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Alors M. le baron de Mounier prit la défense de l'ancien système de vénalité, «< où il y avait au moins, dit-il, une certaine garantie d'indépendance, de fortune, d'éducation, et enfin, sous le rapport pécuniaire, quelque chose qui tournait au profit de l'État. » Il ne trouva, au contraire, que des paroles de blâme, d'amertume et même de violence à l'adresse de « la funeste loi de 1816 », et de « 'ce trafic odieux des offices, pâture pour l'agiotage, s'écriait l'orateur, espèce d'enchère établie au profit de celui qui veut se démettre de sa charge. »>

J'ai dit que (1) que M. Teste s'était, en quelque sorte, placé à la tête du mouvement. Il fut, sur ces entrefaites, appelé au ministère de la justice; et bientôt on put lire, dans le Moniteur universel, du 5 septembre 1839, l'entrefilet suivant :

« Une commission va se réunir à la chancellerie, sous la présidence de S. Exc. le garde des sceaux; elle est chargée d'examiner les questions qui se rattachent à la création et à la transmission des offices. >>

En même temps, la presse se mêlait au débat; et les journaux, comme c'est assez leur habitude, se divisaient d'opinion. Mais ce qu'il y eut d'étrange ici, c'est que, en général, le ministère, dans son projet, ne fut pas soutenu par les feuilles ministérielles; il se vit, au contraire, combattu vivement par la plupart d'entre elles, tandis que les journaux de l'opposition lui prêtaient un appui énergique, par les attaques qu'ils dirigeaient sans cesse contre le système établi de la vénalité des offices.

« Cette vénalité, disaient les uns, engendre d'incroyables abus..... C'est une résurrection malheureuse des temps anciens, une dérogation à l'une des plus précieuses conquêtes de la Révolution sur l'ancien régime (Droit du 21 septembre et du 7 octobre 1839).... Elle soulève une rare unanimité de réprobation..... Un vaste édifice d'abus a été reconstruit par l'imprévoyance ou le machiavélisme des législateurs de 1816 (Siècle du 7 septembre)..... Ils ont reconstitué des fiefs industriels (le Courrier du 26 septembre).... Il faut exproprier en masse les possesseurs d'offices (le Courrier cité par le Journal des Débats du 25 octobre)..... Ils (les possesseurs d'offices) forment une aristocratie puissante, privilégiée; il est temps de fermer cette plaie trop longtemps ouverte (Journal général, article reproduit par l'Estafette du 30 septembre).

Cependant, la commission instituée par M. Teste sembla, dès le premier jour, n'être animée que d'un seul désir, celui de faire avorter toute espèce de réforme. A quoi cela tenait-il? On a dit « que les membres de cette commission étant uniquement ou des députés ou des personnages désireux de le devenir, aucun d'eux, dans l'intérêt d'une prochaine candidature, ne voulait se mettre à dos les officiers ministériels qui, on le

(1) Chap. II (Journal des Économistes, numéro de mai 1867, p. 226).

sait, sous le régime du suffrage déterminé par le cens, exerçaient une influence considérable, presque prépondérante. »

Quoi qu'il en soit, il est en outre certain que les officiers ministériels cherchèrent, par mille moyens, à contrecarrer M. Teste, qui, de toute part, ne se heurtait ainsi qu'à des obstacles; il n'eut pas le courage, peut-être pas la force de les vaincre. Sa position, d'ailleurs, en présence de tant d'hostilités, n'était rien moins que solide; il resta pourtant au ministère, mais il abandonna peu à peu son idée d'une réforme, si bien que, cette fois encore, les priviléges ont été les plus forts.

Nous arrivons à 1848. C'est alors surtout qu'avec le principe républicain, les offices ministériels, plus que jamais, se sentirent mal à l'aise; on les vit de nouveau en cause, et si sérieusement cette fois, que leur prix de transmission tomba un moment presque à rien. L'Assemblée nationale, dans sa séance du 19 décembre, a discuté une pétition qui en demandait la suppression complète si cette pétition, sur la proposition du citoyen Arbey, au nom du comité de la justice, a été écartée par l'ordre du jour, ce fut principalement en raison d'une considération tout à fait étrangère au sujet lui-même, mais qui était bien de nature alors à impressionner vivement les esprits et à décider les votes, savoir que dans un moment où la propriété est attaquée avec une déplorable violence par des utopistes dont les doctrines, subversives de tout ordre et de toute société, sont repoussées avec indignation par les cœurs honnêtes, il ne faut pas que l'assemblée fournisse un prétexte à de semblables tendances » (1).

Ainsi, en 1848, c'est la peur du socialisme qui a sauvé l'existence menacée des offices ministériels.

