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C'est ce que fait l'esprit propre. Quand nous voulons par notre propre mouvement que quelque chose réussisse, nous nous irritons contre les obstacles, parce que nous sentons dans ces empêchements ce que le motif qui nous fait agir n'y a pas mis, et nous y trouvons des choses que l'esprit propre qui nous fait agir n'y a pas formées.

Mais quand Dieu fait agir véritablement, nous ne sentons jamais rien au dehors qui ne vienne du même principe qui nous fait agir; il n'y a point d'opposition au motif qui nous presse; le même moteur qui nous porte à agir en porte d'autres à nous résister, au moins il le permet; de sorte que comme nous n'y trouvons point de différence et que ce n'est pas notre esprit qui combat les événements étrangers, mais un même esprit qui produit le bien et qui permet le mal, cette uniformité ne trouble point la paix d'une âme et est une des meilleures marques qu'on agit par l'esprit de Dieu, puisqu'il est bien plus certain que Dieu permet ce mal, quelque grand qu'il soit, que non pas que Dieu fait le bien en nous (et non pas quelque autre motif secret 2), quelque grand qu'il nous paraisse; de sorte que pour bien reconnaître si c'est Dieu qui nous fait agir, il vaut bien mieux s'examiner par nos comportements au dehors que par nos motifs au dedans, puisque si nous n'examinons que le dedans,

' MS. de la Bibl. roy. : « C'est ce qui fait, etc. » Cette leçon forme un contre sens. Le même MS. présente dans la même lettre quelques autres incorrections.

MS. Suppl. frang. dit: Et non par quelque motif secret, » ce qui n'a ici aucun sens.

FRAGMENT D'UNE LETTRE A M. PERIER '.

1661.

Vous me faites plaisir de me mander tout le détail de vos frondes, et principalement puisque vous y êtes intéressés. Car je m'imagine que vous n'imitez pas nos frondeurs de ce pays-ci qui usent si mal, au moins en ce qui m'en paraît, de l'avantage que Dieu leur offre de souffrir quelque chose pour l'établissement de ses vérités. Car, quand ce serait pour l'établissement de leurs vérités, ils n'agiraient pas autrement; et il semble qu'ils ignorent que la même providence qui a inspiré les lumières aux uns, les refuse aux autres; et il semble qu'en travaillant à les persuader, ils servent un autre Dieu que celui qui permet que des obstacles s'opposent à leur progrès. Ils croient rendre service à Dieu en murmurant contre les empêchements, comme si c'était une autre puissance qui excitât leur piété, et une autre qui donnât vigueur à ceux qui s'y opposent.

Ile Recueil MS. du P. Guerrier, pag. 240. - Ce fragment a été en partie publié, mais avec quelques altérations, par Bossut, tom. III de l'édition de 1779. On le trouve aussi dans le MS. Suppl. franç. 1485.

Les MSS. ne disent pas quelle est la date de cette lettre ni à qui elle a été écrite. On peut conjecturer qu'elle est de l'époque où Pascal était en discussion avec Nicole et Arnauld, concernant la signature du formulaire, c'est-à-dire de 1661. Cette lettre est vraisemblablement adressée à M. Perier et en sa personne à MM. Montorcier, président à la cour des aides, Guerrier, avocat, Domat, et aux autres personnages qui, en 1661, soutenaient à Clermont une lutte assez vive contre les jésuites. Ces noms et quelques autres sont cités dans une Relation de l'état du jansénisme en la ville de Clermont, en 1661, qui se trouve dans le MS. in-12 du P. Guerrier. (Voy. l'Appendix, no IV.

C'est ce que fait l'esprit propre. Quand nous voulons par notre propre mouvement que quelque chose réussisse, nous nous irritons contre les obstacles, parce que nous sentons dans ces empêchements ce que le motif qui nous fait agir n'y a pas mis, et nous y trouvons des choses que l'esprit propre qui nous fait agir n'y a pas formées.

