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Suite des Notices biographiques sur quelques

savans.

BARBIER (ANT. ALEX.)

Prêtre avant la révolution, comme tant d'autres il quitta le froc, et probablement ce fut avec joie. Ce qui est certain, c'est qu'ayant épousé une femme aimable qui, dit-on, avait été religieuse, il résulta de cette union une kyrielle d'enfans, ce qui semblerait prouver qu'ils n'étaient faits ni l'un ni l'autre pour le célibat.

Placé d'abord dans les dépôts littéraires, puis membre de la commission temporaire des arts, il devint bibliothécaire du conseil d'état après la révolution du 18 brumaire, et resta à ce poste sous l'empire, après la restauration, durant et après les Cent jours. S'étant occupé à faire un catalogue de la riche bibliothèque confiée à ses soins, il consulta dans plusieurs cas difficiles, un de ses amis qui avait été son confrère au dépôt littéraire; c'était Van-Thol, hollandais, homme très-instruit, et qui, depuis plus de trente ans, s'occupait de la recherche des anonymes et pseudonymes. M. Barbier ayant donc

engagé Van-Thol à l'aider de ses conseils dans la rédaction du catalogue et à lui fournir des renseignemens sur tous les ouvrages sans nom, Van-Thol lui confia généreusement une grande partie de son travail. Aussi, le savant français, dans la préface de son Catalogue des livres de la bibliothèque du Conseil d'état, a-t-il traité favorablement le bibliographe hollandais.

L'appétit vient en mangeant. Aidé du travail de son confrère, M. Barbier conçut le dessein de faire le Dictionnaire des anonymes et des pseudonymes, et fit entrer dans ce dernier ouvrage toutes les recherches de son ami, sans daigner même le citer. Van-Thol* était mort, aussi n'y eut-il pas de réclamations.

* Van-Thol était bègue autant qu'on peut l'être : il avait des peines incroyables à articuler. Cependant, quand il était pressé de communiquer sa pensée, il posait son doigt sur l'œil gauche, et aussitôt la faculté d'articuler lui venait ; c'était alors un flux aussi rapide qu'abondant de paroles. C'était, du reste, un savant crasseux, habillé à l'antique et des plus bizarres.

LETTRE X.

Le baron de Thiers. Mademoiselle de Montmorency.
Orosmane, cuisinier. M. de Béthune-Pologne.

MONSEIGNEUR,

La mort vient d'enlever à la société de Paris un des hommes les plus originaux qu'on ait vu depuis long-temps: il mérite votre attention; c'est le baron de Thiers.

Il était fils du fameux Crozat, si connu par ses richesses, son goût pour les arts, et son bonheur dans les affaires. Propriétaire du châ

* On n'a retrouvé qu'une partie de cette lettre; le fragment restant était sans date, c'est la place où il était dans la correspondance générale qui a servi à son clas

sement.

teau de Tugny, près Rhétel-Mazarin, lorsqu'il s'y rendait, il était toujours accompagné de plusieurs centaines de personnes; maîtres, valets et femmes de chambre, tout ce monde trouvait bonne table et logement commode les uns au château, et les autres dans un vaste bâtiment, appelé Grand Commun. Jamais commensaux ne furent traités plus grande

ment.

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Amateur des beaux-arts, il entretenait dans divers villages, dont il était seigneur, des maîtres d'école, de musique et de danse. Pendant sa résidence à Tugny, on donnait spectacle trois fois la semaine. On y jouait tragédie, comédie, opéra-comique et ballets. Ses acteurs étaient pris, soit parmi ses gens, soit parmi ses vassaux; pendant l'hiver il accordait dix sous par jour aux jeunes paysans et paysannes qui venaient prendre des leçons : on y montait les ballets, et on y exerçait les chœurs.

A l'exception des loges, destinées à ses commensaux, l'entrée du parterre était accordée indistinctement à tout le monde, et les bourgeois de Rhétel se faisaient un plaisir d'assister aux représentations qu'il donnait.

Un jour que l'on jouait Zaïre, Orosmane se

fit beaucoup attendre; l'impatience gagnait les spectateurs : «< Messieurs, dit le baron, de sa loge qui était sur le théâtre, je vous demande bien pardon pour Orosmane; mais cet acteur est mon cuisinier, et il est allé voir l'état des broches. >>

Il eut la fantaisie de se marier, et voulut s'unir à une demoiselle de bonne famille, bien élevée et sans fortune. Ses amis lui déterrèrent une demoiselle de Montmorency, qui trouva les propositions à son gré, et les accepta. Elle en fit part à ses nobles parens, qui se convoquèrent en assemblée de famille, dans laquelle, bien entendu, on tonna contre la parente, qui voulait encanailler le noble sang des Montmorency, dont la source remonte à la première race, et dont la noblesse est plus ancienne que celle des rois de France. Après avoir entendu toutes leurs vociférations, la demoiselle s'exprima en ces termes :

« Je n'ai point le désir de me faire religieuse, je veux vivre dans le monde; pour y vivre honorablement il me faut 20,000 francs, et je n'en ai que 6,000 de revenu; voyez, entre vous, à me faire cette somme : à ce prix je renonce à l'établissement proposé.

Les parens indiquèrent une deuxième et

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