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DE CORNEILLE,

A MONSIEUR P. T. N. G.

Tome premier de l'édition in- 4°, page 9.

JE

vous donne Médée toute méchante qu'elle est, etc. Je n'ai pu découvrir qui eft ce monfieur P. 7. N. G. à qui Corneille dédie Médée. Mais il eft affez utile de voir que l'auteur condamne lui-même fon ouvrage.

Cette dédicace eft faite plufieurs années après la représentation. Il était alors affez grand pour avouer qu'il ne l'avait pas toujours été.

Pag. 10. Dans la portraiture, il n'est pas question fi an visage est beau, mais s'il reffemble.

Portraiture eft un mot furanné, et c'eft dommage; il est néceffaire: Portraiture fignifie l'art de faire reffembler; on emploie aujourd'hui portrait pour exprimer l'art et la chofe. Portraire eft encore un mot néceffaire que nous avons abandonné.

Ibid Et dans la poéfie, il ne faut pas confidérer fi les maurs font vertueufes, mais fi elles font pareilles à celles de la perfonne qu'elle introduit.

Il faut fur-tout qu'elles foient intéreffantes, c'eft là le premier devoir. Des jeunes gens, dont le goût n'était point encore formé, et qui n'avaient qu'une connaiffance confufe du théâtre et de l'art des vers, fe font fouvent étonnés du peu de fuccès de la tragé die d'Atrée Ils ont cru que la délicateffe de nos dames s'effrayait trop de voir préfenter à Thiefte une coupe remplie du fang de fon fils. Ils fe font trompés. Ce fang, qu'on ne voyait pas, ne pouvait effaroucher les yeux, et l'action de Cléopâtre dans Rodogune ek plus criminelle et plus atroce que celle d'Atrée. Cependant on la voit avec un plaifir mêlé d'horreur. Le grand défaut d'Atrée eft qu'on ne peut s'intéreffer à la vengeance raffinée d'une injure faite il y a vingt ans.

On peut exercer une vengeance exésrable dans les premiers mouvemens d'une jufte colère. Mais élever le fils d'un adultère fous le nom de fon propre fils pour le faire manger en ragoût à fon véritable père, quand eet enfant fera majeur, ce n'eft-là qu'une horreur abfurde; et quand cette horreur eft mife en vers obfcurs, chevillés et barbares, il eft impoffible aux gens de goût de la fupporter. Nous ne pouvons trop fouvent faire cette remarque.

P. 11. J'espère qu'elles vous fatisferont encore aucunement fur le papier.

Aucunement, vieux mot, qui fignifie en quelque forte, ez partie, et qui valait mieux que ces périphrafes.

M

E

DÉE,

TRAGE DI E

ACTE PREMIER.

SCENE PREMIERE.

Vers 7. Quoi! Médée eft donc morte, ami? Non, elle vit; Mais un objet plus beau la chaffe de mon lit, etc.

JB

E ne ferai for ce début qu'une feule remarque, qui pourra fervir pour plufieurs autres occafions. On voit affez que c'eft-là le ftyle de la comédie; on n'écrivait point alors autrement les tragédies. Les bornes qui diftinguent la familiarité bourgeoife, et la noble fimplicité, n'étaient point encore posées. Corneille fut le premier qui eut de l'élévation dans le ftyle, comme dans les fentimens. On en voit déjà plufieurs exemples dans cette pièce. Il y a de la juftice à lui tenir compte du fublime qu'on y trouve quelquefois, et à n'accufer que fon fiècle de ce ftyle comique négligé et vicieux qui déshonorait la fcène tragique. Je n'infifte point fur la meilleure faifon, fur les mille et mille malheurs, fur le Jason fans confcience, fur Créufe pofédée autant vaut fur une flamme accommodée au bien des affaires. C'était le malheureux

Ayle d'une nation qui ne favait pas encore parler. Et ecla même fait voir quelle obligation nous avons au grand Corneille de s'être tiré dans fes beaux morceaux de cette fange où fon fiècle l'avait plongé, et d'avoir feul appris à fes contemporains l'art fi long-temps insonnu de bien penser et de bien s'exprimer.

V. 35. Et depuis, à Colchos, que fit votre Jafon?
Que cajoler Médée et gagner la toifon.

On doit dire ici un mot de cette fameufe toifon d'or. La Colchide, pays de Médée, eft la Mingrélie, pays barbare, toujours habité par des barbares, où l'on pouvait faire un commerce de fourrures affez avantageux. Les Grecs entreprirent ce voyage par le PontEuxin qui eft très-périlleux; et ce péril donna de la célébrité à l'entreprife: c'eft-là l'origine de toutes ces fables abfurdes qui eurent cours dans l'Occident. Il n'y avait alors d'autre hiftoire que des fables.

