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Un jour que je marchais triste par la campagne,
Un esprit m'enleva sur la haute montagne,

Où, sur le doigt de Dieu, la sainte arche de bois

Prit terre et s'arrêta pour la première fois.

Voilà donc le poëte sur le mont où fut l'arche, et soudain l'esprit lui montre, à ses pieds, la poudre et la fange de l'univers; tout ce qu'il vit dans ce gouffre, on ne saurait le redire en vile prose. Or, de ce gouffre est sorti ce poëme enflammé des plus terribles colères. C'est à peine si l'ïambe d'Archiloque suffit à sa rage obstinée. C'est ainsi que du sein de ces visions funèbres, s'exhalait la cruelle et terrible chanson de la grande semaine :

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Oh lorsqu'un lourd soleil chauffait les grandes dalles
Des ponts et de nos quais déserts,

Que les cloches hurlaient, que la grêle des balles
Sifflait et pleuvait par les airs;

Que dans Paris entier, comme la mer qui monte,
Le peuple soulevé grondait,

Et qu'au lugubre accent des vieux canons de fonte

La Marseillaise répondait ;

Certe, on ne voyait pas, comme aux jours où nous sommes,

Tant d'uniformes à la fois.

C'était sous des haillons que battaient des cœurs d'hommes;
C'étaient alors de sales doigts

Qui chargeaient les mousquets et renvoyaient la foudre;
C'était la bouche aux vils jurons,

Qui mâchait la cartouche, et qui noire de poudre,
Criait aux citoyens Mourons!

Ainsi il allait, célébrant à cœur-joie la grande populace, et tombant du haut-mal d'admiration en présence de la sainte canaille.

La grande populace et la sainte canaille!

Puis il se moquait des jeunes gens bien gåntés et en beau linge, cachés derrière les rideaux de soie, et s'amusant à voir passer la révolution dans la rue. Il arrivait ainsi à ce couplet fameux, et qui restera gravé, à tout jamais, dans la mémoire des hommes de notre génération :

C'est que la Liberté n'est pas une comtesse

Du noble faubourg Saint-Germain ;

Une femme qu'un cri fait tomber en faiblesse,
Qui met du rouge et du carmin.

C'est une forte femme, aux puissantes mamelles,
A la voix rauque, aux durs appas;

Qui, du brun sur la peau, du feu dans les prunelles
Agile et marchant à grands pas,

Se plaît aux cris du peuple, aux sanglantes mêlées,
Aux longs roulements des tambours ;

A l'odeur de la poudre, aux lointaines volées

Des cloches et des canons sourds;

Qui ne prend ses am nts que dans la populace,

Qui ne prête ses larges flancs

Qu'à des gens forts comme eile, et qui veut qu'on l'embrasse
Avec des mains rouges de sang.

Que dites-vous de l'image, et trouvez-vous qu'elle ressemble, en tout, à l'ancienne Theroïgne de Méricourt la gorge nue, la téte coiffée de rouge, à cheval sur un canon, l'injure à la bouche, la pique à la main, et au bout de cette pique une tête coupée, attifée à la dernière mode par le perruquier du coin? De ces vers répétés d'un bout de la ville à l'autre, le faubourg Saint-Germain a tremblé comme s'il allait voir reparaître tous les Christ des puissances mauvaises, comme s'il allait être exposé de nouveau à ces dangers d'une espèce particulièrement horrible, qui consistent à dechirer les gens dans les rues. En même temps, sur les places publiques et dans les carrefours de ce faubourg Saint-Germain, la populace criait: Mort aux ministres ! car elle tenait les ministres du roi Charles X, enfermés dans la Chambre des pairs, devenus Sous le joug de cette terreur, les propres juges de leurs confreres et de leurs complices! - Tant la peur est un abominable conseiller des multitudes! - Je vois encore l'aspect du Luxembourg dans ces funestes journées; j'entends les cris, je comprends les silences. A l'angle de cette humble porte, où les attendait une mauvaise caléche qui avait l'air d'une vieille ferraille, il me semble que je vois M. de Polignac et les deux autres qui viennent d'ètre dégradés et condamnés à la prison perpétuelle; ils étaient páles mais fiers encore; ils allaient, comme on va à la mort quand on est brave. M. de Polignac monta le premier dans la voiture, et, avec l'habitude d'un homme qui sait ce que c'est qu'un peuple en fureur, il s'écria : Une des vitres de la voiture est brisée! - Monseigneur, lui dit quelqu'un, cette vitre s'est brisée par

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accident. Ce Monseigneur dont on lui faisait l'aumône, a rassuré ce malheureux, et il s'est rejeté au fond de la voiture qui, par la rue de Madame, allait le jeter au château de Vincennes. Misères et réactions qui n'ont rien appris à personne, au contraire, on chantait plus que jamais :

Cette vierge fougueuse, enfant de la Bastille,

Qui jadis lorsqu'elle apparut,

Avec son air hardi, ses allures de fille,

Cinq ans mit tout ce peuple en rut....

De cet iambe on n'en saurait citer davantage. A l'entendre on dirait que le poëte ne peut pas se consoler qu'un peu d'ordre ait apparu enfin dans cette société au désespoir :

J'ai vu pendant trois jours, j'ai vu plein de colère,
Bondir et rebondir le lion populaire....