Mais aujourd'hui, certes, le socialisme ne fait plus peur à personne. D'ailleurs, le gouvernement impérial est assez fort, assez solidement assis pour n'avoir aucune des craintes qui, en présence d'une réforme après tout considérable à effectuer, ont pu retenir soit le gouvernement de Juillet, soit la République de 1848; j'ajouterai qu'il est assez riche, non pas pour payer la gloire de la France, il ne s'agit pas de cela, mais pour faire, s'il en est besoin, des sacrifices d'argent, celui du remboursement des cautionnements, par exemple, et même, le cas échéant, d'autres encore, en vue de l'intérêt véritable et du bien-être futur des populations; je dirai enfin que, profitant des leçons de l'histoire, il tiendra à honneur d'abolir définitivement un régime de priviléges qui ne s'est établi, dans l'origine, et accru, en général, que sous les gouvernements les moins libéraux et les moins favorables : ce n'est point à ces gouvernements-là qu'il voudra être comparé.

Dans ces derniers temps, les pétitions contre le privilége et la véna

(1) Moniteur universel, 20 décembre 1848.

lité des offices n'ont pas discontinué; presque tous les ans le Sénat en a reçu quelques-unes. Il les a constamment accueillies par l'ordre du jour, le plus souvent sans discussion; mais toutefois oserait-on dire qu'elles n'ont pas laissé de traces, qu'elles ont passé sans résultat? Non, assurément. Et la preuve qu'elles ont eu de l'effet, c'est que l'opinion publique, à cette heure, comme celle du gouvernement et des corps constitués, n'est plus indifférente à la question, c'est que de partout on souhaite, on demande, on veut la liberté du travail pour chacun, la suppression définitive des entraves et des monopoles.

Le gouvernement, d'ailleurs, n'est-il pas déjà entré largement dans la voie des études et des réformes? Le Sénat, dès lors, a vu qu'il n'avait qu'à laisser faire : tel est sans doute le sens des ordres du jour qu'il a successivement votés, et qui, en aucune façon, je pense, ne sauraient être interprétés comme favorables au maintien d'un statu quo que tout aujourd'hui condamne, les faits, l'histoire, la logique, le bon sens, non moins que l'exemple de plusieurs pays étrangers et l'opinion des meil leurs auteurs.

- La suite à un prochain numéro.

THEUREAU.

LES

CHEMINS DE FER FRANÇAIS
ET L'ÉPARGNE

A PROPOS DU QUATRIÈME RÉSEAU EN PROJET (1)

Au moment où l'on semble vouloir donner à nos lignes ferrées tous. les développements désirables comme pour se rapprocher notablement des 20,881 kilomètres qui constituent la concession décrétée en principe, il peut être utile de jeter une vue d'ensemble sur cette œuvre la

(1) Ce qu'on est convenu d'appeler quatrième réseau n'est guère que le troisième réseau, dont un député, M. Pouyer-Quertier, déplorait ces jours derniers le non-achèvement. Voici comment opérait la loi de 1859, qui forme à cet égard le point de départ. Pour la première fois, on distingua deux réseaux : l'ancien et le nouveau.

Pour l'Orléans, par exemple, l'ancien réseau, alors en voie d'exploitation, se dirige de Paris sur Bordeaux, avec embranchements: de Tours sur La Rochelle, Nantes, Le Mans; d'Orléans sur Vierzon et

plus considérable assurément que notre époque aura vu entreprendre et mener à bonne fin. Si l'on se reporte à l'origine on est frappé de la distance parcourue et qui sépare du point de départ. A la fin de 1851, la longueur exploitée n'excède pas 3,000 kilomètres; elle est maintetant presque quintuplée. C'est ainsi qu'en décembre 1865, on en exploitera plus de 13,500 kilomètres. La dépense, tant du chef de l'Etat que de celui des compagnies, n'allait guère d'abord qu'à 1,151 millions de francs; aujourd'hui, cela se chiffre par près de 7 milliards dont 984 au compte de l'État et jusqu'à la fin de 1865. Dans le cours de la période antérieure, la longueur des lignes ouvertes se mesurera par près de 1,100 kilomètres, dont 324 appartiennent à la seule ligne d'Orléans. Cette ligne exploitait ainsi, à la même époque, un parcours de 4,199 kil.

Mais ce n'est là que le côté purement statistique, et partant, étroit de cette œuvre immense. Pour en bien saisir le caractère, pour l'apprécier convenablement, il faut voir les prévisions de la science et de l'art partout distancées les gares agrandies ou reconstruites, les bâtiments principaux remaniés en grand, le chiffre des emprunts grossir chaque année en vue d'autres et plus larges dépenses; et, d'autre part, l'épargne accourir quoi que le cours de l'obligation s'élève et que, par une suite nécessaire, le taux moyen de l'emprunt monte. En 1865, ce taux ressortait pour Paris-Lyon à 298 fr. 19; plus tard il dépasse 300 fr. et permet à la Compagnie d'obtenir 302 fr. 51, en moyenne, par obligation. Ailleurs c'est de

Limoges, de Nantes sur Napoléonville, le tout avec part afférente du chemin de Ceinture.

