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Ce peu d'exemples fuffira pour donner lieu de juger que ce retranchement de l's eft une licence poétique, & qu'il eft plus régulier, comme nous avons dit, de ne pas l'admettre dans la profe.

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Il eft bon d'obferver, avant que de finir cet article, que la plupart des regles que nous venons d'établir, fur-tout de celles qui regardent la céfure & la rime ne font que pour la plus grande perfection des vers, & qu'elles ne doivent pas toujours être prifes à la rigueur. Outre qu'il est quelquefois permis d'en facrifier quelques-unes à une belle penfée, les vers doivent être plus ou moins parfaits à proportion que le fujet que l'on traite eft plus ou moins relevé. Ainfi dans les comédies, dans les fables, dans les contes & autres pieces d'un ftyle fimple & familier, on ne doit pas exiger que les vers foient aufli harmonieux & auffi réguliers que dans les poëmes épiques, dans les tragédies, dans les fatyres, & autres pieces d'un ftyle noble & férieux.

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Du mélange & de la combinaison des vers les uns à l'égard des autres.

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LE mélange des vers les uns avec les autres, peut fe confidérer, ou par la rime, ou par le nombre des fyllabes dont ils font compofés : c'est-à-dire, que dans les différents ouvrages de poéfies, les rimes mafculines font mêlées avec les féminines, & fouvent les grands avec les petits vers. Il n'y a point d'ouvrage en vers où les rimes mafculines ne foient mêlées avec les féminines & qui par conféquent ne foit compofé de vers mafculins & féminins.

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Mais il n'eft pas également néceffaire que les vers d'un ouvrage ou d'une piece, foient toujours d'une même longueur ou d'un même nombre de fyllabes.

On obferve généralement aujourd'hui de mêler les rimes masculines & féminines de maniere que deux différentes rimes -de même espece ne fe trouvent jamais enfemble dans une même fuite de vers: c'eft-à-dire, qu'une rime masculine ne peut être fuivie que de la rime mafculine qui y répond, ou d'une rime féminine: ce qui n'étoit point pratiqué par les anciens poëtes qui mêloient toutes les rimes au hafard,

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comme elles fe présentoient, comme on le voit dans Marot. Le mélange des vers par rapport au nombre de fyllabes n'eft pas réglé il dépend ordinairement da goût & de la volonté du poëte.

Suivant les différentes manieres dont on peut arranger les rimes masculines & féminines, on les divise en rimes fuivies & en rimes entremêlées.

Les rimes font appellées fuivies, lorsqu'après deux rimes mafculines, il s'en trouve deux féminines enfuite deux mafculines, & ainfi de fuite, comme dans ces huit vers.

On ne ma jamais vu, furpaffant mon pouvoir,
D'une indiscrete main profaner l'encensoir :
Et périffe à jamais l'affreufe politique,

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Qui prétend fur les cœurs un pouvoir defpotique,
Qui veut, le fer en main, convertir les mortels,
Qui du fang hérétique arrofe les autels,

Et fuivant un faux zéle, ou l'intérêt pour guides,
Ne sert un Dieu de paix que par des homicides.

Les rimes font appellées entremêlées, lorfqu'une rime masculine eft féparée de celle qui y répond , par une ou deux rimes féminines; ou lorsqu'entre une rime féminine & sa semblable, il fe trouve une ou deux rimes masculines comme dans ces exemples,

Vous, qui ne connoiffez qu'une crainte fervile,
Ingrats, un Dieu fi bon ne peut-il vous charmer ?
Eft-il donc à vos cœurs, eft-il fi difficile

Et fi pénible de l'aimer ?

Dieu parle, & nous voyons les trônes mis en poudre,
Les chefs aveuglés par l'erreur !

Les foldats confternés d'horreur,

Les vaiffeaux submergés, ou brûlés par la foudre.

Lorsque les rimes font fuivies, les vers font ordinairement du même nombre de fyllabes. Ainfi les vers que l'on appelle fuivis, font ceux qui ont communément le même nombre de fyllabes, & dont les rimes font fuivies.

Lorfque les rimes font entremêlées, les vers font quelquefois du même nombre de fyllabes, mais le plus fouvent ils ne le font pas ; & on appelle vers entremêlés, ceux qui font compofés de divers nombres de fyllabes, & dont les rimes font entremêlées.

Оп

On ne fait guere que de quatre fortes de vers fuivis ; favoir, I. Les vers de douze fyllabes ou alexandrins que l'on emploie ordinairement dans les poëmes héroïques, dans les tragédies, les églogues, les élégiés, les fatyres, &c.

II. Les vers de dix fyllabes ou communs, qui font en ufage dans les ouvrages d'un ftyle naïf & familier, tels que font les épîtres de Marot, les épîtres & les allégories de

M. Rouffeau.

III. On fait encore des vers fuivis de huit fyllabes: mais l'ufage en eft affez rare, & on ne s'en fert guere dans des fujets férieux.

Si l'on fait quelquefois des vers fuivis de fept, de fix, ou d'un moindre nombre de fyllabes, ce n'eft que dans des pieces badines & de caprice.

IV. Une autre forte de vers fuivis qui eft fort belle, quoiqu'elle ne foit pas fort ordinaire, eft de mettre alternativement un vers de fix fyllabes à la fuite d'un grand vers avec des rimes fuivies.