On dirait qu'il regrette les trois jours, quand le lion jetait ses crins en l'air, lorsque claquaient ses grands ongles, quand son poil était hérissé, sa langue en feu, sa bouche en sang ... Il rugissait en souverain, et maintenant le voilà..... muselé ! Avouez que c'était grand dommage. On appelait muselé, le peuple de décembre 1830, le peuple du procès des ministres ! On invoquait, dans des vers frappés sur l'enclume du désespoir, le sombre quatre-vingt-treize, on lui disait :

Ne te réveille pas pour contempler nos guerres,
Car nous sommes des nains à côté de nos pères,
Et ta pitié rirait de nos maigres combats...

C'était affreux à entendre ces déclamations, il est même affreux de s'en souvenir. Cette fois, et pour la première fois, depuis ces mauvais jours, étouffés un instant sous la gloire de l'empire, le peuple redevenait le fantôme évoqué à toutes les époques sinistres. Le peuple apparaissait, de nouveau, comme une menace, comme une bacchante ivre de sang :

Oui, comme la bacchaute, enfin lasse de rage

N'en pouvant plus, e! sur le flanc

Retombant en sa couche et jetant sur la plage
Des têtes d'hommes et du sang.

Telles étaient les visions, tels étaient les drames. Cette poésie ardente s'abandonnait, sans frein, à ces bruits rauques, à ces peurs, à ces tumultes, à l'émeute:

l'émeute au pied rebelle,

Poussant avec la main le peuple devant elle.

l'émeute semblable à une femme soûle! Et quand il a poussé à bout l'invective et l'injure, ó, s'écrie-t-il, les temps maudits! Et l'on s'étonne, en ces heures mauvaises, du grand succès de M. de Balzac, et l'on se demande par quel charme tout puissant ce merveilleux conteur s'est vu, tout de suite, adopté par les jeunes gens, par les jeunes femmes, par ce faubourg Saint-Germain incessamment exposé à ces injures, à ces violences ! Et l'on trouve ce Balzac bien heureux d'avoir fait adopter son profil de marquise en opposition à ces affreux portraits, de pied en cap, des Theroïgne de Méricourt!

LES BONAPARTE.

Nous étions alors en pleine fièvre, en pleine démence. On appelle ce haut-mal : delirium tremens en médecine, et il faut que les nations soient bien fortes, pour ne pas succomber sous ses atteintes. Chacun, en ce temps-là, avait son cri d'alarme et son cri de guerre. Ceux qui n'invoquaient pas Robespierre ou Danton, invoquaient l'empire et l'empereur.

Eucor Napoléon, encor sa grande image!

Ah! que le rude et dur guerrier

Nous a coûté de sang, et de pleurs et d'outrage
Pour quelques rameaux de laurier!

Déjà Bonaparte était partout, et l'on pouvait se demander qui donc régnait, Bonaparte ou Louis-Philippe? On mettait au concours la statue à replacer sur les hauteurs de la colonne; on faisait toutes sortes de comédies à sa louange, que disons-nous? à son apothéose. Chaque théâtre avait déjà son Bonaparte. A Odéon, qui était resté un théâtre royal, M. Alexandre Dumas racontait, dans une suite de scènes militaires, la vie entière du heros; c'était Frédéric Lemaître qui jouait le rôle de l'empereur.

Trois mois durant, le théâtre s'était attaché à cette mise en scène pour laquelle il avait acheté les anciens uniformes de l'empire qu'il avait pu rencontrer chez les brocanteurs, et les nouveaux généraux de cette grande armée s'estimaient très-heureux et trèsfiers de porter des habits qui avaient servi à leurs devanciers, et qui étaient brodés en or fin. Le drame de M. Alexandre Dumas s'appelait Napoléon Bonaparte, ou trente ans de l'Histoire de France, c'est-à-dire tout Bonaparte, et même un peu en deçà et au delà. C'était à ce coup-là que M. Duviquet se voilait la face; un drame, un seul drame en trente années! un drame à la louange de Bonaparte! Une gloire sans fin suivie de cette longue agonie, écouté avec autant de larmes et de transports que le récit de la passion de Notre-Seigneur! Ajoutez à ces profanations imprudentes, à ces extases dangereuses, l'inconvénient de mettre en scène des personnages vivants, le maréchal Soult, par exemple, et des institutions restées debout, la Cham re des pairs et la Chambre des députés, et ces débats politiques donnés en spectacle à une foule enthousiaste. Il y avait à faire, à propos de cet empereur ressuscité, bien des observations très-justes, tres nettes et très-fermes, on ne les fit pas alors. On se contenta de demander la suppression de certaines scènes trop violentes, et l'on dit en forme d'excuses qu'elles étaient trop longues. Ce Napoléon de l'Odéon avait été précédé, d'une quinzaine de jours, par un autre Napoléon en deux parties, joué par le vrai et légitime empereur de l'an 1830 et années suivantes, Napoléon Gobert; cette pièce était de M. Régnier Destourbet; elle fut jouée pendant toute une année en présence d'une foule qui s'enivrait de la gloire et des larmes de son empereur. - Plus tard, le roi Louis-Philippe obéissant un peu à l'aveugle au mouvement de cette popularité ressuscitée, envoyait à travers les flots, son fils l'amiral, ce beau et vaillant prince de Joinville qui rapportait en triomphe les cendres de l'empereur, à l'instant même où M. Thiers, le grand historien de notre âge, annonçait à l'Europe et l'annonce partait des hauteurs du ministère des Affaires Étrangères l'Histoire de l'Empire! Étonnez-vous du reste! Et que l'âme de ce peuple ait résisté à toutes ces forces réunies: Béranger, Victor Hugo, M. Thiers, le prince de Joinville, le roi Louis-Philippe, l'Arc de Triomphe, la Colonne, Alexandre Dumas, et M. Régnier Destourbet!

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