V. 43. Et j'ai trouvé l'adreffe, en lui fefant la cour,
De relever mon fort fur les ailes d'Amour.

Ce vers eft un exemple de ce mauvais goût qui régnait alors chez toutes les nations de l'Europe. Les métaphores outrées, les comparaifons fauffes, étaient les feuls ornemens qu'on employât; on croyait avoir furpaffé Virgile et le Tuffe, quand on fefait voler un fort fur les ailes de l'Amour. Driden comparait Antoine à un aigle qui portait fur fes ailes un roitelet, lequel alors s'élevait au-deffus de l'aigle; et ce roitelet, c'était l'empereur Auguste. Les beautés vraies étaient par-tout ignorées. On a reproché depuis à quelques anteurs de courir après l'efprit. En effet, c'est un défaut infuppor table de chercher des épigrammes quand il faut donner de la fenfibilité à fes perfonnages; il eft ridicule de montrer ainfi l'auteur quand le héros feul doit paraître au naturel; mais ce défaut puéril était bien plus commun du temps de Corneille que du nôtre La pièce de Clixandre, qui précéda Médée, eft remplie de pointes ; un amant qui a été bleffé en défendant fa maîtreffe, apostrophe ses blessures, et leur dit:

Bleffures, hatez-vous d'élargir vos canaux.

Ah!

Ah! pour l'être trop peu, blessures trop cruelles, De peur de m'obliger vous n'êtes point mortelles. Tel était le malheureux goût de ce temps-là.

V. 73.

.. Les fœurs crient miracle. J'ai remarqué que, parmi les étrangers qui s'exercent quelquefois à faire des vers français, et parmi plufieurs provinciaux qui commencent, il s'en trouve toujours qui font, crient, plient, croient, etc. de deux fyllabes. Ces mots n'en valent jamais qu'une feule, et ne peuvent être employés qu'à la fin d'un vers. Corneille fit fouvent cette faute dans fes premières pièces; et c'eft ce qui établit ce mauvais ufage dans nos provinces. V. 87. Et l'amour paternel qui fait agir leurs bras,

Croirait commettre un crime à n'en commettre pas. Ce morceau eftimité du septième livre des Métamorpholes.

His, ut quæque pia eft, hortatibus impia prima eft ; Et, ne fit fcelerata, facit fcelus : haud tamen ictus Vila fuos fpectare poteft, oculofque reflectunt. Remarquez que Corneille fut le premier qui sût tranfporter fur la scène française les beautés des auteurs grecs et latins.

V. 158.

Adieu; l'amour vous preffe,

Et je ferais marri qu'un foin officieux,

Vous fit perdre pour moi des temps fi précieux. Le lecteur judicieux s'aperçoit, fans doute, combien la plupart des expreffions font impropres ou familières dans cette fcène. Nous demandons grâce pour cette première tragédie. Nous tâcherons de ne faire des réflexions utiles que fur les pièces qui le font elles-mêmes par les grands exemples qu'on y trouve de tous les genres de beautés.

SCENE II.

V.1. Depuis que mon efprit eft capable de famme,

Jamais un trouble égal n'a confondu mon ame. Cette fcène, où Jafon débute par dire que fon efprit eft capable de flamme, eft entièrement inutile. Et ces Icènes, qui ne font que de liaison, jettent un peu de T. 72. Comment.fur Corneille. T.I. F

froid dans nos meilleures tragédies, qui ne font point fontenues par le grand appareil du théâtre grec, par la magnificence des chœurs, et qui ne font que des dialogues fur des planches.

SCENE 11 I

V. 19. Vous le faurez après, je ne veux rien pour rien. ' On fent affez que ce vers eft plus fait pour la farce que pour la tragédie. Mais nous n'infiftens pas fur les fautes du ftyle et de langage.

SCENE IV.

V. 1. Souverains protecteurs des lois de Phyménée, Dieux, garaus de la foi que Jafon m'a jurée, etc. Voici des vers qui annoncent Corneille. Ce monoJogue eft tout entier imité de celui de Sénèque le tragique. Dii conjugales, tuque genialis tori Lucina cuflos. Rien n'eft plus difficile que de traduire les vers latins et grecs en vers français rimés. On eft prefque toujours obligé de dire en deux lignes ce que les anciens ont dit en une. Il y a très-peu de rimes dans le ftyle noble, comme je le remarque ailleurs; et nous avons même beaucoup de mots auxquels on ne peut rimer: auffi le poëte eft rarement le maitre de fes expreffions. J'ofe affirmer qu'il n'est point de langue dans laquelle la verfification ait plus d'entraves. V. 6. Et m'aidez à venger cette commune injure, ■'appartient qu'à Corneille. Racine a imité ce vers dans Phèdre :

Déefle, venge-toi; nos caufes font pareilles.

Mais, dans Corneille, il n'eft qu'une beauté de poéfie; dans Racine, il cft une beauté de fentiment. Ce monologue pourrait aujourd'hui paraître une amplification, une déclamation de rhétorique : il eft pourtant bien moins chargé de ce defaur que ia fcène de Sénèque.

V. 31. Me peut-il bien quitter après tart de bienfaits? M'ofe-t-il bien quitter après tant de forfaits? etc. Ces vers font dignes de la vraie tragédie, et Corneille a'en a guère fait de plus beaux. Si, au lieu d'être

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