Le nouveau réseau, en projet, va de Montluçon à Moulins, de Limoges à Agen, visite Périgueux, Clermont-Ferrand, Montauban, Toulouse, Bourges, Vendôme, Châteaudun, Orsay, Sceaux.

Chaque ligne comprend ainsi un grand parcours direct, avec part afférente du chemin de Ceinture, si elle aboutit à Paris, puis un nouveau réseau composé de lignes secondaires ou affluents. La loi, distinguant l'avenir du passé, a surtout voulu favoriser l'exécution des lignes secondaires. Dans ce but, et pour amener l'épargne vers ce nouveau placement, l'État a dû garantir un minimum d'intérêts de 4,65 0/0. Mais cette garantie se trouve exonérée en grande partie : 1° par l'application d'une part des profits de tout àncien réseau au service de l'intérêt des capitaux du nouveau réseau; 2o par l'attribution du net produit de ce même réseau à ses propres charges. L'État n'intervint que pour la différence. De là des comptabilités distinctes entre les deux réseaux, et des profits limités pour l'ancien actionnaire, de façon à faire bénéficier le deuxième réseau, par voie de déversoir, de l'excédant. Ce système fort sage devait tout faciliter, précisément parce qu'il conciliait tout.

En dehors de cela, il n'y avait guère place, ce semble, que pour un troisième réseau complémentaire. — P. C.

même sinon mieux. Ainsi le Nord a pu placer à 305 fr. 91 ses derniers emprunts. On put compter là jusqu'à 16 séries d'obligations (1). Il y a plus; chacun peut se rappeler le jour où l'État et la Banque s'appuyant l'un à l'autre on ouvrait une souscription destinée à procurer aux diverses lignes les fonds indispensables. L'emprunt fut couvert avec un empressement dont il y eut lieu de s'étonner jusqu'à certain point. Les choses ont bien changé depuis. Qu'on en juge par ce simple détail perdu dans la masse de chiffres alignés, en fin d'année, par l'exposé mis sous les yeux de l'actionnaire. Il n'est plus besoin, en effet, de battre la caisse et de convier bruyamment l'épargne par voie de souscription en masse, comme cela a lieu parfois pour le crédit véreux de certains États; non, non, et les gares des chemins de fer français débitent maintenant, avec une égale facilité, leurs tickets ou billets de départ et les coupons d'emprunt. Le public connaît l'un et l'autre guichet par une expérience déjà longue qui parut la plupart du temps devoir suffire; écoutez Paris-LyonMéditerranée :

-Même con

« Le système suivi depuis quelques années pour réaliser les emprunts successsivement autorisés par vos assemblées générales et consistant dans l'émission directe et continue, non-seulement à Paris, mais dans la plupart des gares du réseau, se pratique avec avantage pour votre Société et est devenu, on peut le dire, vraiment populaire dans l'application. >> Ainsi s'exprime, en fin d'exercice, la commission d'examen des comptes de la Compagnie; ses administrateurs sont, en conséquence, invités à suivre des errements qu'on ne saurait assez encourager. statation chez la Compagnie d'Orléans; le compte-rendu accuse, dans 287 gares, l'écoulement facile, insensible de 54,564 obligations. A 303 fr. 75 l'une, c'est un résultat en somme d'environ 17 millions de francs. Mais c'est moins le chiffre que la pente elle-même qui mérite, ici, quelque attention. De tels faits montrent à quel point se développe, en France, avec l'habitude de l'épargne, l'esprit intelligent et judicieux du placement.

Comment n'en serait-il pas ainsi lorsqu'on voit ici, par un rare privilége, l'industrie des chemins de fer tenir si largement ses promesses alors qu'elle entreprend chaque jour d'avantage? Le progrès est constant et défie en quelque sorte les complications de la politique, tant le travail est large et ne demande partout qu'à s'épancher. Ici, c'est la Compagnie du Nord qui venant de doter de halles nouvelles pour répondre « au trafic des marchandises » les villes de Saint-Quentin, de Laon, d'Amiens, de Douai, de Boulogne se voit forcée, sur la demande fondée des in

(1) En 1864, remarque la compagnie d'Orléans, le prix moyen de l'émission ressortait à 288.13; en 1865, à 298.72, et en 1866, il a été de 303.75.-P. C.

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