Mais quand Dieu fait agir véritablement, nous ne sentons jamais rien au dehors qui ne vienne du même principe qui nous fait agir; il n'y a point d'opposition au motif qui nous presse; le même moteur qui nous porte à agir en porte d'autres à nous résister, au moins il le permet; de sorte que comme nous n'y trouvons point de différence et que ce n'est pas notre esprit qui combat les événements étrangers, mais un même esprit qui produit le bien et qui permet le mal, cette uniformité ne trouble point la paix d'une âme et est une des meilleures marques qu'on agit par l'esprit de Dieu, puisqu'il est bien plus certain que Dieu permet ce mal, quelque grand qu'il soit, que non pas que Dieu fait le bien en nous (et non pas quelque autre motif secret 2), quelque grand qu'il nous paraisse; de sorte que pour bien reconnaître si c'est Dieu qui nous fait agir, il vaut bien mieux s'examiner par nos comportements au dehors que par nos motifs au dedans, puisque si nous n'examinons que le dedans,

'MS. de la Bibl. roy. : « C'est ce qui fait, etc. » Cette leçon forme un contre sens. Le même MS. présente dans la même lettre quelques autres incorrections.

* MS. Suppl. franç. dit : « Et non par quelque motif secret, » ce qui n'a ici aucun sens.

quoique nous n'y trouvions que du bien nous ne pouvons pas nous assurer que ce bien vienne véritablement de Dieu. Mais quand nous nous examinons au dehors, c'est-à-dire quand nous considérons si nous souffrons les empêchements extérieurs avec patience, cela signifie qu'il y a une uniformité d'esprit entre le moteur qui inspire nos passions et celui qui permet les résistances à nos passions; et comme il est sans doute que c'est Dieu qui permet les unes, on a droit d'espérer humblement que c'est Dieu qui produit les autres.

Mais quoi! on agit comme si on avait mission pour faire triompher la vérité, au lieu que nous n'avons mission que pour combattre pour elle. Le désir de vaincre est si naturel que quand il se couvre du désir de faire triompher la vérité, on prend souvent l'un pour l'autre et on croit rechercher la gloire de Dieu, en cherchant, en effet, la sienne. Il me semble que la manière dont nous supportons les empêchements en est la plus sûre marque; car enfin si nous ne voulons que l'ordre de Dieu, il est sans doute que nous souhaiterons autant le triomphe de sa justice que celui de sa miséricorde et que, quand il n'y aura point de notre négligence, nous serons dans une égalité d'esprit, soit que la vérité soit connue, soit qu'elle soit combattue, puisqu'en l'un la miséricorde de Dieu triomphe et en l'autre sa justice.

Pater juste, mundus te non cognovit. Père juste, le monde ne t'a pas connu. Sur quoi saint Augustin dit que c'est un effet de sa justice qu'il ne soit point connu du monde. Prions et travaillons et réjouissonsnous de tout, comme dit saint Paul.

Si vous m'aviez repris dans mes premières fautes, je n'aurais pas fait celles-ci, et je me serais modéré. Mais je n'effacerai pas non plus celle-ci que l'autre : vous l'effacerez bien vous-même si vous voulez. Je n'ai pu m'en empêcher tant je suis en colère contre ceux qui veulent absolument que l'on croie la vérité lorsqu'ils la démontrent, ce que Jésus-Christ n'a pas fait en son humanité créée. C'est une moquerie et c'est ce me semble traiter 1...

Je suis bien fâché de la maladie de M. de Laporte 2. Je vous assure que je l'honore de tout mon cœur. Je etc.

Note du P. Guerrier: « Je transcris cette lettre sur l'original écrit de la main de M. Pascal. Le dernier feuillet est perdu. Il y a trois mots que je n'ai pu déchiffrer, et j'ai eu bien de la peine à lire les autres. »

LETTRE A MADAME PERIER 3.

De Rouen, ce samedi dernier janvier 1643.

Ma chère sœur,

Je ne doute pas que vous n'ayez été bien en peine du long temps qu'il y a que vous n'avez reçu de nouvelles de ces quartiers ici. Mais je crois que vous vous serez bien doutés que le voyage des Élus en a été la cause, comme en effet. Sans cela, je n'aurais pas manqué de vous écrire plus souvent. J'ai à te dire que M. les.

'Le reste de la phrase manque dans le MS.

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2 M. Laporte, ami de la famille Perier, était médecin à Clermont. Mme Perier en parle avec beaucoup d'estime dans ses lettres inédites. 'La suscription porte: A Mademoiselle Perier la conseillère, à Clermont. - Cette lettre ne contenant que des détails de famille, nous l'avons reportée après les autres, malgré la date. Nous la donnons d'après l'original autographe qu'un savant bibliographe, M. Ant.-Aug. Renouard, a bien voulu nous communiquer ; lui-même le tenait de l'abbé Bossut.

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