Le principal défaut que l'on doit éviter dans les vers fuivis eft de faire rimer deux vers mafculins avec deux vers mafculins, quand ils ne font féparés que par deux vers féminins; ou deux vers féminins avec deux vers féminins quand ils ne font féparés que par deux vers mafculins : comme on voit que dans ces fix vers, les deux premiers féminins riment avec les deux derniers qui font auffi féminins.

Par les mêmes ferments Britannicus fe lie,

La coupe dans fes mains par Narciffe eft remplie :
Mais fes levres à peine en ont touché les bords,
Le fer ne produit point de fi puiffants efforts,
Madame, la lumiere à fes yeux eft ravie,

Il tombe fur fon lit fans chaleur & fans vie.

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La confonnance ou la convenance des fons dans les rimes mafculines & féminines qui fe fuivent, produit encore un effet défagréable à l'oreille, comme dans ces quatre vers,

Et toutes les vertus dont s'éblouit la terre

Ne font que faux brillants, & que morceaux de verre,

Un injufte guerrier, terreur de l'univers,

Qui fans sujet courant chez cent peuples divers....

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Des Stances.

Les rimes entremêlées s'emploient plus ordinairement dans les ftances qu'ailleurs.

On appelle Stance, ou quelquefois Strophe, un certain nombre de vers après lefquels le fens eft fini & complet.

Le nombre des vers qui peuvent composer une ftance n'est pas fixé mais il ne doit pas être moindre que de quatre, & communément il ne s'y en trouve guere plus de dix.

La mesure des vers qui entrent dans une stance n'est pas plus fixe que le nombre. Ils peuvent être tous d'une même forte, c'eft-à-dire, avoir un même nombre de fyllabes, comme douze, dix, huit, & fept; ou l'on peut y mêler diverfes fortes de vers par rapport au nombre des fyllabes fans autre regle que le goût & la volonté du poëte: ce qui fait qu'en confidérant les ftances par le mélange des rimes par le nombre des vers, & par le nombre des fyllabes de chaque vers, on peut les varier en une infinité de fortes dont nous ne pourrions développer les combinaisons, fans entrer dans des calculs immenfes qui ne feroient d'aucune utilité au lecteur, & ne manqueroient pas de l'ennuyer.

Une ftance n'eft proprement appellée ftance, que quand elle eft jointe à d'autres : mais fi elle eft feule, elle emprunte ordinairement fon nom du nombre de vers dont elle eft compofée: enforte qu'on l'appelle Quatrain, fi elle eft de quatre vers Sixain, fi elle eft de fix; & quelquefois en la confidérant par le fujet, on l'appelle Epigramme ou Madrigal.

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Ön donne fouvent le nom d'Ode à une fuite de stances fur le même fujet.

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que

Quand les ftances d'un même ouvrage ont un même nombre de vers un même mélange de rimes, & le nombre des fyllabes de chaque vers le trouve également distribué, on les appelle ftances régulieres.

ou par

Au lieu qu'elles font appellées irrégulieres, fi elles font différentes les unes des autres le nombre des vers, ou par le mélange des rimes, ou par le nombre des fyllabes de chaque vers.

Il est encore néceffaire, pour la perfection des stances. que celles qui font faites fur un même fujet, commencent & finiffent par les mêmes rimes: c'eft-à-dire, que fi la premiere ftance commence par une rime féminine, & finit par une rime masculine, la feconde doit auffi commencer par une

VERSIFICATION FRANÇOISE. $87 Time féminine, & finir par une rime mafculine, & ainfi des autres. D'où il arrive que quand une ftance commence & finit par une même rime, comme par une rime féminine celle qui eft après commençant auffi par une rime féminine, il fe trouve deux différentes rimes de même efpece à la fuite l'une de l'autre ce qui n'eft pas contraire à la regle que nous avons établie pages 583. & 584. parce que chaque stance doit être confidérée féparément, & comme détachée de celle dont elle eft fuivie.

Le dernier vers d'une ftance ne doit jamais rimer avec le premier de la ftance fuivante..

Enfin c'eft une regle indifpenfable que le fens finiffe avec le dernier vers de chaque ftance; en quoi les ftances françoifes font plus parfaites que les ftances latines où le fens eft très-fouvent continué de l'une à l'autre.

Les ftances confidérées par le nombre des vers dont elles font formées, peuvent fe diviser en stances de nombre pair& en ftances de nombre impair.

Les ftances de nombre pair, font celles qui font compofées de quatre, de fix, de huit, ou de dix vers.

Les ftances de nombre impair, font celles qui font compofées de cinq, de fept, ou de neuf vers.

Comme nous avons dit que le mélange des vers par rapport au nombre des fyllabes, étoit arbitraire dans les ftances, les regles que nous allons donner pour chaque efpece de ftances, regarderont principalement le mélange des ri

mes.

REGLES POUR LES

DE

STANCES

NOMBRE PAIR..

I. Stances de quatre vers.

Les rimes peuvent s'entremêler de deux manieres dans les ftances de quatre vers ou dans les quatrains.

1. On fait rimer le premier vers avec le troifieme, & le fecond avec le quatrieme, comme dans cette stance,

Combien avons-nous vu d'éloges unanimes,
Condamnés, démentis par un honteux retour!
Et combien de héros glorieux, magnanimes,
Ont vécu trop d'un jour!

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