement jusqu'à l'excès, ils seroient tous en état de péché ; >> tous ceux qui se serviroient de leur ministère ou >> leur donneroient quelque chose, seroient dans » le péché ». Saint Thomas laisse passer ces propositions qui en effet sont incontestables, et il n'excuse ces histrions quels qu'ils soient, qu'en suppo

sant que leur action, de soi, n'a rien de mauvais ni d'excessif, secundùm se. Si donc il se trouve dans le fait, quel que soit cet exercice en soi même, que parmi nous il est revêtu de circonstances nuisibles, il faudra demeurer d'accord, selon la règle de saint Thomas, que ceux qui y assis tent, quoiqu'ils se vantent de n'en être point émus, que peut-être ils ne le soient point sensiblement, ne laissent pas de participer de participer au mal qui s'y fait, puisque bien certainement ils y contribuent.

et

Enfin en sixième lieu, encore que saint Thomas spéculativement et en général ait mis ici l'art des baladins ou des comédiens, ou en quelque sorte qu'on veuille traduire ce mot histrio, au rang des arts innocens, ailleurs, où il en regarde l'usage ordinaire, il le compte parmi les arts infâmes, et le gain qui en revient, parmi les gains illicites et honteux; «< tels que sont, » dit-il (1), le gain qui provient de la prostitu» tion et du métier d'histrion : quædam dicuntur » malè acquisita, quia acquiruntur ex turpi » causá, sicut de meretricio et histrionatu, et » aliis hujusmodi ». Il n'apporte ni limitation ni tempérament à ses expressions, ni à l'horreur qu'il attire à cet infâme exercice. On voit à quoi il compare ce métier qu'il excuse ailleurs. Comment concilier ces deux passages, si ce n'est en disant, que lorsqu'il l'excuse, ou si l'on veut, qu'il l'approuve, il le regarde selon une idée générale abstraite et métaphysique; mais que lorsqu'il le considère naturellement de la ma(1) 2. 2. 9. LXXXVII, art. 2, ad 2.

XXVI. Sentiment

tonin.

nière dont on le pratique, il n'y a point d'opprobre dont il ne l'accable.

Voilà donc comment saint Thomas favorise la comédie : les deux passages de sa Somme, dont les défenseurs de cet infâme métier se font un rempart, sont renversés sur leur tête; puisqu'il paroît clairement, en premier lieu, qu'il n'est pas certain qu'il ait parlé de la comédie; en second lieu, que plutôt il est certain qu'il n'en a pas voulu parler; en troisième lieu, sans difficulté et démonstrativement, que quand il auroit voulu donner quelque approbation à la comédie, en elleméme, spéculativement et en général, la nôtre en particulier et dans la pratique est excluse ici selon ses principes, comme elle est ailleurs absolument détestée par ses paroles expresses. Que des ignorans viennent maintenant nous opposer saint Thomas, et faire d'un si grand docteur un partisan de nos comédies.

Après saint Thomas, le docteur qu'on nous de saint An- oppose le plus c'est saint Antonin: mais d'abord on le falsifie en lui faisant dire ces paroles dans sa seconde partie (1): « La comédie est un mé» lange de paroles et d'actions agréables pour >> son divertissement ou pour celui d'autrui, etc. » On ajoute ici dans le texte le terme de comédie qui n'y est pas : saint Antonin parle en général des paroles ou des actions divertissantes et récréatives: ce sont les mots de ce saint, qui n'emportent nullement l'idée de la comédie, mais seulement celle ou d'une agréable conversation, ou (1) S. Anton. II part. tit. 1, cap. xxш, §. 1.

»

en tout cas des jeux innocens : « tels que sont, » ajoute-t-il, la toupie pour les enfans, le jeu de >> paume, le jeu de palet, la course pour les jeu» nes gens, les échecs pour les hommes faits », et ainsi du reste, sans encore dire un seul mot de la comédie.

Il est vrai qu'en cet endroit de sa seconde partie, après un fort long discours où il condamne amplement le jeu de dés, il vient à d'autres matières, par exemple à plusieurs métiers, et enfin à celui des histrions (1), qu'il approuve au même sens et aux mêmes conditions que saint Thomas, qu'il allègue sans s'expliquer davantage : de sorte qu'il n'y a rien ici autre chose à lui répondre que ce qu'on a dit sur saint Thomas.

Dans sa troisième partie (2), il parle expressément des représentations qui étoient en vogue de son temps, cent cinquante ans environ après saint Thomas: repræsentationes quæ fiunt hodie; pour indiquer qu'elles étoient nouvelles et introduites depuis peu; et il déclare qu'elles sont défendues en certains cas et en certaines circonstances qu'il remarque; dont l'une est, si on y représente des choses malhonnêtes; turpia. Nous pouvons tenir pour malhonnête tout ce qui flatte la concupiscence de la chair; et si saint Antonin n'a pas prévu le cas de nos comédies, ni les sentimens de l'amour profane dont on fait le fond de ces spectacles, c'est qu'en ce temps on songeoit à de toutes autres représentations, comme

(1) S. Anton. 11 part. tit. 1, cap. xx11, §. 14. — (2) III part. tit VIII, cap. IV, §. 12.

XXVII.

il paroît par les pièces qui nous en restent. Mais on peut voir l'esprit de saint Antonin sur ces dangereuses tendresses de nos théâtres, lorsqu'il réduit la musique « à chanter ou les louanges de » Dieu, ou les histoires des paladins, ou d'autres >> choses honnêtes, en temps et lieu convena»ble (1)». Un si saint homme n'appelleroit jamais honnêtes les chants passionnés, puisque même sa délicatesse ya si loin qu'il ne permet pas d'entendre le chant des femmes; parce qu'il est périlleux, et comme il parle, incitativum ad lasciviam.

On peut entendre par-là ce qu'il auroit jugé de nos opéra, et s'il auroit cru moins dangereux de voir des comédiennes jouer si passionnément le personnage d'amantes avec tous les malheureux avantages de leur sexe. Que si on ajoute à ces sentimens de saint Antonin, les conditions qu'il exige dans les réjouissances, qui sont d'être «< ex» cluses du temps de la pénitence et du carême, » de ne faire pas négliger l'office divin (2) », et encore avec tout cela d'être si rares et en si petite quantité (3), qu'elles tiennent dans la vie humaine le même rang que le sel dans nos nourritures ordinaires, non-seulement la Dissertation n'y sera pas appuyée, mais encore elle y sera condamnée en tous ses chefs.

En voici deux principaux, où elle attaque maProfanation nifestement les plus saintes pratiques de l'Eglise. des fêtes et L'un est celui où l'auteur approuve que la comé

de la sainteté

(1) S. Anton. III. part. tit. vi, cap. iv, §. 12. (2) Ibid. et

II part. tit. 1, cap. xxш, §. 14.

(3) Ibid. §. 1 et 14.

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